Qui t’aimera jamais comme je t’aime ?
Dans tes yeux seuls qui mettra son bonheur ?
Reviens, ô mon bien suprême ;
Entre mes bras abjure ton erreur ;
Reviens, crois-moi : mon visage
N’est point
si changé du temps.
Vois sur mon front ces cheveux bruns flottants :
De la vieillesse ont-ils senti l’outrage ?
Ne rougis point de mon âge ;
Je compte à peine un lustre après vingt ans.
Je
suis cher à Vénus, cher au dieu de la Thrace ;
Au milieu des festins je bois le vin mousseux ;
Émule de Chapelle, et disciple d’Horace,
Parfois son luth, avec grâce,
A retenti sous mes doigts
paresseux.
Qui sait mieux, à pas lents, dans une nuit obscure,
Chercher furtivement l’objet de ses désirs,
Déposer des baisers sans le moindre murmure,
Et varier, suspendre, ou hâter les plaisirs
?
Tu pleureras un jour ta rigueur imprudente ;
De mon amour, trop tard, tu connaîtras le prix.
Dès demain, dès ce soir, mon âme indépendante
Peut châtier tes superbes mépris.
Déjà,
déjà vingt beautés dans Paris
M’offrent leur cœur, et briguent ma tendresse.
J’en sais même une, ô ma belle maîtresse,
Qui se vante tout haut d’être mon Eucharis.
Reviens, avant qu’une étrangère,
Près de moi, vers minuit, se glisse entre deux draps,
Et sur mon lit défait, en chemise légère,
Le lendemain matin repose dans mes bras.
Oui,
reviens : à ce prix, ma compagne adorable,
Ton ami se soumet à la plus dure loi ;
Et si jamais il ose devant toi
Louer, regarder même un seul objet aimable,
Puissent, le jour entier, dans tes yeux menaçants
Ses yeux chercher en vain le pardon qu’il implore,
Et ta porte, insensible à ses cris gémissants,
Ne point s’ouvrir avant l’aurore !
Songes-y bien, la coupable beauté
Que nul amant n’a
pu trouver constante,
Dans son automne expiant sa fierté,
Seule en un coin, plaintive et gémissante,
À la lueur d’une lampe mourante,
Conduit l’aiguille, ou d’une main tremblante
Tourne
un fuseau de ses pleurs humecté.
En la voyant, la maligne jeunesse
Triomphe, et rit de sa douleur.
L’amour, armé d’un fouet vengeur,
De désirs impuissants tourmente sa vieillesse :
Elle implore
Vénus ; mais la fière déesse
Détourne ses regards, et lui répond sans cesse,
Qu’elle a mérité son malheur.