Antoine de Bertin (1752-1790)
Recueil: Les Amours (1780) - Livre III

Aux manes d’Eucharis


 

Depuis que tu n’es plus, depuis que je te pleure,
Le soleil a fini, recommencé son tour :
Je puis enfin vers ta demeure
Tourner mes tristes yeux lassés de voir le jour.
Ô toi, jadis l’objet du plus ardent amour,
Toi que j’aimais encor d’une amitié si tendre,
Eucharis, si tu peux m’entendre
Des bords du fleuve affreux qu’on passe sans retour,
Reçois ces derniers vers que j’adresse à ta cendre.
Lorsque, du sort, si jeune, éprouvant la rigueur,
Tu périssais hélas ! d’un mal lent et funeste,
Moi-même, tu le sais, consumé de langueur,
Je voyais de mes jours s’évanouir le reste.
Tu mourus : à ce coup, j’en atteste les Dieux,
Je demandai la mort ; j’étais prêt à te suivre ;
À mes plus chers amis j’avais fait mes adieux.
Catilie à l’instant vint s’offrir à mes yeux,
Me serra sur son cœur ; et je promis de vivre.
Trop heureux sous sa douce loi,
Elle-même aujourd’hui permet que je t’écrive :
Tout ce qui te connut te regrette avec moi,
Et cherche à consoler ton ombre fugitive.
Déjà, les yeux mouillés de pleurs,
Et brisant son beau luth qui résonnait encore,
Le doux chantre d’Éléonore
Sur tes restes chéris a répandu des fleurs ;
Il t’élève un tombeau : c’est assez pour ta gloire.
Moi, plus timide, tout auprès
Je choisis un jeune cyprès,
Et là je grave notre histoire.
À ce mot, Eucharis, ne va point t’alarmer.
Loin de moi tous ces noms dont un amant accable
L’objet qu’il cesse de charmer !
Le temps a dû me désarmer,
Et ton cœur n’est point si coupable.
Pour un autre que moi s’il a pu s’enflammer,
Sans doute il était plus aimable :
Hélas ! savait-il mieux aimer ?
N’importe : dors en paix, ombre toujours chérie ;
D’un reproche jaloux ne crains plus la rigueur :
Ma haine s’est évanouie.
Tu fis, sept ans entiers, le bonheur de ma vie :
C’est le seul souvenir qui reste dans mon cœur.

 

 


Antoine de Bertin

 

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