Je chantais les combats : étranger au Parnasse, Peut-être ma jeunesse excusait mon audace : Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux Déployaient, en deux temps, six pieds majestueux. De ces
vers nombreux et sublimes L’Amour se riant à l’écart, Sur mon papier mit la main au hasard, Retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes : De ce désordre heureux naquit un nouvel art. « Renonce, me dit-il, aux pénibles ouvrages ; « Cadence des mètres plus courts. « Jeune imprudent, fuis pour toujours « Cet Hélicon si fertile en orages. « Enfonce-toi sous
ces ombrages ; « Prends ce luth paresseux, et chante les Amours. » Comment voulez-vous que je chante Des plaisirs ou des maux que je ne connais pas ? Pour sujet de mes vers, nulle beauté touchante, Nulle
vierge à mes vœux n’offre encor ses appas. Je me plaignais : soudain, d’une main assurée, L’Amour sur son genou courbe son arc vainqueur, Choisit dans son carquois une flèche dorée, L’ajuste, et, me perçant de sa pointe acérée, « Tu peux chanter, dit-il ; l’ouvrage est dans ton cœur. » Je cède, enfant terrible, à votre ordre suprême. Hélas
! d’un feu brûlant je me sens consumer. Mais de rigueurs n’allez point vous armer. Faites que dès ce soir on m’aime ; Ou, si c’est trop, du moins que l’on se laisse aimer.