Antoine de Bertin (1752-1790)
Recueil: Les Amours (1780) - Livre II

Je n’ai plus d’Eucharis ! ...


 

Je n’ai plus d’Eucharis ! Que m’importe la vie ?
Ô nuit, viens dans ton ombre ensevelir mes yeux.
Je n’ai plus d’Eucharis ! Après sa perfidie,
Je ne veux plus revoir la lumière des cieux.
Moi qui, près d’elle assis dans son char radieux,
Marchais environné de la publique envie ;
Moi qui, paisible roi, dans son âme asservie
Éclipsais l’univers et balançais les Dieux,
De sa haine aujourd’hui monument déplorable,
Dans la foule importune esclave confondu,
Triste, et mouillant de pleurs sa porte inexorable,
Hélas ! j’exhale en vain ma plainte misérable,
Au milieu des frimas, sur la pierre étendu.
Le voilà donc le prix de ma longue tendresse !
Qui croira désormais à ses attraits menteurs ?
Après sept ans entiers de bonheur et d’ivresse,
Il faut me détacher de ses bras enchanteurs.
Je vais donc maintenant, tel qu’un ramier sauvage,
Qui, sur le rocher nu, lamente ses ennuis,
Seul, dans un lit désert déplorant mon veuvage,
Mesurer tristement le cercle entier des nuits !
Du moins, l’amant trahi d’une beauté cruelle,
Qui, ne pouvant fléchir ses injustes mépris,
Se venge en l’imitant, forme une amour nouvelle,
D’un regret moins amer voit ses beaux jours flétris :
Mon sort à moi, mon sort, en perdant Eucharis,
Est de ne pouvoir plus aimer une autre qu’elle.
Employez l’artifice, étalez mille atours :
Non, vous ne m’aurez point, orgueilleuses maîtresses !
Eucharis a reçu mes premières caresses ;
Eucharis obtiendra mes dernières amours.

 

 


Antoine de Bertin

 

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