Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

Épitaphe du passereau d'une Damoiselle



Vénus, déesse de beaulté,
Je me plains de la cruauté
Que la villaine Mort ha faict
En tuant mon oiseau parfaict,
Mon Passereau de plume blonde
gui estoit le plus beau du monde;
Si gay, si prompt, si vigoreux,
Si plaisant et si amoureux
Qu'on ne peut oster de mon esme
Que ce ne fust Amour luy mesme.
Comme Amour aesles il avoit,
Comme Amour voler il sçavoit,
Comme Amour estoit affecté
Et ainsy plein de gayeté.
Vrai est que d'arc ne portoit point;
Mais de son bec pointu qui poingt
En lieu de flèches il s'aidoit,
Faisant aymer ceux qu'il mordoit.
Qu'il ne soit vray, mon cœur ardit
Depuis le temps qu'il me mordit.
D'ond pourroit venir le martyre
De telle amour ? Il faut bien dire
Qu'elle procède de l'oyseau
Ou bien de quelque damoyseau.
Quoy qu'il en soit le pouvre est mort,
Qui de regret trop me remord.
Au matin quand je me levois
J'ouy crier sa tendre voix.
Pi ! Pi ! Pi ! faisoit le petit:
Qui desjà avoit appétit.
Il n'avoit garde de souffrir
Qu'autre du pain luy vint offrir,
Si non ma main qui le paissoit.
Comme mère, il me cognoissoit.
Hélas ! le petit oyselet,
Il mangeoit du miel et du laict,
Tout ainsy qu'une créature.
O Mort, de perverse nature !
Qu'as-tu gaigné de le saisir ?
Mon Dieu ! qu'on me faict desplaisir
Qu'on ne le pleure comme moy !
Je vous promets de bonne foy
Que tout le monde le deust plaindre,
Quant à moy je le ferai peindre,
Pour d'une telle créature
Avoir la belle pourtraicture.
Son petit corsaige joly,
Son petit bec si bien poly,
Sa petite teste follette
Eveillé, comme une bellette,
Ses plumettes si bien lissées,
Ses jambettes tant déliées,
Ses petits pieds d'ond le follastre
A petits saults s'alloit esbattre,
Sa petite queue troussée
Un peu contremont hérissée,
Et son petit je ne scay quoy
Que je tastois du bout du doy ;
Mon Dieu ! que tout ce sera beau
S'il est bien painct en un tableau !
J'oserois bien gager ma vie
Que le roy en auroit envie.
S'il lui plaist il le pourra prendre ;
Mais qu'un autre vint entreprendre
De l'avoir, il s'abuseroit,
Car on le luy refuseroit.

 


Mellin de Saint-Gelais

 

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