Dans la contrainte et les alarmes
Je vois s’envoler nos beaux jours :
La douleur a flétri vos charmes,
Et mes yeux à verser des larmes
Semblent condamnés pour toujours.
Ô la plus belle des
maîtresses,
Mon bonheur s’est évanoui :
Je perds vos touchantes caresses,
Hélas ! et de ces biens, dont j’ai trop peu joui,
Il ne me reste que ma flamme,
Vos lettres, mes regrets, mes désirs
superflus,
Et la triste douceur de nourrir dans mon âme
L’éternel souvenir d’un bonheur qui n’est plus.
Tout brûle autour de moi, tout aime,
Tout s’enivre de voluptés ;
Deux
à deux, vers le bien suprême
Je vois tous les cœurs emportés ;
Sans crainte à la ville, au village,
On forme des liens charmants,
Et l’univers n’est qu’un bocage
Peuplé
de fortunés amants.
L’amour d’une douce folie
Prend soin de remplir leurs moments :
Nous seuls, ma chère Catilie,
Nous seuls éprouvons ses tourments.
Sans témoins une loi sévère
Me défend de vous approcher ;
À l’œil d’un époux ou d’un père
Toujours soigneux de me cacher,
Depuis une semaine entière,
Je n’ai pu seulement toucher
La
main et si douce et si chère,
Où, sans exciter leur colère,
Du mortel le moins téméraire
La bouche a droit de s’attacher.
À table, aux jeux, on nous sépare ;
Nos argus
veillent en tous lieux,
Et, recherchant d’un œil avare
Les pleurs qui roulent dans vos yeux,
Ils se font un plaisir barbare
De troubler jusqu’à nos adieux.
Mais ne craignez point, ô mon âme,
Que leur inflexible rigueur
Éteigne ou lasse mon ardeur :
Mes chagrins même et leur fureur
Vous rendent plus chère à ma flamme.
Ah ! si, malgré leurs soins jaloux,
Mon cœur se fait
entendre au vôtre,
Mon sort est encore assez doux.
J’aime mieux souffrir avec vous,
Que d’être heureux avec une autre.