Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889)
L'Impénitent
Rôdeur vanné, ton œil fané Tout plein d’un désir satané Mais qui n’est pas l’œil d’un bélître, Quand passe quelqu’un de gentil Lance un éclair
comme une vitre.
Ton blaire flaire, âpre et subtil, Et l’étamine et le pistil, Toute fleur, tout fruit, toute viande, Et ta langue d’homme entendu Pourlèche ta lèvre friande.
Vieux faune en l’air guettant ton dû, As-tu vraiment bandé, tendu L’arme assez de tes paillardises ? L’as-tu, drôle, braquée assez ? Ce n’est rien que tu nous le
dises.
Quoi, malgré ces reins fricassés, Ce cœur éreinté, tu ne sais Que dévouer à la luxure Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel, Ta rate et toute
ta fressure !
Sucrés et doux comme le miel, Damnants comme le feu du ciel, Bleus comme fleur, noirs comme poudre, Tu raffoles beaucoup des yeux De tout genre en dépit du Foudre.
Les
nez te plaisent, gracieux Ou simplement malicieux, Étant la force des visages, Étant aussi, suivant des gens, Des indices et des présages.
Longs baisers plus clairs que des chants, Tout
petits baisers astringents Qu’on dirait qui vous sucent l’âme, Bons gros baisers d’enfant, légers Baisers danseurs, telle une flamme,
Baisers mangeurs, baisers mangés, Baisers
buveurs, bus, enragés, Baisers languides et farouches, Ce que t’aimes bien, c’est surtout, N’est-ce pas ? les belles boubouches.
Les corps enfin sont de ton goût, Mieux pourtant
couchés que debout, Se mouvant sur place qu’en marche, Mais de n’importe quel climat, Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l’Arche.
Pour que ce goût les acclamât Minces, grands, d’aspect
plutôt mat, Faudrait pourtant du jeune en somme : Pieds fins et forts, tout légers bras Musculeux et les cheveux comme
Ça tombe, longs, bouclés ou ras, — Sinon pervers et scélérats Tout à fait, un peu d’innocence En moins, pour toi sauver, du moins, Quelque ombre encore de décence ?
Nenni dà ! Vous, soyez témoins, Dieux la connaissant dans les coins, Que
ces manières, de parts telles, Sont pour s’amuser mieux au fond Sans trop muser aux bagatelles.
C’est ainsi que les choses vont Et que les raillards fieffés font. Mais tu te ris de ces
morales, — Tel un quelqu’un plus que pressé Passe outre aux défenses murales.
Et tu réponds, un peu lassé De te voir ainsi relancé, De ta voix que la soif dégrade Mais qui n’est pas d’un marmiteux : « Qu’y peux-tu faire, camarade,