Sexe enchanteur, à qui tout rend hommage,
Si j'ai passé le printemps des amours,
Si, malgré moi, j'ai l'honneur d'être sage,
Je me souviens encor de ces beaux jours
Où j'ai subi votre doux esclavage.
Qui n'eut alors envié mon partage !
La volupté fidèle à mes desirs,
En m'égarant de plaisirs en plaisirs,
Se conformait à mon humeur volage.
Fière Daphné, pour vaincre
tes rigueurs,
Du sentiment j'empruntais le langage.
À moins de frais j'allumais tes ardeurs,
Folâtre Eglé, tes plus tendres faveurs
Étaient le prix d'un léger badinage.
Mais, croyez moi,
sexe fait pour charmer,
Contentez vous d'un si noble avantage,
Et n'allez pas vous laisser enflammer
Pour les faux biens qui sont à notre usage.
Ne quittez point l'aiguille de Pallas,
Pour le compas de la grave Uranie.
N'enviez point les palmes du génie.
Le ciel vous fit pour de plus doux combats.
Donnez des loix, et n'en recevez pas.
N'allez jamais, d'une ardeur indiscrette,
De Calliope emboucher la trompette.
Si quelquefois,
pour le docte Côteau,
Vous négligez les myrthes de Cythère,
Suivez plûtot la tendre Deshoulière.
Les sons légers de l'humble chalumeau
Offrent assez de quoi vous satisfaire.
Je n'aime
point une femme guerrière;
J'aime encor moins celle qui sur les bancs
Va se mêler au troupeau des pédans.
Signalez vous dans une autre carrière.
Que dans les cieux Prométhée ou Newton
Aillent encor dérober la lumière,
Il est plus doux d'égarer la raison.
Du bel esprit l'importune chimère,
Même à nos yeux, ne vaut pas l'art de plaire.
Stupidité ne pense point
ainsi.
Elle a sans cesse autour de sa personne
Un bataillon qu'elle même a choisi.
Ce fut jadis la prude Scudéri
Qui commanda cette troupe amazone.
À cet emploi succéda Coligny.
Sottise après
fit choix de du feuillage,
Fière beauté, l'ornement d'un autre âge.
Elle y viendra cette Rni,
Qui n'a point fait le marquis de Cressi,
Qui n'a point fait les lettres de Fanni,
Qui n'a point fait Juliette
Catesbi.
Puys, peut-être, aura son tour aussi.
Vous étiez là, vaillante hermaphrodite,
Belle Malcrais, mais ennuieux Maillard.
Pour célébrer votre double mérite,
Il me faudrait le
goût de Ba.
Telles marchaient ces superbes rivales,
De la déesse intrépides vestales,
Se souvenant d'avoir eu pour guidon
Dans ses beaux jours la comtesse Fréron.
En lettres d'or, sur leur noble
bannière
On voit écrit : muse limonadière;
Et le hibou qui fut jadis Le Mié,
Servait de guide à la troupe guerrière.
Stupidité, qui connait leur valeur,
Veut à leur
tête envahir le Parnasse.
Le bataillon, sensible à cet honneur,
Fait éclater sa belliqueuse audace.
Mais la déesse a besoin d'un coursier.
Ne voyant point son Pégase ordinaire,
Elle eut
d'abord le projet singulier
De transmuer Chaumet en dromadaire; ( ? ? ? ?)
Lorsqu'avisant Fréron son chancelier,
Qui soupirait encor de son injure,
" viens, lui dit-elle, et sers moi de monture. "
Au même instant
le grave Aliboron
Fut possesseur de deux superbes aîles.
Il les déploye : il admire le don
De la déesse; et croit que sans façon
Il va franchir les voutes éternelles.
Il voit déjà
les vastes cieux ouverts,
Quand un malheur, qu'il ne prévoyait guère,
Dérangea bien ce projet téméraire.
Stupidité, qui fait tout de travers,
Avait placé les aîles à
l'envers :
Si que Fréron, loin de fendre les airs,
Était porté, par un essor étrange,
Non vers le ciel, mais toujours vers la fange.
Plus l'animal s'obstinait à grimper,
Plus il luttait
contre son caractère,
Et plus son aîle, agile en sens contraire,
Dans le bathos le forçait à ramper.
Mon cher lecteur, à ce tableau risible
Arrêtons nous. Contemplez un moment
Mon
hypogrife en sa marche pénible :
Suivez des yeux le reptile volant.
De son instinct toujours prédominant
Voyez agir la force irrésistible.
La déïté, lui lâchant le bridon,
L'excite
envain à grands coups d'aiguillon.
Tout le pouvoir de la fière immortelle
Est épuisé sur l'animal rebelle.
Elle ne peut qu'au bruit du fouet vengeur,
Du lourd coursier hâter la pesanteur.
Un mot pourtant dont se souvient la belle,
Du quadrupède éveille un peu l'ardeur.
Ce mot puissant lui rend quelque vigueur.
Dès qu'il l'entend sa marche est plus honnête :
Wasp est le mot qui fait
aller la bête.
Stupidité désigne à ses soldats
La docte enceinte où s'adressent leurs pas.
Déjà leurs yeux étincellent de joye,
Et Marmontel croyait saisir sa proye :
Quand tout à coup de glapissantes voix,
Qui s'efforçaient de parler à la fois,
Font arrêter la superbe déesse.
À ce tumulte on accourt, on s'empresse.
On veut savoir d'où naît
ce mouvement.
Le bruit s'accroit de moment en moment.
Las ! Il partait du bataillon femelle !
Sage Merlin, faut-il que je révèle
Ce qui causait cette étrange rumeur ?
Dois-je trahir le secret d'une belle
?
Comment pourrais-je, ô prudent enchanteur,
Conter un fait qui n'a pas de modèle ?
Faut-il ici vous dire ingénument
Qu'une amazone, une docte pucelle
Faisait alors... quoi, lecteur ?... un roman ?
Une ballade ? Un plan de comédie ?
Une héroïde, ou quelque tragédie ?
Un madrigal ?... non, c'était un... enfant.
J'ai dit le mot. Or c'est à vous, mesdames,
D'après ce fait qu'il
fallait publier,
À décider si le ciel fit les femmes
Pour guerroyer, ou pour versifier.
De ce grand jour l'événement sublime
Fit que l'auteur ne put être anonyme.
Recevez donc, douce Rini,
Mon compliment sur cet enfant chéri :
On ne pourra vous nier celui-ci.
B vole aux cris de la guerrière.
Rien ne l'arrête. à ce tendre intérêt
On voit assez qu'il était du secret
:
Heureux enfant, égalez votre père.
Stupidité descendit de Fréron,
Mit pied à terre et reçut le poupon.
La déïté n'est rien moins que sévère :
Elle
embrassa le gentil nourrisson,
Qui, pour signal de sa gloire future,
Se met soudain à beugler comme un veau,
Miaule en chat, et croasse en corbeau.
Stupidité, pour confirmer l'augure,
Plonge l'enfant dans un
marais voisin.
" deviens, dit-elle, insensible aux blessures,
Invulnérable aux affronts, aux injures,
Comme les wasps de Quimpercorentin.
Jouïs en paix de ton noble destin,
Et défends toi la plainte et
les murmures. "
Telle autrefois l'immortelle Thétis
Dans l'onde noire avait plongé son fils,
Tel, aux regards de la sotte phalange,
Le nourrisson de la stupidité
Fut, par trois fois, replongé
dans la fange,
Et son talon ne fut pas excepté.
Son goût naissant aussitôt se déclare.
Déjà dans l'air il pousse un cri bisarre :
D'après ce cri dont retentit le lac,
Par la
déesse il fut nommé Kakouac.
Ô noble enfant, né dans ce jour de guerre,
De quels exploits tu vas remplir la terre !
La déïté t'accorda l'heureux don
De plaire aux sots en choquant
la raison;
De déployer, dans une hebdomadaire,
Et la bassesse et l'orgueil d'un corsaire;
De plaisanter, sans craindre les arrêts,
Mieux que Zoïle, ou que l'abbé Morlaix;
De colorer la noire calomnie,
De déchaîner contre la vérité
Tous les serpens dont se nourrit l'envie,
Et d'insulter avec impunité,
Au noble essor des enfants d'Uranie.
Il eut le don de trouver tout mauvais,
Hors
les écrits que lui-même aurait faits.
Il eut enfin tout l'esprit de sa mère,
Et les talens de B son père.
Ainsi nâquit cet antechrist du goût :
Puissent ces vers le démasquer partout
!
Ô souverains qui chérissez la gloire,
Méfiez vous de ce nouveau Python.
C'est l'ennemi des filles de mémoire,
Qu'il soit percé des flêches d'Apollon.
Il a des arts conjuré
la ruïne;
Tout est perdu si jamais il domine.
Stupidité remet le nourrisson
Entre les mains de l'illustre guerrière,
Puis reprenant son audace première,
Elle remonte aussitôt sur Fréron,
Qui se battait alors pour un chardon
Avec Légier, Suard et La Morlière.
Aliboron, cette fois, fut vainqueur;
Il s'étonnait d'avoir eu du courage;
Il en conçoit un fortuné présage,
Et dans son vol il montre plus d'ardeur.