Oui, tout Paris sait ta noirceur ; Tout Paris sait ta perfidie. Va chercher maintenant, impie, Quelque stupide adorateur Pour exercer ta dure tyrannie ! Je romps mes fers ; ingrate, je t’oublie ; Le désespoir
t’arrache de mon cœur.
Une autre au rang de ma maîtresse Va monter, le front ceint d’un immortel feston ; Une autre jouira du glorieux renom Que t’avait promis ma tendresse. Pour
elle, sur des tons divers Montant ma voix, dans mon juste délire Je veux des cordes de ma lyre Tirer les plus aimables airs, Et la célébrer dans des vers Si doux, qu’après soixante hivers L’amant se plaise à les relire. Pour tracer son portrait brillant, Je suivrai, s’il le faut, ma douce fantaisie : L’Aurore, au bord de l’orient, Aura paru moins belle aux peuples de l’Asie. Tu pâliras, en le voyant, De fureur et de jalousie. Pardonne, pardonne, Eucharis ; N’en crois pas mes dédains ; n’en crois pas ma colère. Nulle autre n’entrera dans mon lit solitaire ; Nulle autre ne vivra dans mes derniers écrits. Avant que ta beauté sorte de ma mémoire, On verra l’eau suspendre et rebrousser son cours ; Le soleil oubliera de dispenser les jours, Et le peuple français
de voler à la gloire. Sois plus coupable encor, je t’aimerai toujours ; Je t’aimerai : voilà ma destinée. Oui, malgré ton crime odieux, Je ne saurais haïr tes yeux, Ces yeux encor
si chers à mon âme étonnée, Ces yeux, mes souverains, mes astres et mes Dieux. Cent fois par eux (il m’en souvient, cruelle ! ) Tu m’as juré de me garder ta foi, Jusqu’au tombeau
d’être toujours à moi, Et de mourir amoureuse et fidèle.
Tu voulais que ces yeux charmants, Tout d’un coup détachés de leur double paupière, Punissent ton erreur,
si jamais la première On te voyait changer, et trahir tes serments : Et tu peux les lever encore Vers ce ciel outragé qu’indignent tes rigueurs ! Et tu ne frémis pas d’armer ces Dieux vengeurs Que ton impunité trop long-temps déshonore ! Dis-moi : qui te forçait d’imiter la pâleur, Et de meurtrir ton sein de tes ongles barbares ? Dis-moi : qui te forçait, dans ta feinte douleur, De répandre à regret quelques larmes avares ? Fiez-vous donc, tristes amants, Aux soupirs, aux faveurs, aux transports de vos belles. Ah ! croyez-moi : saisissez les instants Qui vous sont accordés par
elles : Il n’est point d’amours éternelles ; Il n’est point de plaisirs constants.