Pétrarque (1304-1374)
Recueil : Sonnets et Canzones - Après la mort de Madame Laure
Traductions, commentaires et numérotations de Francisque Reynard (1883)

Après la mort de Laure - Canzones M-05 à M-08


 

(331/366) - Canzone M-05 : Il a vécu heureux et uniquement pour elle. Elle aurait donc dû mourir à son heure.
(359/366) - Canzone M-06 : Elle lui apparaît de nouveau, et plus que jamais compatissante, elle cherche à le consoler.
(360/366) - Canzone M-07 : Amour, pour se disculper, fait le plus bel éloge de Laure.
(366/366) - Canzone M-08 : Repentant, il invoque Marie, et la conjure de le secourir pendant sa vie et à sa mort.

 

Canzone M-05

Il a vécu heureux et uniquement pour elle. Elle aurait donc dû mourir à son heure.


Solea da la fontana di mia vita
allontanarme, et cercar terre et mari,
non mio voler, ma mia stella seguendo;
et sempre andai, tal Amor diemmi aita,
in quelli esilii quanto e' vide amari,
di memoria et di speme il cor pascendo.
Or lasso, alzo la mano, et l'arme rendo
a l'empia et vïolenta mia fortuna,
che privo m'à di sí dolce speranza.
Sol memoria m'avanza,
et pasco 'l gran desir sol di quest'una:
onde l'alma vien men frale et digiuna.

Come a corrier tra via, se 'l cibo manca,
conven per forza rallentare il corso,
scemando la vertù che 'l fea gir presto,
cosí, mancando a la mia vita stanca
quel caro nutrimento in che di morso
die' chi 'l mondo fa nudo e 'l mio cor mesto,
il dolce acerbo, e 'l bel piacer molesto
mi si fa d'ora in hora, onde 'l camino
sí breve non fornir spero et pavento.
Nebbia o polvere al vento,
fuggo per piúù non esser pellegrino:
et così vada, s'è pur mio destino.

Mai questa mortal vita a me non piacque
(sassel' Amor con cui spesso ne parlo)
se non per lei che fu 'l suo lume, e 'l mio:
poi che 'n terra morendo, al ciel rinacque
quello spirto ond'io vissi, a seguitarlo
(licito fusse) è 'l mi' sommo desio.
Ma da dolermi ò ben sempre, perch'io
fui mal accorto a provveder mio stato,
ch'Amor mostrommi sotto quel bel ciglio
per darmi altro consiglio:
ché tal morí già tristo et sconsolato,
cui poco inanzi era 'l morir beato.

Nelli occhi ov'habitar solea 'l mio core
fin che mia dura sorte invidia n'ebbe,
che di sí ricco albergo il pose in bando,
di sua man propria avea descritto Amore
con lettre di pietà quel ch'averrebbe
tosto del mio sí lungo ir desïando.
Bello et dolce morire era allor quando,
morend'io, non moria mia vita inseme,
anzi vivea di me l'optima parte:
or mie speranze sparte
à Morte, et poca terra il mio ben preme;
et vivo; et mai nol penso ch'i' non treme.

Se stato fusse il mio poco intellecto
meco al bisogno, et non altra vaghezza
l'avesse disvïando altrove vòlto,
ne la fronte a madonna avrei ben lecto:
- Al fin se' giunto d'ogni tua dolcezza
et al principio del tuo amaro molto. -
Questo intendendo, dolcemente sciolto
in sua presentia del mortal mio velo
et di questa noiosa et grave carne,
potea inanzi lei andarne,
a veder preparar sua sedia in cielo:
or l'andrò dietro, omai, con altro pelo.

Canzon, s'uom trovi in suo amor viver queto,
di': - Muor' mentre se' lieto,
ché morte al tempo è non duol, ma refugio;
et chi ben pò morir, non cerchi indugio. -


J’avais coutume de m’éloigner de la fontaine de ma vie, et de chercher par les terres et les mers, suivant, non pas ma volonté, mais mon étoile ; et toujours je m’en allai, — tellement Amour me vint en aide, — pendant ces exils amers, autant qu’il a pu voir, me repaissant le cœur de souvenirs et d’espérance. Maintenant, hélas ! je lève la main, et je rends les armes à mon impitoyable et violente destinée qui m’a privé d’une si douce espérance. Seul, le souvenir me reste, et c’est de lui seul que je nourris mon grand désir ; aussi mon âme se consume et s’affaiblit par le jeûne.

Comme un courrier en chemin, si la nourriture lui manque, est contraint de ralentir sa course, la force qui le faisait marcher vite diminuant, ainsi ma vie fatiguée ayant manqué de ce cher aliment auquel vint mordre celle qui met le monde à nu et rend mon cœur triste, la douceur se change d’heure en heure pour moi en amertume, et le plaisir en ennui ; c’est pourquoi, je désespère et je crains de ne pas pouvoir accomplir mon voyage si court. Neige ou poussière au vent, je fuis pour abréger mon pèlerinage ; et qu’ainsi soit, si c’est bien là ma destinée.

Jamais cette vie mortelle ne me plut — Amour le sait, lui avec qui j’en parle souvent — sinon à cause de celle qui fut sa lumière et la mienne. Depuis qu’en mourant sur la terre, cet esprit par qui j’ai vécu est allé renaître au ciel, le suivre — que cela ne m’est-il permis ! — est mon suprême désir. Mais j’aurai toujours sujet de me plaindre de ce que je fus malhabile à prévoir mon sort qu’Amour me montra sous ce beau sourcil, pour me donner un autre conseil ; car tel est mort, triste et inconsolé, pour qui, peu auparavant, mourir eût été chose heureuse.

Dans les yeux où mon cœur avait coutume d’habiter, jusqu’à ce il portât envie à mon sort cruel, qui le bannit d’une si riche demeure, Amour avait écrit de sa propre main, en lettres pieuses, ce qu’il arriverait bientôt de mon désir d’aller si loin. Il était beau et doux de mourir alors, quand, moi mourant, ma vie ne mourait pas avec moi, mais que survivait au contraire la meilleure partie de moi-même. Maintenant, la Mort a dispersé mes espérances, et un peu de terre pèse sur mon bien. Et je vis ; et je n’y pense jamais sans que je tremble.

Si ma faible intelligence eût été avec moi quand j’en avais besoin, et si un autre désir, en la faisant dévier, ne l’eût pas tournée ailleurs, j’aurais bien lu sur le front de ma Dame : Tu es arrivé à la fin de toute ta douceur et au commencement de tes longues amertumes. En entendant cela, doucement délivré en sa présence de mon voile mortel et de cette ennuyeuse et pesante chair, je pouvais m’en aller devant elle pour voir préparer son siège dans le ciel ; maintenant, j’irai après elle désormais et avec d’autres cheveux.

Chanson, si tu trouves un homme qui vive tranquille dans son amour, dis : Meurs pendant que tu es heureux ; car la mort qui vient à temps n’est pas une douleur, mais un refuge ; et qui peut bien mourir, ne doit pas chercher à retarder sa mort.


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Canzone M-06

Elle lui apparaît de nouveau, et plus que jamais compatissante, elle cherche à le consoler.


Quando il soave mio fido conforto
per dar riposo a la mia vita stanca
ponsi del letto in su la sponda manca
con quel suo dolce ragionare accorto,
tutto di pieta et di paura smorto
dico:«Onde vien' tu ora, o felice alma?»
Un ramoscel di palma
et un di lauro trae del suo bel seno,
et dice:«Dal sereno
ciel empireo et di quelle sante parti
mi mossi et vengo sol per consolarti».

In atto et in parole la ringratio
humilmente, et poi demando:«Or donde
sai tu il mio stato?» Et ella: «Le triste onde
del pianto, di che mai tu non se' satio,
coll'aura de' sospir', per tanto spatio
passano al cielo, et turban la mia pace:
sí forte ti dispiace
che di questa miseria sia partita,
et giunta a miglior vita;
che piacer ti devria, se tu m'amasti
quanto in sembianti et ne' tuoi dir' mostrasti».

Rispondo: «Io non piango altro che me stesso
che son rimaso in tenebre e 'n martire,
certo sempre del tuo al ciel salire
come di cosa ch'uom vede da presso.
Come Dio et Natura avrebben messo
in un cor giovenil tanta vertute,
se l'eterna salute
non fusse destinata al tuo ben fare,
o de l'anime rare,
ch'altamente vivesti qui tra noi,
et che súbito al ciel volasti poi?

Ma io che debbo altro che pianger sempre,
misero et sol, che senza te son nulla ?
Ch'or fuss'io spento al latte et a la culla,
per non provar de l'amorose tempre!»
Et ella: «A che pur piangi et ti distempre ?
Quanto era meglio alzar da terra l'ali,
et le cose mortali
et queste dolci tue fallaci ciance
librar con giusta lance,
et seguir me, s'è ver che tanto m'ami,
cogliendo omai qualchun di questi rami!»

«I' volea demandar - respond'io allora - :
Che voglion importar quelle due frondi ?» -
Et ella: «Tu medesmo ti rispondi,
tu la cui penna tanto l'una honora:
palma è victoria, et io, giovene anchora,
vinsi il mondo, et me stessa; il lauro segna
trïumpho, ond'io son degna,
mercé di quel Signor che mi die' forza.
Or tu, s'altri ti sforza,
a Lui ti volgi, a Lui chiedi soccorso,
sí che siam Seco al fine del tuo corso».

«Son questi i capei biondi, et l'aureo nodo,
- dich'io - ch'ancor mi stringe, et quei belli occhi
che fur mio sol?» «Non errar con li sciocchi,
né parlar - dice - o creder a lor modo.
Spirito ignudo sono, e 'n ciel mi godo:
quel che tu cerchi è terra, già molt'anni,
ma per trarti d'affanni
m'è dato a parer tale; et anchor quella
sarò, piú che mai bella,
a te piú cara, sí selvaggia et pia,
salvando inseme tua salute et mia».

I' piango; et ella il volto
co le sue man' m'asciuga, et poi sospira
dolcemente, et s'adira
con parole che i sassi romper ponno:
et dopo questo si parte ella, e 'l sonno.


Quand mon suave et fidèle confort, pour rendre le repos à ma vie fatiguée, vient se poser sur le côté gauche de mon lit, avec son doux et affable raisonnement, tout pâle de pitié et de peur, je dis : « — D’où viens-tu à cette heure, ô bienheureuse âme ? — » Elle tire de son beau sein un petit rameau de palme, et un autre de laurier, et dit : « — Je me suis départie du beau ciel Empyrée et de ces saintes régions, et je viens uniquement pour te consoler. — »

Par gestes et en paroles je la remercie humblement, et puis je lui demande : « — Or, d’où sais-tu mon état ? — » Et elle : « — Les tristes flots de pleurs dont jamais tu n’es rassasié, et le vent de tes soupirs, à travers tout l’espace arrivent au ciel et troublent ma paix. Te déplaît-il donc si fort que j’aie quitté cette misérable vie pour arriver à une meilleure, alors que cela devrait te plaire, si tu m’aimas autant que tu le montras par ton air et par tes discours ? —

Je réponds : « — Je ne pleure pas sur un autre que moi-même, qui suis resté au milieu des ténèbres et des souffrances, toujours aussi certain que tu étais montée au ciel, qu’on est sûr d’une chose qu’on voit de près. Comment Dieu et la Nature auraient-ils mis tant de vertu en un cœur juvénile, si le salut éternel n’avait pas été réservé d’avance à ton bien faire, ô toi, l’une des âmes rares, qui vécus saintement parmi nous, et puis t’envolas subitement au ciel !

« Mais moi, que dois-je faire, sinon pleurer toujours, misérable et seul, car sans toi je ne suis rien ? Que n’ai-je été étouffé à la mamelle et au berceau, afin de ne pas subir les amoureuses épreuves ! — » Et elle : « — Pourquoi pleures-tu, et te consumes-tu ? Combien eût-il mieux valu d’élever tes ailes au dessus de la terre ; et de peser dans une juste balance les choses mortelles et tes douces et trompeuses folies ; et de me suivre, s’il est vrai que tu m’aimes tant, cueillant désormais quelques-uns des rameaux que voici ! — »

« — Je voulais demander — réponds-je alors — ce que veulent signifier ces deux feuillages. — » Et elle : « — Toi-même tu réponds, toi dont la plume a tant honoré l’un d’eux. La palme, c’est la victoire ; et moi, jeune encore, j’ai vaincu le monde et moi-même ; le laurier est le signe du triomphe dont je suis digne, grâce à ce Seigneur qui me donna la force. Maintenant toi, si quelqu’un te fait violence, tourne-toi vers lui, demande-lui secours, afin que nous soyons avec lui à la fin de ta course. — »

« — Sont-ce là ces cheveux blonds et ce nœud doré — dis-je — qui me lie encore, et ces beaux yeux qui furent mon Soleil ? — » « — Ne divague pas avec les sots ; ne parle pas — dit-elle — et ne crois pas à leur façon. Je suis un pur esprit, et je me réjouis dans le ciel. Ce que tu cherches est déjà réduit en terre depuis longues années ; mais pour te tirer d’angoisse, il m’est donné de t’apparaître ainsi. Et, plus belle que jamais, et à toi plus chère, je serai encore une autre fois celle que je fus, quand, si sauvage et en même temps compatissante, je sauvegardais à la fois ton salut et le mien. — »

Je pleure, et elle avec ses mains m’essuie le visage ; et puis elle soupire doucement ; et elle s’afflige avec des paroles capables de rompre les rochers ; et après cela, elle part et le sommeil avec elle.


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Canzone M-07

Amour, pour se disculper, fait le plus bel éloge de Laure.


Quel'antiquo mio dolce empio signore
fatto citar dinanzi a la reina
che la parte divina
tien di natura nostra e 'n cima sede,
ivi, com'oro che nel foco affina,
mi rappresento carco di dolore,
di paura et d'orrore,
quasi huom che teme morte et ragion chiede;
e 'ncomincio: - Madonna, il manco piede
giovenetto pos'io nel costui regno,
ond'altro ch'ira et sdegno
non ebbi mai; et tanti et sí diversi
tormenti ivi soffersi,
ch'alfine vinta fu quell'infinita
mia patïentia, e 'n odio ebbi la vita.

Cosí 'l mio tempo infin qui trapassato
è in fiamma e 'n pene: et quante utili honeste
vie sprezzai, quante feste,
per servir questo lusinghier crudele !
Et qual ingegno à sí parole preste,
che stringer possa 'l mio infelice stato,
et le mie d'esto ingrato
tante et sí gravi e sí giuste querele ?
O poco mèl, molto aloè con fele!
In quanto amaro à la mia vita avezza
con sua falsa dolcezza,
la qual m'atrasse a l'amorosa schiera!
Che s'i' non m'inganno, era
disposto a sollevarmi alto da terra:
e' mi tolse di pace et pose in guerra.

Questi m'à fatto men amare Dio
ch'i' non deveva, et men curar me stesso:
per una donna ò messo
egualmente in non cale ogni pensero.
Di ciò m'è stato consiglier sol esso,
sempr'aguzzando il giovenil desio
a l'empia cote, ond'io
sperai riposo al suo giogo aspro et fero.
Misero, a che quel chiaro ingegno altero,
et l'altre doti a me date dal cielo ?
ché vo cangiando 'l pelo,
né cangiar posso l'ostinata voglia:
cosí in tutto mi spoglia
di libertà questo crudel ch'i' accuso,
ch'amaro viver m'à vòlto in dolce uso.

Cercar m'à fatto deserti paesi,
fiere et ladri rapaci, hispidi dumi,
dure genti et costumi,
et ogni error che' pellegrini intrica,
monti, valli, paludi et mari et fiumi,
mille lacciuoli in ogni parte tesi;
e 'l verno in strani mesi,
con pericol presente et con fatica:
né costui né quell'altra mia nemica
ch'i' fuggía, mi lasciavan sol un punto;
onde, s'i' non son giunto
anzi tempo da morte acerba et dura,
pietà celeste à cura
di mia salute, non questo tiranno
che del mio duol si pasce, et del mio danno.

Poi che suo fui non ebbi hora tranquilla,
né spero aver, et le mie notti il sonno
sbandiro, et piú non ponno
per herbe o per incanti a sé ritrarlo.
Per inganni et per forza è fatto donno
sovra miei spirti; et non sonò poi squilla,
ov'io sia, in qual che villa,
ch'i' non l'udisse. Ei sa che 'l vero parlo:
ché legno vecchio mai non róse tarlo
come questi 'l mio core, in che s'annida,
et di morte lo sfida.
Quinci nascon le lagrime e i martiri,
le parole e i sospiri,
di ch'io mi vo stancando, et forse altrui.
Giudica tu, che me conosci et lui. -

Il mio adversario con agre rampogne
comincia: - O donna, intendi l'altra parte,
ché 'l vero, onde si parte
quest'ingrato, dirà senza defecto.
Questi in sua prima età fu dato a l'arte
da vender parolette, anzi menzogne;
né par che si vergogne,
tolto da quella noia al mio dilecto,
lamentarsi di me, che puro et netto,
contra 'l desio, che spesso il suo mal vòle,
lui tenni, ond'or si dole,
in dolce vita, ch'ei miseria chiama:
salito in qualche fama
solo per me, che 'l suo intellecto alzai
ov'alzato per sé non fôra mai.

Ei sa che 'l grande Atride et l'alto Achille,
et Hanibàl al terren vostro amaro,
et di tutti il piú chiaro
un altro et di vertute et di fortuna,
com'a ciascun le sue stelle ordinaro,
lasciai cader in vil amor d'ancille:
et a costui di mille
donne electe, excellenti, n'elessi una,
qual non si vedrà mai sotto la luna,
benché Lucretia ritornasse a Roma;
et sí dolce ydïoma
le diedi, et un cantar tanto soave,
che penser basso o grave
non poté mai durar dinanzi a lei.
Questi fur con costui li 'nganni mei.

Questo fu il fel, questi li sdegni et l'ire,
piú dolci assai che di null'altra il tutto.
Di bon seme mal frutto
mieto; et tal merito à chi 'ngrato serve.
Sí l'avea sotto l'ali mie condutto,
ch'a donne et cavalier piacea il suo dire;
et sí alto salire
i''l feci, che tra' caldi ingegni ferve
il suo nome et de' suoi detti conserve
si fanno con diletto in alcun loco;
ch'or saria forse un roco
mormorador di corti, un huom del vulgo:
i' l'exalto et divulgo,
per quel ch'elli 'mparò ne la mia scola,
et da colei che fu nel mondo sola.

Et per dir a l'extremo il gran servigio,
da mille acti inhonesti l'ò ritratto,
ché mai per alcun pacto
a lui piacer non poteo cosa vile:
giovene schivo et vergognoso in acto
et in penser, poi che fatto era huom ligio
di lei ch'alto vestigio
li 'mpresse al core, et fecel suo simíle.
Quanto à del pellegrino et del gentile,
da lei tene, et da me, di cui si biasma.
Mai nocturno fantasma
d'error non fu sí pien com'ei vèr' noi:
ch'è in gratia, da poi
che ne conobbe, a Dio et a la gente.
Di ciò il superbo si lamenta et pente.

Ancor, et questo è quel che tutto avanza,
da volar sopra 'l ciel li avea dat'ali
per le cose mortali,
che son scala al fattor, chi ben l'estima;
ché mirando ei ben fiso quante et quali
eran vertuti in quella sua speranza,
d'una in altra sembianza
potea levarsi a l'alta cagion prima;
et ei l'à detto alcuna volta in rima,
or m'à posto in oblio con quella donna
ch'i' li die' per colonna
de la sua frale vita. - A questo un strido
lagrimoso alzo et grido:
- Ben me la die', ma tosto la ritolse. -
Responde: - Io no, ma Chi per sé la volse. -

Alfin ambo conversi al giusto seggio,
i' con tremanti, ei con voci alte et crude,
ciascun per sé conchiude:
- Nobile donna, tua sententia attendo. -
Ella allor sorridendo:
- Piacemi aver vostre questioni udite,
ma piú tempo bisogna a tanta lite. -


Ce doux et impitoyable seigneur qui est depuis longtemps le mien, ayant été cité par moi devant la reine qui possède la portion divine de notre nature et en occupe le sommet, je m’y présente semblable à l’or qui s’affine dans le feu, chargé de douleur, de crainte et d’horreur, comme un homme qui craint la mort et demande justice ; et je commence : « — Madame, tout jeune, je mis le pied gauche dans le royaume de celui-ci, dont je n’ai jamais obtenu que colère et dédain ; et j’y ai souffert tant et de si divers tourments, qu’à la fin ma patience, bien qu’infinie, fut vaincue, et que j’en eus la vie en haine.

«  Ainsi mon temps s’est jusqu’ici passé dans la flamme et dans les peines ; et combien de voies utiles et honnêtes, combien de joies j’ai dédaignées, pour servir ce trompeur cruel ! Et quel esprit a les paroles assez promptes pour pouvoir résumer mon état infortuné, et les reproches si nombreux, et si graves et si justes que j’ai faits de cet ingrat ? Oh ! j’ai goûté peu de miel, et beaucoup d’aloès mêlé au fiel. En quelle amertume il a jeté ma vie, avec sa fausse douceur qui m’entraîna vers l’amoureuse troupe ! Car, si je ne me trompe, j’étais disposé à m’élever au-dessus de la terre ; et il m’a enlevé à la paix et m’a livré à la guerre.

« Il m’a fait moins aimer Dieu que je ne devais, et avoir moins soin de moi-même ; pour ma dame, j’ai eu toute pensée en un égal dédain. En cela, lui seul a été mon conseiller, aiguisant sans cesse le juvénile désir à l’impitoyable pierre où j’espérais me reposer de son joug âpre et féroce. Malheureux ! à quoi m’ont servi le génie clairvoyant et altier, et les autres dons que m’a faits le ciel, que je m’en vais changeant de cheveux, et ne peux changer ma volonté obstinée ? Il m’a tellement dépouillé de toute liberté, ce cruel que j’accuse, qu’il m’a changé la vie amère en douce habitude.

« Il m’a fait chercher les pays déserts, les bêtes sauvages et les larrons rapaces, les fourrés pleins d’épines, les gens cruels et les coutumes barbares, et toutes les erreurs qui entravent les voyageurs : monts, vallées, marais, et mers et fleuves ; mille lacets de tous côtés tendus ; et l’hiver en des mois inaccoutumés ; tout cela au milieu de fatigues et de périls toujours présents. Et ni celui-ci, ni mon autre ennemie que je fuyais, ne me laissaient seul un instant. Donc, si je n’ai pas, avant le temps, été atteint par une mort acerbe et cruelle, c’est que la pitié céleste a pris soin de mon salut, et non pas ce tyran qui se repaît de mon deuil et de mes maux.

« Depuis que je suis devenu sien, je n’ai pas eu une heure tranquille, et je n’espère pas en avoir ; et mes nuits ont banni le sommeil, et je ne peux plus, ni par herbes, ni par enchantements, le leur ramener. Par ruse et par force, il est devenu maître de mes esprits ; et depuis, il n’a pas sonné de cloche, en quelque endroit que ce soit, que je ne l’entendisse. Il sait que je dis vrai, car jamais ver n’a rongé un vieux bois, comme celui-ci a rongé mon cœur où il a fait son nid, et qu’il défie à mort. De là naissent les larmes et les tourments, les paroles et les soupirs dont je finis par me fatiguer et peut-être aussi autrui. Juge, toi qui me connais ainsi que lui. — »

Mon adversaire, avec d’aigres reproches, commence : « — Ô dame, écoute l’autre partie qui dira sans faute la vérité dont s’écarte cet ingrat. Celui-ci, dès son premier âge, fut adonné à l’art de vendre des paroles futiles, ou plutôt des mensonges ; et il ne paraît pas avoir honte, ayant été délivré de cet ennui pour goûter mes plaisirs, de se plaindre de moi qui l’ai conservé pur et net contre le désir qui souvent l’entraînait vers son mal ; voilà pourquoi il se lamente maintenant dans cette douce vie qu’il nomme misère, alors que par moi seul il est parvenu à quelque renommée, car j’ai élevé son intelligence où, par elle-même, elle ne se serait jamais élevée.

« Il sait que le grand Atride, et le sublime Achille, et Annibal si funeste à votre pays, et un autre encore, le plus illustre de tous par le mérite et la fortune, je les laissai, ainsi que leurs étoiles l’avaient ordonné pour chacun, tomber en un vil amour pour des servantes ; et pour celui-ci, entre mille dames choisies parmi les excellentes, j’en ai choisi une comme il ne s’en verra jamais sous la lune, quand même Lucrèce retournerait à Rome ; et je lui donnai un idiome si doux et un chant si suave, que jamais une pensée basse ou pesante ne put durer devant elle. Telles furent mes tromperies envers celui-ci.

« Tel fut le fiel, tels furent les dédains et les colères, plus doux de beaucoup que tout ce qu’aurait pu lui donner aucune autre. D’une bonne semence, je récolte un mauvais fruit, et voilà la récompense qu’obtient celui qui sert un ingrat. Je l’avais si bien conduit sous mes ailes, que sa façon de dire plaisait aux dames et aux cavaliers ; et je le fis monter si haut, que son nom bouillonne parmi les plus chauds génies, et qu’en tous lieux on conserve précieusement ses écrits. Alors qu’il serait peut-être maintenant un discoureur enroué de cour, un homme du vulgaire, je l’exalte et le rends fameux, grâce à ce qu’il apprit dans mon école, et de celle qui fut unique au monde.

« Et pour dire en somme le grand service que je lui ai rendu, je l’ai détourné de mille actions déshonnètes ; car jamais, quelque pacte qu’on lui ait proposé, il ne put se complaire à une chose vile. Jeune, il fut réservé et plein de vergogne dans ses actes et dans ses pensées, depuis qu’il est devenu homme lige de celle qui lui imprima au cœur une marque sublime et le fit semblable à elle. Tout ce qu’il a de remarquable et de noble, il le tient d’elle et de moi dont il se plaint. Jamais nocturne fantôme ne fut si plein d’erreur, que celui-ci ne l’est envers nous ; car, depuis qu’il nous connaît, il a été en faveur auprès de Dieu et des hommes ; de cela, l’orgueilleux se lamente et le regrette.

« En outre — et voici qui surpasse tout — je lui avais donné des ailes pour voler jusqu’au plus haut du ciel, à travers les choses mortelles qui sont une échelle vers le Créateur pour qui le comprend bien. Car en regardant bien attentivement combien et quelles étaient les vertus contenues dans cette espérance, il pouvait, d’une chose visible à une autre, s’élever jusqu’à la cause première ; et il l’a dit lui-même plus d’une fois dans ses rimes. Maintenant, il m’a mis en oubli avec cette dame que je lui donnai pour colonne de sa frêle vie. — » Sur quoi, je pousse une larmoyante clameur, et je crie : « — Il me la donna bien, mais il me la reprit vite. — » Il répond : « — Ce n’est pas moi, mais celui qui la voulut pour lui. — »

À la fin, tournés tous les deux vers le siège de la justice, moi avec un accent tremblant, et lui avec une voix haute et cruelle, chacun conclut pour soi : noble Dame, j’attends ta sentence. Elle alors, souriant : « — Il me plaît d’avoir entendu vos requêtes ; mais il faut plus de temps pour juger en un si grand procès. — »


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Canzone M-08

Repentant, il invoque Marie, et la conjure de le secourir pendant sa vie et à sa mort.


Vergine bella, che di sol vestita,
coronata di stelle, al sommo Sole
piacesti sí, che 'n te Sua luce ascose,
amor mi spinge a dir di te parole:
ma non so 'ncominciar senza tu' aita,
et di Colui ch'amando in te si pose.
Invoco lei che ben sempre rispose,
chi la chiamò con fede:
Vergine, s'a mercede
miseria extrema de l'humane cose
già mai ti volse, al mio prego t'inchina,
soccorri a la mia guerra,
bench'i' sia terra, et tu del ciel regina.

Vergine saggia, et del bel numero una
de le beate vergini prudenti,
anzi la prima, et con piú chiara lampa;
o saldo scudo de l'afflicte genti
contra colpi di Morte et di Fortuna,
sotto 'l qual si trïumpha, non pur scampa;
o refrigerio al cieco ardor ch'avampa
qui fra i mortali sciocchi:
Vergine, que' belli occhi
che vider tristi la spietata stampa
ne' dolci membri del tuo caro figlio,
volgi al mio dubbio stato,
che sconsigliato a te vèn per consiglio.

Vergine pura, d'ogni parte intera,
del tuo parto gentil figliola et madre,
ch'allumi questa vita, et l'altra adorni,
per te il tuo figlio, et quel del sommo Padre,
o fenestra del ciel lucente altera,
venne a salvarne in su li extremi giorni;
et fra tutt'i terreni altri soggiorni
sola tu fosti electa,
Vergine benedetta,
che 'l pianto d'Eva in allegrezza torni.
Fammi, ché puoi, de la Sua gratia degno,
senza fine o beata,
già coronata nel superno regno.

Vergine santa d'ogni gratia piena,
che per vera et altissima humiltate
salisti al ciel onde miei preghi ascolti,
tu partoristi il fonte di pietate,
et di giustitia il sol, che rasserena
il secol pien d'errori oscuri et folti;
tre dolci et cari nomi ài in te raccolti,
madre, figliuola et sposa:
Vergina glorïosa,
donna del Re che nostri lacci à sciolti
et fatto 'l mondo libero et felice,
ne le cui sante piaghe
prego ch'appaghe il cor, vera beatrice.

Vergine sola al mondo senza exempio,
che 'l ciel di tue bellezze innamorasti,
cui né prima fu simil né seconda,
santi penseri, atti pietosi et casti
al vero Dio sacrato et vivo tempio
fecero in tua verginità feconda.
Per te pò la mia vita esser ioconda,
s'a' tuoi preghi, o Maria,
Vergine dolce et pia,
ove 'l fallo abondò, la gratia abonda.
Con le ginocchia de la mente inchine,
prego che sia mia scorta,
et la mia torta via drizzi a buon fine.

Vergine chiara et stabile in eterno,
di questo tempestoso mare stella,
d'ogni fedel nocchier fidata guida,
pon' mente in che terribile procella
i' mi ritrovo sol, senza governo,
et ò già da vicin l'ultime strida.
Ma pur in te l'anima mia si fida,
peccatrice, i' no 'l nego,
Vergine; ma ti prego
che 'l tuo nemico del mio mal non rida:
ricorditi che fece il peccar nostro,
prender Dio per scamparne,
humana carne al tuo virginal chiostro.

Vergine, quante lagrime ò già sparte,
quante lusinghe et quanti preghi indarno,
pur per mia pena et per mio grave danno!
Da poi ch'i' nacqui in su la riva d'Arno,
cercando or questa et or quel'altra parte,
non è stata mia vita altro ch'affanno.
Mortal bellezza, atti et parole m'ànno
tutta ingombrata l'alma.

Vergine sacra et alma,
non tardar, ch'i' son forse a l'ultimo anno.
I dí miei piú correnti che saetta
fra miserie et peccati
sonsen' andati, et sol Morte n'aspetta.

Vergine, tale è terra, et posto à in doglia
lo mio cor, che vivendo in pianto il tenne
et de mille miei mali un non sapea:
et per saperlo, pur quel che n'avenne
fôra avenuto, ch'ogni altra sua voglia
era a me morte, et a lei fama rea.
Or tu donna del ciel, tu nostra dea
(se dir lice, e convensi),
Vergine d'alti sensi,
tu vedi il tutto; e quel che non potea
far altri, è nulla a la tua gran vertute,
por fine al mio dolore;
ch'a te honore, et a me fia salute.

Vergine, in cui ò tutta mia speranza
che possi et vogli al gran bisogno aitarme,
non mi lasciare in su l'extremo passo.
Non guardar me, ma Chi degnò crearme;
no 'l mio valor, ma l'alta Sua sembianza,
ch'è in me, ti mova a curar d'uom sí basso.
Medusa et l'error mio m'àn fatto un sasso
d'umor vano stillante:
Vergine, tu di sante
lagrime et pïe adempi 'l meo cor lasso,
ch'almen l'ultimo pianto sia devoto,
senza terrestro limo,
come fu 'l primo non d'insania vòto.

Vergine humana, et nemica d'orgoglio,
del comune principio amor t'induca:
miserere d'un cor contrito humile.
Che se poca mortal terra caduca
amar con sí mirabil fede soglio,
che devrò far di te, cosa gentile ?
Se dal mio stato assai misero et vile
per le tue man' resurgo,
Vergine, i' sacro et purgo
al tuo nome et penseri e 'ngegno et stile,
la lingua e 'l cor, le lagrime e i sospiri.
Scorgimi al miglior guado,
et prendi in grado i cangiati desiri.

Il dí s'appressa, et non pòte esser lunge,
sí corre il tempo et vola,
Vergine unica et sola,
e 'l cor or coscïentia or morte punge.
Raccomandami al tuo figliuol, verace
homo et verace Dio,
ch'accolga 'l mïo spirto ultimo in pace.


Vierge belle, qui de soleil vêtue, couronnée d’étoiles, plus tellement au souverain Soleil, qu’il cacha sa lumière en toi ; Amour me pousse à parler de toi, mais je ne sais pas commencer sans ton aide et sans l’aide de celui qui, dans son amour, s’est reposé en toi. J’invoque celle qui répondit toujours à qui l’appela avec la foi. Vierge, si jamais l’extrême misère des choses humaines t’amena à merci, incline-toi à ma prière ; soutiens-moi dans cette guerre, bien que je sois poussière, et que tu sois reine du ciel.

Vierge sage, et l’une du beau groupe des bienheureuses vierges prudentes, ou plutôt la première, celle dont la lampe est la plus claire ; ô solide bouclier des affligés contre les coups de la Mort et de la Fortune, sous lequel on trouve le triomphe et non pas seulement le salut ; ô soulagement à l’ardeur aveugle qui consume ici-bas les mortels insensés ; vierge, ces beaux yeux qui virent avec tristesse les plaies impies faites aux doux membres de ton cher fils, tourne-les sur ma périlleuse situation ; car, étant sans résolution, je viens à toi pour avoir un conseil.

Vierge pure, en tout parfaite, de ton noble fruit fille et mère, toi qui illumines cette vie et embellis l’autre ; c’est par toi que ton fils et celui du Père souverain, ô brillante et sublime fenêtre du ciel, vint pour nous sauver aux jours suprêmes ; et qui, parmi tous les autres terrestres séjours, a été seule élue, vierge bénie, pour changer en allégresse les pleurs d’Eve. Fais-moi, tu le peux, digne de sa grâce, ô toi éternellement bienheureuse, et qui fus autrefois couronnée dans le royaume céleste.

Vierge sainte, pleine de toutes les grâces, qui par une vraie et très haute humilité montas au ciel d’où tu écoutes mes prières ; tu enfantas la source de pitié et le Soleil de justice qui rassérène les siècles remplis d’erreurs obscures et épaisses. Tu possèdes réunis en toi trois noms doux et chers : mère, fille et épouse ; vierge glorieuse, Dame du Roi qui as brisé nos liens et fait le monde libre et heureux, et dans les saintes plaies duquel je te prie, véritable bienfaitrice, de contenter mon cœur.

Vierge unique au monde, sans modèle ; qui as énamouré le ciel de tes beautés ; qui n’as eu ni supérieure, ni pareille, ni seconde ; tes saints pensers, tes actes pieux et chastes firent au vrai Dieu un temple sacré et vivant dans ta virginité féconde. Par toi ma vie peut être joyeuse, si à tes prières, ô Marie, vierge douce et pieuse, la grâce abonde là où abonda le péché. Les genoux de l’âme ployés, je te prie d’être mon guide, et de redresser ma voie tortueuse vers une bonne fin.

Vierge resplendissante et stable dans l’éternité, étoile de cette mer tempétueuse, guide sûr de tout fidèle nocher ; regarde en quelle terrible tourmente je me retrouve, sans gouvernail, et déjà je suis près de pousser le cri suprême. Mais pourtant mon âme en toi se fie. C’est une pécheresse, je ne le nie pas, ô vierge ; mais je te prie de ne pas laisser ton ennemi rire de mon mal ; ressouviens-toi que c’est notre péché qui a fait que Dieu, pour nous sauver, s’incarna sous une forme humaine en ton flanc virginal.

Vierge, que de larmes j’ai déjà répandues, que de supplications et de prières adressées en vain et seulement pour ma peine et à mon grave détriment ! Depuis que je naquis sur la rive de l’Arno, cherchant tantôt dans un lieu et tantôt dans un autre, ma vie n’a pas été autre chose qu’un tourment. La beauté mortelle, les actes et les paroles ont anéanti toute mon âme. Vierge sacrée et sublime, ne tarde pas, car je suis peut-être à ma dernière année. Mes jours plus rapides que la flèche, se sont écoulés entre les misères et les péchés, et la mort seule m’attend.

Vierge, elle est poussière et elle a mis mon cœur en deuil, celle qui, vivante, le tint dans les pleurs, et ne savait pas une seule de mes mille souffrances, et quand elle l’aurait su, ce qui advint n’en serait pas moins advenu, car tout autre désir de sa part eût été la mort pour moi, et pour elle une coupable renommée. Maintenant toi, Dame du ciel, toi notre divinité — si parler ainsi est licite et convenable — vierge au sens élevé, tu vois tout ; et ce que d’autres ne pouvaient faire, n’est rien pour ta grande puissance ; mets fin à ma douleur ; ce sera un honneur pour toi, et pour moi le salut.

Vierge, en qui j’ai mis le complet espoir que tu pourras et voudras m’aider en ce grand besoin, ne m’abandonne pas au moment du suprême passage. Regarde non pas moi, mais celui qui daigna me créer ; que ce soit non pas mon mérite, mais sa sublime semblance qui est en moi, qui te pousse à avoir cure d’un homme si infime. Méduse et mon erreur ont fait de moi un rocher distillant une eau vaine ; Vierge, remplis de larmes saintes et pieuses mon cœur fatigué : qu’au moins mes derniers pleurs soient pleins de dévotion et débarrassés du limon terrestre, si les premiers ne furent pas exempts de folie.

Vierge compatissante et ennemie de l’orgueil, que l’amour de notre principe commun te touche ; aie pitié d’un cœur contrit, humble ; car si je continue àaimer avec une si admirable fidélité un peu de terre périssable, que devrai-je faire pour toi, chose si noble ? Si par tes mains je me relève de mon état si misérable et vil, ô vierge, je consacre et je purifie àton nom et mes pensées, et mon génie, et mon style, ma langue et mon cœur, mes larmes et mes soupirs. Conduis-moi vers un meilleur gué, et accueille favorablement mes désirs si changés.

Le jour s’approche et ne peut être loin, tellement le temps court et vole, ô vierge unique et seule ; et mon cœur est aiguillonné tantôt par la conscience, tantôt par la mort. Recommande-moi à ton Fils, vrai homme et vrai Dieu, afin qu’à mon dernier soupir il me reçoive en paix.

 


Pétrarque

 

02 petrarque