Antoine de Bertin (1752-1790)
Recueil: Les Amours (1780) - Livre II

À un rival


 

Tu ris, dans ta barbare ivresse,
Des maux qu’endure mon amour :
Objet des caprices d’un jour,
Triomphe, insulte à ma détresse ;
Triomphe, crois-moi : le temps presse ;
Demain ta crédule tendresse
Gémira peut-être à son tour.
Crois-tu déjà que l’infidèle
Pour toi parfume ses cheveux ?
On sait quel jeune ambitieux
Est en secret préféré d’elle.
Tu n’es plus rien : c’est à ses yeux
Que l’ingrate veut être belle.
Tu ne connais pas les dédains
De cette amante impérieuse,
Et sa colère impétueuse,
Et ses caprices inhumains.
La paille errante et passagère,
Qui dans l’air tourne en s’élevant,
La laine éparse au gré du vent,
La feuille du tremble mouvant
Est moins inconstante et légère :
Cent fois plus terrible en ses jeux
Que la cascade vagabonde,
Qui des Apennins orageux
Se précipite, écume, gronde,
Et roule dans les champs fangeux ;
Ou que la mer adriatique,
Quand des bords d’Europe et d’Afrique
Deux vents déchaînés dans les airs,
Jusque dans le sein de Venise,
Sur le dos de Neptune assise,
Font bouillonner les flots amers.

 

 


Antoine de Bertin

 

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