Antoine de Bertin (1752-1790)
Recueil: Les Amours (1780) - Livre I

À un ami - Ah ! c’en est trop ...


 

Ah ! c’en est trop : crois-moi, l’affreuse envie
Se hâte en vain de nommer mon vainqueur.
Le doux objet qui m’a repris son cœur
Me l’a rendu : c’est pour toute la vie.
Je défierais et les rois et les Dieux
De m’enlever désormais sa tendresse ;
L’éclat des rangs importune ses yeux ;
L’Olympe entier n’a rien qui l’intéresse ;
Mon Eucharis aux titres orgueilleux,
Préfère encor le nom de ma maîtresse.
Elle aime mieux, quand la rigueur du froid,
Durant la nuit, attriste la nature,
S’arranger même au bord d’un lit étroit,
Et partager mon humble couverture,
Que de régner sur cent peuples divers,
Ou d’étaler aux rives de la Seine
Plus de palais et de jardins ouverts,
Que n’en eut Rhode, et Corinthe, et Mycène.
Son cœur enfin ne saurait me tromper.
C’est pour moi seul qu’elle veut être belle ;
C’est toujours moi que l’on garde à souper.
Mes fiers rivaux alors ont beau frapper,
Heurter, gémir, et la nommer cruelle ;
On n’ouvre point : je suis seul avec elle,
Mourant d’amour, et d’orgueil enivré.
 
Ô mes amis, dans son temple sacré
Courons en foule adorer la Déesse
Qui des amants me décerne le prix !
Oui, c’en est fait ; ma dernière vieillesse
S’écoulera dans le sein d’Eucharis.
Mon Eucharis est à moi dès l’aurore,
Elle est à moi lorsque le jour s’enfuit ;
Au crépuscule, et dans la vaste nuit,
Mon Eucharis est à moi seul encore.

 

 


Antoine de Bertin

 

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