Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

Élégie (ou chanson lamentable) de Vénus sur la mort du bel Adonis



Laissez la verde couleur,
O princesse Cytherée,
Et de nouvelle douleur
Vostre beauté soit parée.
Plorez le fils de Myrrha,
Et sa dure destinée:
Vostre œil plus ne le verra;
Car sa vie est terminée.
Venus, à ceste nouvelle,
Remplit toute la vallée
D'une complainte mortelle,
Et au lieu s'en est allée,
Où le gentil Adonis
Estandu sur la rosée
Avoit ses beaux yeux ternis,
Et de sang l'herbe arrosée.
Dessous une verde branche
Auprès de luy s'est couchée,
Et de sa belle main blanche
Saplayelui a touchée.
O nouvelle cruauté
De voir en pleurs si baignée
La Déesse de beauté
D'ami mort accompagnée !
L'un est blessé et transfix
Aux flancs par beste insensée;
Et l'autre l'est de son fils
Bien avant dans sa pensée.
Mais l'un sa playe ne sent,
Personne ja trespassée;
Et l'autre a le mal récent
De sa douleur amassée.
Toutefois de mort atteint
Il n'a de rien empirée
La grand' beauté de son teint,
Des Nymphes tant désirée.
Mais, comme une rose blanche
De poignant ongle touchée
Ne peut tenir sur la branche,
Et sur une autre est couchée;
Ainsi le piteux amant
Tenoit sa teste appuyée,
Comme il souloit en dormant
Sur sa maistresse ennuyée.
Et ne fust le sang, qui sort
De la partie entamée,
Elle penseroit qu'il dort,
A sa grâce tant aimée.
Autant de sang qu'il espand
Dessus l'herbe colorée,
Autant de larmes respand
La povre amante esplorée.
Le sang rougit mainte fleur,
Qui blanche estoit autour née;
Et mainte est de large pleur
En couleur blanche tournée.
Ce teint leur demourera
Pour enseigne de durée,
Tant que le monde sera,
De leur grand'peine endurée.
Là vindrent de tous les bois
Oiseaux par grande assemblée,
Monstrans à leur triste voix
Combien leur joye est troublée.
Mais sur tout se fait ouïr
La povre désespérée,
Qui pour d'Adonis jouïr
Se souhaite estre expirée.
« O deïté trop cruelle !
O vie trop obstinée !
Làs, que n'ay-je, ce dit-elle,
Une fin prédestinée ?
« O demeure du ciel tiers
Par moy jadis tant prisée,
Combien, et plus volontiers,
J'irois au champ Elisée.
« A la fille de Ceres
Est ma joye abandonnée:
O qu'heureuse je serois
D'estre en sa place ordonnée ?
« Vienne le grand ravisseur
De l'infernale contrée,
Il pourra bien estre seur
D'avoir faveur rencontrée.
« Làs que le ciel ne m'ottroye
Pouvoir morte estre laissée,
Aussi bien que devant Troye
Il me souffrit voir blessée !
« Si je peus lors estre ainsi
Par dure playe offensée,
Pourquoi ne peux je estre aussi
Par mort de deuil dispensée ?
« N'ayez plus sur moi d'envie,
Royne du ciel honorée,
Puis qu'Adonis est sans vie
Peu vaut ma pomme dorée.
« Las! tant ne me contentois
De me la voir adjugée,
Comme heureuse me sentois
D'estre en si bon cœur logée.
« Et vous, povres chiens lassés;
Bestes d'amour asseurée,
Sans Seigneur estes laissés,
Moy sans ami demourée.
« Bien pourrez recouvrer maistre
Aimant la chasse usitée;
Et m'amour ne pourroit estre
En autruy resuscitée.
« De course légère et prompte
Suyviezla beste lancée;
Mais fortune, qui tout dompte,
S'est plus que vous avaneée.
« O violent animal !
O fureur désavouée !
Comme osas-tu faire mal
A chose à Venus vouée ?
« Comme ne peust s'appaiser
Ta dent par ire accrochée
Venant atteindre et baiser
Beauté des Dieux approchée.
« Et vous, ami, trop espris
De vostre force esprouvée,
Si mon conseil eussiez pris
Mieux je m'en fusse trouvée.
« Cerfs, Dains, et bestes fuyantes
Estoyent mieux vostre portée,
Que les iieres et bruyantes,
Qui m'ont tant desconfortée.
« Qu'aviez-vous à faire queste
D'autre proye pourchassée?
Estoit ce peu de conqueste
De m'avoir prinse et lassée ? »
Ainsi faisant triste plaints
Cypris d'espoir desnuée,
Leva ses yeux d'humeurs pleins
Vers le clair ciel sans nuée,
Et vid le soleil couchant
Mettant fin à la journée;
Si fit un souspir tranchant.
Et vers le mort s'est tournée,
Disant : « Las, l'heure est venue,
Que toute chose créée,
De sa peine soustenue
Dormant sera recréée.
« Mais pour moy les jours et nuits
N'ont point d'heure disposée
À terminer mes ennuis
Et me trouver reposée.»
Au son de ses cris indignes
Respond Echo tourmentée,
Et mesme ses deux blancs cygnes
Chanson piteuse ont chantée.
Mais voyant l'obscure nuict
Estre ja presque arrivée.
Ont doucement et sans bruit
Leur maistresse en l'air levée.
Plus elle approche des cieux,
Plus tient la teste baissée;
Et eust volontiers ses yeux
Et sa veue en bas laissée.

 


Mellin de Saint-Gelais

 

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