Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

Chanson



O combien est heureuse
La peine de celer
Une flamme amoureuse
Qui deux cœurs fait brusler,
Quand chacun d'eux s'attend
D'estre bien-tost content !
On me dit que je taise
Mon apparent désir
Et feigne qu'il me plaise
Nouvel amy choisir ;
Mais forte affection
N'a point de fiction.
Vostre amour foible et lente
Vous fait ainsi discret:
La mienne violente
N'entend point le secret.

Amour nulle saison
N'est amy de raison  
Si mon feu sans fumée
Est évident et chaud,
Estant de vous aymée
Du reste il ne me chaut.
Soit mon feu veu de tous,
Et seul senti de vous.
Que me sert que je soye
Avecques Prince ou Roy,
Et qu'ailleurs je vous voye
Sans approcher de moy ?
La peur du changement
Me donne grand tourment.
Si femme en ma présence
Autre vous entretient,
Amour veut que je pense
Que cela m'appartient ;
Car luy, et longue foy
Vous doivent tout à moy.
Quand par bonne fortune
Serez mien de tout point,
Lors parlez à chacune
Je ne m'en plaindray point.
Bien vous pri' cependant
N'estre ailleurs prétendant.
Vous semble-il que la veuë
Soit assez entre amis,
Ne me voyant pourveuë
Du bien qu'on m'a promis.

C'est trop peu que des yeux,
Amour veut avoir mieux.
De vous seul je confesse
Que mon cœur est transi.
Si j'estois grand' Princesse
Je dirois tout ainsi.
Si le vostre ainsi fait,
Monstrez-le par effet.

 


Mellin de Saint-Gelais

 

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Cette chanson a été faite pour être chantée par une dame de la cour, mais de médiocre condition, éprise d'un grand seigneur.
Elle est en partie imitée de Properce.