Nous venions de monter en haut de l’escalier Faisant le tour du pic, une longue corniche On n’y voit pas d’image ou de signe visible (131) ; « S’il faut attendre ici des gens qui nous renseignent, Puis il leva les yeux du côté du soleil « Toi, sur la foi de qui j’entreprends ce chemin Tu réchauffes le monde et fournis sa lumière ; Nous avions à peu près parcouru la distance quand j’entendis soudain des esprits qui volaient La première des voix qui passait en volant Son écho n’était pas tout à fait effacé, « Oh ! père, dis-je alors, quelles sont donc ces voix ? » Mon bon maître me dit : « C’est le péché d’envie Le frein, pour mieux agir, travaille en sens contraire ; Mais tâche de fixer ton regard devant toi, Alors, ouvrant les yeux plus grands qu’auparavant Nous nous étions à peine approchés de leur troupe, Je crois que sur la terre il n’est pas un seul homme, car, arrivant enfin assez près de leur groupe On les voyait couverts de miséreux cilices ; Les aveugles qui n’ont aucun moyen de vivre dans le but d’attendrir les passants qui les voient, Comme pour les berlus le soleil dort toujours, car leur paupière était d’un fil de fer percée, J’eus peur, en m’avançant, de ne pas faire outrage Sans doute comprit-il le sens de mon silence, Virgile se tenait du côté de la route et les esprits dévots, assis sur l’autre bord, Je me tournai vers eux et leur dis : « Âmes sûres que la grâce d’en haut réduise les écumes Dites-moi, car j’aurais du plaisir à l’entendre, « Frère, tous les esprits ont le droit de cité Une ombre avait parlé, qui paraissait attendre ; « Esprit qui pour monter, ainsi te disciplines, « J’étais, dit-elle alors, de Sienne ; et nous purgeons, Bien que j’eusse porté le nom de Sapia (137), Et si jamais tu crois que je veux te tromper, Tous mes concitoyens se trouvaient près de Colle (138), Ils y furent défaits et contraints à la fuite au point que, cherchant Dieu d’un regard téméraire, Sur la fin de mes jours, je voulus avec Dieu si ce n’avait été par l’intercession Mais dis, qui donc es-tu, toi qui nous interroges « Un jour, dis-je, à mon tour j’aurai les yeux cousus ; Mais une peur plus grande assaille mon esprit, Elle me demanda : « Qui t’enseigna la route, Je suis encor vivant ; partant, esprit élu, « Cela, dit-elle alors, sort bien de l’ordinaire ! Par ton plus cher désir je t’en fais la demande : Tu les retrouveras parmi ce peuple vain mais les entrepreneurs y perdront plus que tous. »
--- ↑ haut ↑ -------------------------------------------- ↑ haut ↑ ---
131 - On n’y trouve pas des représentations plastiques, comme sur la corniche et le long de la route, sur la terrasse précédente. 132 - Ces voix qui passent dans les airs offrent aux âmes pénitentes des exemples insignes d’amour du prochain : c’est la vertu dont les envieux ont le plus besoin. 133 - Paroles de charité, dites par la Vierge à son Fils, lors des noces de Cana. 134 - Ces mots sont censés prononcés par Pylade, qui voulut se faire passer pour Oreste, pour mourir à sa place, en Tauride, donnant ainsi un clair exemple d’amitié. 135 - Précepte évangélique : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Mat. V : 43). 136 - Le Léthé, qui fait oublier à l’âme déjà purifiée jusqu’au souvenir de ses fautes de jadis. 137 - Sapia, Siennoise, tante de Provenzan Salvani (cf. plus haut, la note 113) et femme de Ghinibaldo Saracini, seigneur de Castiglioncello ; elle mourut entre 1274 et 1289. Selon Benvenuto da Imola, elle souhaitait si ardemment la défaite de ses compatriotes, qu’elle avait promis de se jeter par la fenêtre, si les Siennois rentraient victorieux. Cf. U. Frittelli, Si può rinfimar Sapia ? Chiosa dantesca, Sienne 1920 ; A. Lisini, A proposito di una recente publicazione su ta Sapia dantesca, dans Bullettino sanese di storia patria, XXVII, 1920, pp. 61-89. 138 - La bataille de Colle di Valdelsa (1269), où les Siennois furent défaits par les Florentins et où Provenzan Salvani trouva la mort. 139 - Pier Pettinaio, tertiaire franciscain, mourut en odeur de sainteté, en 1289. Cf. Vita del B. Pietro Pettinajo Sanese, volgarizzata da una leggenda latina [di Fra Pietro da Montermi] del 1333 per F. Serafino Ferri, Vanno 1508, corretta e riordinata dal P. M. De Angelis, Sienne 1802. 140 - Le poète craint moins la terrasse des envieux que celle des orgueilleux, puisqu’il se sent plus coupable de ce vice-ci que de celui-là. 141 - Talamon était un port sur la côte toscane, non loin d’Orbetello. Les Siennois l’achetèrent en 1303 et y firent H grands travaux, car ils ne disposaient pas d’une autre sortie à la mer libre ; cependant ils ne recueillirent pas le fruit de leurs peines, car ce port, situé aux confins de maremme siennoise, ne jouissait pas d’un bon climat et n’attira guère les habitants. 142 - Le bruit avait couru qu’un grand cours d’eau, qu’on appelait la Diane, coulait au-dessous de la ville de Sienne. Les Siennois ne disposaient que de quantités insuffisantes d’eau : ils firent de grosses dépenses pour chercher cette nappe d’eau, qui n’apparut jamais. Nous ne savons s’il s’agit d’un fait historique ou de quelque anecdote malveillante inventée par les Florentins.
|
Dante
|