Properce - (-47 à -16)



Properce, de son nom latin Sextus Propertius, est un poète latin né aux alentours de 47 av. J.-C. en Ombrie, sans doute à proximité de la ville actuelle d'Assise, et mort vers 16/15 av. J.-C..


Biographie

Très peu d'informations sur Properce sont connues, en dehors de ses propres écrits. Son praenomen « Sextus » est mentionné par Aelius Donat, quelques manuscrits le désignent comme « Sextus Propertius », mais le reste de son nom est inconnu. De nombreuses références dans sa poésie indiquent clairement qu'il est né et a grandi en Ombrie ; la ville d'Assise actuelle revendique l'honneur de l'avoir vu naître. Son père mourut quand il était enfant et sa famille perdit ses terres lors d'une confiscation, probablement la même que celle qui réduisit les possessions de Virgile lorsqu'Octave distribua des terres à ses vétérans en 41 av. J.-C. Si on ajoute à cela une référence d'Ovide impliquant qu'il était plus jeune que son contemporain Tibulle, une date de naissance au début des années 40 paraît appropriée.

Après la mort de son père, la mère de Properce le lance dans le cursus d'une carrière publique — ce qui indique que sa famille avait toujours une certaine aisance financière, de même que certaines allusions mythologiques précises montrent qu'il a reçu une bonne éducation. De nombreuses évocations de ses amis comme Tullus le neveu de Lucius Volcatius Tullus, consul en 33 av. J.-C., et le fait qu'il habitait sur l'Esquilin indiquent qu'il a dû entrer au cours des années 20 dans un cercle de fils d'hommes riches et impliqués dans la vie politique. C'est à cette époque qu'il a rencontré Cynthia, la femme qui allait l'inspirer et féconder son génie poétique.

Il est possible que Properce eut des enfants, soit avec Cynthia, soit avec une relation postérieure. Pline évoque ainsi un prétendu descendant de Properce. Un poème d'Ovide daté de l'an 2 av. J.-C. montre de manière certaine que Properce était mort à cette époque.


Œuvres

Il est l'auteur de quatre livres d’Élégies. Le premier livre fut publié en -25, avec Cynthia pour thème principal ; il est appelé « Cynthia monobiblos ». Ce livre a attiré l'attention de Mécène, qui invita Properce dans le cercle des poètes de cour. Un second livre, plus grand, fut publié peut-être l'année suivante. Il inclut des poèmes adressés directement à Mécène et parle d'Auguste.


Properce a environ 18 ans lorsqu'il fait la connaissance de celle qui va bouleverser sa vie et deviendra sa muse, l'inspiratrice de toute son œuvre. C'est une femme mariée, mais coquette et volage, très émancipée, séduisante et très courtisée, ardente et parfois violente. Le cœur de Properce s'embrase sur l'heure : transporté par la passion, il fera d'elle la Cynthia de ses Élégies, et leur liaison orageuse lui fournira la matière première d'une œuvre passionnée mais lucide, qui s'adapte parfaitement à la forme de l'élégie sentimentale.

Le choix du nom de Cynthia n'est pas innocent : il possède la même assonance et la même métrique que celui de Roscia (ou d'Hostia), et renvoie directement au mont Cynthe, à Délos, considéré comme le lieu de naissance d'Apollon. Il confère donc à la jeune femme la qualité d'amie de la poésie.

    "C'est pour toi qu'Apollon dispose de sa lyre ;
    Sur un rythme aonien Calliope t'inspire ;
    Tu mets dans tes discours les charmes de Phébus ;
    Minerve, pour t'orner, s'entend avec Vénus.
    Riche de leurs faveurs, tu seras, ma Cynthia,
    Loin d'un luxe importun, le bonheur de ma vie." (Properce, Élégies, I-1.)


En 29 avant J.C., Properce publie un premier livre d'élégies, intitulé "Cynthia Monobiblos". Il comprend 22 élégies, dont environ la moitié s'adresse directement à Cynthia. Les autres ont pour destinataires des amis du poète - Tullus, Gallus, Ponticus et Ballus - dont on ne sait rien. Mais cela importe peu puisque, même lorsqu'il interpelle un de ses camarades, c'est encore pour lui parler de Cynthia ! L'ensemble forme une sorte de roman d'amour, d'inspiration autobiographique bien que certainement en grande partie fictif. Au bonheur idyllique des premiers mois succède un amour certes sensuel, mais marqué par la jalousie : Properce se persuade que Cynthia va le trahir, le tromper. Une fois déjà, elle a failli le quitter pour un de ses rivaux, et là voilà qui s'attarde loin de lui, dans la délicieuse station balnéaire de Baïes !

    "Je mesure, en tremblant, le contour de son sein ;
    Inutile présent, roulant sous ma caresse,
    Quand dans l'ingrat sommeil sa poitrine s'affaisse !
    Et quand sa bouche rend le plus léger soupir,
    Un noir pressentiment vient alors m'assaillir,
    Pensant que dans un rêve, en de soudaines craintes,
    Peut-être elle est d'un autre à subir les étreintes." (Properce, Élégies, I-3.)


Les caprices de l'amante conduisent le couple à la rupture. Seul et désenchanté, le poète se plaint de son sort et accable la belle de ses reproches. Ce premier livre se referme sur un cri de désespoir : Properce appelle la mort de ses vœux, car elle seule pourra le délivrer de son tourment.

    "Si ton amour au mien reste égal, au tombeau,
    Le trépas, quel qu'il soit, me sera doux et beau ;
    Mais je crains, du bûcher quand s'éteindra la flamme,
    Qu'un autre ne survienne, et, captivant ton âme,
    Ne tarisse les pleurs que sur moi tu répands." (Properce, Élégies, I-19.)


Mais la séparation ne dure pas, et la liaison reprend un an plus tard. Cependant, la relation semble apaisée, les cœurs paraissent brûler d'un feu moins ardent.

Le deuxième livre des élégies, rédigé entre 28 et 25 avant J.C., comprend 34 poèmes, et s'il est entièrement consacré à la renaissance des rapports entre Properce et Cynthia, sa tonalité est subtilement différente : l'enchantement des premières passions a laissé la place à des sentiments de frustration, de jalousie et à un désir de possession. L'amour y est finalement moins présent que le désir, le soupçon, voire même la haine.

    "C'est avéré, Cynthia est la fable de Rome !
    Ta conduite en ces lieux n'est cachée à nul homme,
    Cet outrage sans nom aura son châtiment !
    L'Aquilon à son tour détruira mon serment.
    Ne trouverai-je pas dans les femmes volages
    Un cœur qui, de mes vers goûtant les avantages,
    En me vengeant de toi, me payera de retour !
    Ah ! tu regretteras, ingrate, mon amour... " (Properce, Élégies, II - V.)


Ce livre inclut une élégie dont Mécène est le dédicataire, et Auguste y est mentionné pour la première fois.


En 23 avant J.C. paraît le troisième livre. Ainsi que le précédent le laissait présager, Cynthia y est moins présente (environ un tiers des 25 élégies seulement la concerne) : Properce tente de la reconquérir une dernière fois, lui proposant même le mariage, mais la rupture est cette fois définitive. Le poète quitte l'Italie pour Athènes, espérant oublier son amour perdu. Ce voyage répond aussi à l'ambition nouvelle de l'auteur, qui entend porter son œuvre à un autre niveau, en s'inspirant notamment des grands poètes alexandrins, cités dès l'ouverture du livre.

    "Mânes de Callimaque, ombre de Philétas,
    Souffrez que sous vos bois je dirige mes pas.
    Prêtre nouveau puisant à votre onde divine,
    J'enseigne l'art des Grecs à la muse latine.
    Sous l'effet de quelle eau, de grâce, dans quels lieux,
    Quel antre, écrivez-vous des vers si gracieux ?" (Properce, Elégies, III-1.)


De même, il se place sous l'égide d'Orphée, et aborde des sujets plus politiques : il célèbre entre autres le triomphe d'Auguste et condamne le couple Antoine / Cléopâtre. Est aussi évoquée la mémoire de Marcellus, neveu et héritier de l'empereur, mort peu de temps auparavant : il s'agit sans doute d'un de ses poèmes les plus émouvants.

    "Ce lieu dans les enfers un héros engloutit,
    Et sur les eaux du lac erre encor son esprit...
    Rien ne l'a garanti. Sa valeur, sa naissance,
    Sa force, de César la suprême puissance,
    Ces voiles et ces vœux dans un théâtre plein,
    Les vertus dont sa mère enseigna le chemin,
    Rien n'arrêta sa mort, à sa vingtième année.
    Un instant a tranché si belle destinée !" (Properce, Élégies, III-18.)

 
On suppose que Properce meurt aux environ de 16 avant J.C., date après laquelle on perd sa trace.


Le livre IV, publié à titre posthume, dévoile le programme ambitieux du poète, et inclut plusieurs poèmes étiologiques qui expliquent l'origine de rites ou de légendes romains ou latins. Sans doute faut-il y voir l'influence de Mécène qui le pousse vers la grande poésie nationale. Il s'en approche avec précaution bien que l'on sente chez lui un désir d'émulation avec Virgile. La 6e pièce de ce livre IV est consacrée à la victoire d'Actium, les autres élégies transportant le lecteur aux premiers temps de Rome, où le poète n'hésite pas à donner vie à des dieux bizarres et parfois oubliés (Vertumne, Jupiter Férétrien) ou à des épisodes peu connus, mais toujours empreints de romanesque (Hercule et Bona Dea). Il ouvre ainsi une voie dans laquelle Ovide s'engagera plus franchement avec ses Fastes. Ce livre, le dernier de Properce, n'égale que de moitié le nombre de poèmes du premier.

    "Je veux célébrer Rome, en ma pieuse ardeur !
    Quelque faible que soit ma voix pour sa grandeur,
    Le peu que j'ai de sang, le peu que j'ai de vie,
    Je le voue en entier à chanter ma patrie.
    Que le docte Ennius se couvre du laurier !
    Du lierre de Bacchus pour moi je serai fier,
    Si par mes vers, Ombrie, en un temps je puis être
    Callimaque romain au sol qui m'a vu naître.
    En visitant vos murs au sein de vos vallons,
    Puisse-t-on voir ma gloire illuminer vos fronts !
    C'est pour toi que j'écris, ô Rome. Que surgisse
    Sur mon chef des oiseaux le ramage propice !
    Ton culte, tes autels et tes vieux monuments
    De mes derniers coursiers soutiendront les élans. " (Properce, Élégies, IV-1.)


Pour autant, Properce ne délaisse pas le thème de l'amour, mais  il l'appréhende sous un prisme différent : ici, il transfigure l'amant et le porte vers la fides, sentiment noble par excellence. Cynthia, morte, apparaît une dernière fois, accablant de reproches son amant depuis l'au-delà, mais même son souvenir est empreint d'une tendresse et d'une douce nostalgie qui prennent le pas sur les regrets. L'amour, dès lors, n'est plus l'assouvissement d'une passion violente et frivole, mais l'expression d'un sentiment noble, capable de survivre à la mort et à l'oubli.

    "Si des songes pieux te surviennent parfois,
    Qu'ils aient ta confiance ; écoute-les, et crois.
    Nous errons dans la nuit où nous voulons sans peine
    Et Cerbère lui-même est libre de sa chaîne
    Mais quand paraît le jour, nous rentrons de nouveau.
    Et Charon du Léthé nous fait traverser l'eau.
    Sur d'autres maintenant que ton amour retombe.
    Mais nos os, sans tarder, s'uniront dans la tombe.". (Properce, Élégies, IV-7.)


Les poèmes de Properce sont souvent considérés comme difficiles d'accès à cause d'une construction complexe et d'un style marqué par des transitions brusques et une grande érudition mythologique. Pourtant, il donne à voir des images vivantes et colorées, et il exalte des sentiments universels avec une sensibilité frappante pour tous ceux qui, avant ou après le poète, ont connu les tourments de l'amour.
A travers l'ensemble de son œuvre, Properce reste le poète d'un amour violent mais profondément sincère. Marqué par les vicissitudes d'une passion incontrôlable, par la souffrance et l’inéluctabilité de la mort, le poète finit par atteindre une paix relative, une stabilité qu'il trouve dans la fides  -  la notion renvoie à l'honneur, au respect de la parole donnée, à la confiance mutuelle.

Dans un autre registre, Properce est aussi le poète qui a réussi, avec Virgile et son "Enéide", à exalter la grandeur romaine et augustéenne à travers la forme de l'élégie.

 


Properce


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