Ah ! c’en est trop : crois-moi, l’affreuse envie Se hâte en vain de nommer mon vainqueur. Le doux objet qui m’a repris son cœur Me l’a rendu : c’est pour toute la vie. Je défierais
et les rois et les Dieux De m’enlever désormais sa tendresse ; L’éclat des rangs importune ses yeux ; L’Olympe entier n’a rien qui l’intéresse ; Mon Eucharis aux titres orgueilleux, Préfère encor le nom de ma maîtresse. Elle aime mieux, quand la rigueur du froid, Durant la nuit, attriste la nature, S’arranger même au bord d’un lit étroit, Et partager mon humble
couverture, Que de régner sur cent peuples divers, Ou d’étaler aux rives de la Seine Plus de palais et de jardins ouverts, Que n’en eut Rhode, et Corinthe, et Mycène. Son cœur enfin
ne saurait me tromper. C’est pour moi seul qu’elle veut être belle ; C’est toujours moi que l’on garde à souper. Mes fiers rivaux alors ont beau frapper, Heurter, gémir, et la nommer
cruelle ; On n’ouvre point : je suis seul avec elle, Mourant d’amour, et d’orgueil enivré.
Ô mes amis, dans son temple sacré Courons en foule adorer la Déesse Qui
des amants me décerne le prix ! Oui, c’en est fait ; ma dernière vieillesse S’écoulera dans le sein d’Eucharis. Mon Eucharis est à moi dès l’aurore, Elle est à
moi lorsque le jour s’enfuit ; Au crépuscule, et dans la vaste nuit, Mon Eucharis est à moi seul encore.