(217/366) - Sonnet 161 : Il se repent de s’être laissé emporter à l’indignation contre une beauté qui lui rend encore la mort douce.
(218/366) - Sonnet 162 : Laure est un soleil. Tout sera beau tant qu’elle vivra ; tout deviendra obscur à sa mort.
(219/366) - Sonnet 163 : Le soleil se lève et les étoiles disparaissent ; Laure se lève et le soleil disparaît.
(220/366) - Sonnet 164 : Il demande à Amour où il a pris toutes les grâces dont il a paré Laure.
(221/366) - Sonnet 165 : En regardant les yeux de Laure, il se sent mourir ; mais il ne peut s’en détacher.
(222/366) - Sonnet 166 : Ne la trouvant pas avec ses amies, il leur demande pourquoi.
(223/366) - Sonnet 167 : Pendant la nuit il soupire pour celle qui, le jour, peut seule adoucir ses peines.
(224/366) - Sonnet 168 : Si les tourments qu’il souffre le font mourir, c’est lui qui en supportera le dommage, mais c’est à Laure qu’en incombera la faute.
(225/366) - Sonnet 169 : Il estime bien heureux celui qui conduit la barque et le char où Laure s’assied en chantant.
(226/366) - Sonnet 170 : Il est aussi malheureux d’être loin d’elle, que le lieu qui la possède est heureux.
Sonnet 161
Il se repent de s’être laissé emporter à l’indignation contre une beauté qui lui rend encore la mort douce.
Già desïai con sí giusta querela
e 'n sí fervide rime farmi udire,
ch'un foco di pietà fessi sentire
al duro cor ch'a mezza state gela;
et l'empia nube, che 'l rafredda et vela,
rompesse a l'aura del mi' ardente dire;
o fessi quell'altrui in odio venire,
che ' belli, onde mi strugge, occhi mi cela.
Or non odio per lei, per me pietate
cerco: ché quel non vo', questo non posso
(tal fu mia stella, et tal mia cruda sorte);
ma canto la divina sua beltate,
ché, quand'i' sia di questa carne scosso,
sappia 'l mondo che dolce è la mia morte.
Déjà j’ai voulu exhaler ma si juste plainte, et me faire entendre en si brûlantes rimes, qu’une flamme de pitié se fît sentir au cœur endurci qui reste glacé en plein été
;
Et que l’impitoyable nue qui le refroidit et le voile, se rompît au souffle de mon ardente parole ; ou bien que celle qui me cache ses beaux yeux, ce qui me ronge, devînt odieuse aux autres.
Maintenant je ne cherche pas la haine pour elle, mais la pitié pour moi ; car je ne veux pas l’une et je ne puis pas avoir l’autre. Ainsi l’exige mon étoile, ainsi l’exige ma cruelle destinée.
Mais je chante sa divine beauté, afin que, lorsque je serai délivré de cette chair, le monde sache que ma mort est douce.
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Sonnet 162
Laure est un soleil. Tout sera beau tant qu’elle vivra ; tout deviendra obscur à sa mort.
Tra quantunque leggiadre donne et belle
giunga costei ch'al mondo non à pare,
col suo bel viso suol dell'altre fare
quel che fa 'l dí de le minori stelle.
Amor par ch'a l'orecchie mi favelle,
dicendo: Quanto questa in terra appare,
fia 'l viver bello; et poi 'l vedrem turbare,
perir vertuti, e 'l mio regno con elle.
Come Natura al ciel la luna e 'l sole,
a l'aere i vènti, a la terra herbe et fronde,
a l'uomo et l'intellecto et le parole,
et al mar ritollesse i pesci et l'onde:
tanto et piú fien le cose oscure et sole,
se Morte li occhi suoi chiude et asconde.
Quelque gracieuses et belles que soient toutes les dames parmi lesquelles apparaisse celle qui n’a pas sa pareille au monde, elle est habituée, rien qu’avec son beau visage, à faire des autres ce que fait le soleil
des étoiles subalternes.
Il me semble qu’Amour me parle à l’oreille, disant : tant que celle-ci se montrera sur terre, la vie sera belle, et puis nous la verrons s’assombrir ; nous verrons périr les vertus et mon règne avec elles.
Comme si Nature enlevait au ciel la lune et le soleil, les vents à l’air ; à la terre les herbes et les feuillages ; à l’homme l’intelligence et la parole,
Et à la mer les poissons et les ondes ; ainsi et bien plus s’obscurciront les choses et le soleil, si la mort ferme et cache ses yeux.
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Sonnet 163
Le soleil se lève et les étoiles disparaissent ; Laure se lève et le soleil disparaît.
Il cantar novo e 'l pianger delli augelli
in sul dí fanno retentir le valli,
e 'l mormorar de' liquidi cristalli
giú per lucidi, freschi rivi et snelli.
Quella ch'à neve il vòlto, oro i capelli,
nel cui amor non fur mai inganni né falli,
destami al suon delli amorosi balli,
pettinando al suo vecchio i bianchi velli.
Cosí mi sveglio a salutar l'aurora,
e 'l sol ch'è seco, et piú l'altro ond'io fui
ne' primi anni abagliato, et son anchora.
I' gli ò veduti alcun giorno ambedui
levarsi inseme, e 'n un punto e 'n un' hora
quel far le stelle, et questi sparir lui.
Les chants nouveaux et les plaintes des oiseaux font, au lever du jour, se réveiller les vallons, mêlés au murmure des liquides descendant, étincelants et rapides, le long de leurs fraîches rives.
Celle qui a le visage de neige et les cheveux d’or, et dont l’amour ne contint jamais tromperies ni méprises, me réveille au son des ballets amoureux, peignant les cheveux blancs de son vieil époux.
Ainsi je m’éveille pour saluer l’Aurore et le Soleil qui est avec elle, et plus encore cet autre soleil dont je fus tellement ébloui dans mes premiers ans, et qui m’éblouit encore.
Je les ai vus un jour se lever tous les deux ensemble, et, en un même instant, en une même heure, j’ai vu l’un effacer les étoiles, et s’effacer lui-même devant l’autre.
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Sonnet 164
Il demande à Amour où il a pris toutes les grâces dont il a paré Laure.
Onde tolse Amor l'oro, et di qual vena,
per far due trecce bionde? e 'n quali spine
colse le rose, e 'n qual piaggia le brine
tenere et fresche, et die' lor polso et lena ?
onde le perle, in ch'ei frange et affrena
dolci parole, honeste et pellegrine?
onde tante bellezze, et sí divine,
di quella fronte, piú che 'l ciel serena ?
Da quali angeli mosse, et di qual spera,
quel celeste cantar che mi disface
sí che m'avanza omai da disfar poco ?
Di qual sol nacque l'alma luce altera
di que' belli occhi ond'io ò guerra et pace,
che mi cuocono il cor in ghiaccio e 'n fuoco ?
Où et à quelle veine Amour a-t-il pris l’or pour faire les deux tresses blondes ? Sur quels buissons a-t-il cueilli les roses, en quelle plaine a-t-il ramassé la tendre et fraîche rosée, auxquelles il
a donné le pouls et l’haleine ?
Où a-t-il pris les perles entre lesquelles il brise et retient les douces, honnêtes et précieuses paroles ? où les nombreuses et si divines beautés de ce front plus serein que le ciel ?
De quels anges et de quelle sphère vient ce chant céleste qui me ronge tellement, que désormais il me reste bien peu à perdre ?
De quel Soleil naquit la douce et éclatante lumière de ces beaux yeux qui me tiennent tour à tour en guerre et en paix, qui me cuisent le cœur dans la glace et dans le feu ?
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Sonnet 165
En regardant les yeux de Laure, il se sent mourir ; mais il ne peut s’en détacher.
Qual mio destìn, qual forza o qual inganno,
mi riconduce disarmato al campo,
là 've sempre son vinto? e s'io ne scampo,
meraviglia n'avrò; s'i' moro, il danno.
Danno non già, ma pro; sí dolci stanno
nel mio cor le faville e 'l chiaro lampo
che l'abbaglia et lo strugge, e 'n ch'io m'avampo,
et son già ardendo nel vigesimo anno.
Sento i messi di Morte, ove apparire
veggio i belli occhi, et folgorar da lunge;
poi, s'avèn ch'appressando a me li gire,
Amor con tal dolcezza m'unge et punge,
ch'i' nol so ripensar, nonché ridire:
ché né 'ngegno né lingua al vero agiunge.
Quel destin, quelle force ou quelle tromperie m’a reconduit désarmé au champ où je suis toujours vaincu ? Et si je m’en échappe, devrai-je m’en étonner ; si je meurs, devrai-je considérer
cela comme un mal ?
Ce n’est pas un mal, mais un bien, si doux se maintiennent en mon cœur les étincelles et l’éclatante lueur qui l’éblouissent et le rongent, et dont moi-même je suis consumé ; et voici déjà
la vingtième année que je brûle.
Je sens les messagers de mort, alors que je vois les beaux yeux apparaître et flamboyer de loin ; puis s’il arrive qu’en l’approchant elle les tourne sur moi,
Amour m’oint et me point d’une telle douceur, que je ne puis y repenser, loin de pouvoir le redire ; car ni génie, ni langue ne peuvent atteindre à la vérité.
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Sonnet 166
Ne la trouvant pas avec ses amies, il leur demande pourquoi.
- Liete et pensose, accompagnate et sole,
donne che ragionando ite per via,
ove è la vita, ove la morte mia?
perché non è con voi, com'ella sòle?
- Liete siam per memoria di quel sole;
dogliose per sua dolce compagnia,
la qual ne toglie Invidia et Gelosia,
che d'altrui ben, quasi suo mal, si dole.
- Chi pon freno a li amanti, o dà lor legge?
- Nesun a l'alma; al corpo Ira et Asprezza:
questo or in lei, tal or si prova in noi.
Ma spesso ne la fronte il cor si legge:
sí vedemmo oscurar l'alta bellezza,
et tutti rugiadosi li occhi suoi.
— Dames joyeuses et pensives, réunies et seules, qui vous en allez, vous entretenant, par le chemin, savez-vous où est ma vie, où est ma mort ? Pourquoi n’est-elle pas avec vous, suivant son habitude ?
— Nous sommes joyeuses du souvenir de ce soleil ; dolentes à cause de sa douce compagnie, dont nous prive l’envie et la jalousie, laquelle se plaint du bien d’autrui comme de son propre mal.
— Qui donc impose un frein aux amants, ou leur donne des lois ? - Personne, en ce qui concerne l’âme ; quant au corps, c’est la colère et la cruauté. Elle l’éprouve maintenant, comme parfois nous
l’éprouvons par nous-mêmes.
Mais souvent le cœur se lit sur le front ; ainsi nous avons vu s’obscurcir la sublime beauté, et ses yeux tout imprégnés de rosée.
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Sonnet 167
Pendant la nuit il soupire pour celle qui, le jour, peut seule adoucir ses peines.
Quando 'l sol bagna in mar l'aurato carro,
et l'aere nostro et la mia mente imbruna,
col cielo et co le stelle et co la luna
un'angosciosa et dura notte innarro.
Poi, lasso, a tal che non m'ascolta narro
tutte le mie fatiche, ad una ad una,
et col mondo et con mia cieca fortuna,
con Amor con Madonna et meco garro.
Il sonno è 'n bando, et del riposo è nulla;
ma sospiri et lamenti infin a l'alba,
et lagrime che l'alma a li occhi invia.
Vien poi l'aurora, et l'aura fosca inalba,
me no: ma 'l sol che 'l cor m'arde et trastulla,
quel pò solo adolcir la doglia mia.
Quand le Soleil baigne dans la mer son char doré, et rembrunit tout à la fois notre atmosphère et mon esprit, je me prépare, avec le ciel, les étoiles et la lune, à passer une nuit rude et pleine d’angoisses.
Puis, hélas ! je raconte à qui ne m’écoute pas, tous mes maux un à un, et je me plains au monde et à mon aveugle fortune, à Amour, à ma Dame et à moi-même.
Le sommeil est loin, et je n’ai point de repos ; mais je ne cesse de répandre des soupirs et des lamentations jusqu’à l’aube, et des larmes que mon âme envoie à mes yeux.
Puis l’Aurore vient et blanchit l’air obscur, et non pas moi ; mais c’est le Soleil qui me brûle et me réjouit le cœur ; voilà celui qui peut seul adoucir ma douleur.
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Sonnet 168
Si les tourments qu’il souffre le font mourir, c’est lui qui en supportera le dommage, mais c’est à Laure qu’en incombera la faute.
S'una fede amorosa, un cor non finto,
un languir dolce, un desïar cortese;
s'oneste voglie in gentil foco accese,
un lungo error in cieco laberinto;
se ne la fronte ogni penser depinto,
od in voci interrotte a pena intese,
or da paura, or da vergogna offese;
s'un pallor di vïola et d'amor tinto;
s'aver altrui piú caro che se stesso;
se sospirare et lagrimar mai sempre,
pascendosi di duol, d'ira et d'affanno,
s'arder da lunge et agghiacciar da presso
son le cagion ch'amando i' mi distempre,
vostro, donna, 'l peccato, et mio fia 'l danno.
Si une amoureuse confiance, un cœur non feint, une douce langueur, un généreux désir ; si des vœux honnêtes allumés en un noble feu, si un long égarement dans un aveugle labyrinthe ;
Si toutes les pensées peintes sur le front ou dans des paroles entrecoupées à peine comprises et étouffées tantôt par la peur et tantôt par la vergogne ; si une pâleur de violette et d’amour
;
Si avoir autrui plus cher que soi-même ; si pleurer et soupirer sans cesse, en ne se repaissant que de douleur, de colère et d’angoisse ;
Si brûler de loin et geler de près, sont les raisons qui font que je me consume en aimant, le péché sera pour vous, Madame, et pour moi le dommage.
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Sonnet 169
Il estime bien heureux celui qui conduit la barque et le char où Laure s’assied en chantant.
Dodici donne honestamente lasse,
anzi dodici stelle, e 'n mezzo un sole,
vidi in una barchetta allegre et sole,
qual non so s'altra mai onde solcasse.
Simil non credo che Iason portasse
al vello onde oggi ogni uom vestir si vòle,
né 'l pastor di ch'anchor Troia si dole;
de' qua' duo tal romor al mondo fasse.
Poi le vidi in un carro trïumfale,
Laurëa mia con suoi santi atti schifi
sedersi in parte, et cantar dolcemente.
Non cose humane, o visïon mortale:
felice Autumedon, felice Tiphi,
che conduceste sí leggiadra gente !
Je vis douze dames chastement enlacées, ou plutôt douze étoiles, et un Soleil au milieu, s’en aller allègres et seules en une petite barque telle, que je ne sais si jamais une pareille a fendu les ondes.
Je ne crois pas que Jason fut porté par une semblable, vers la toison dont aujourd’hui tout homme veut se revêtir : non plus que le pasteur dont Troie gémit encore, et qui ont fait toutes deux une telle rumeur dans le monde.
Puis je les vis sur un char triomphal, et ma Laure, avec sa sainte et modeste attitude, était assise à part et chantait doucement.
Ce n’était pas choses humaines ou vision mortelle. Heureux Automédon, heureux Typhis, qui avez conduit une si charmante compagnie !
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Sonnet 170
Il est aussi malheureux d’être loin d’elle, que le lieu qui la possède est heureux.
Passer mai solitario in alcun tetto
non fu quant'io, né fera in alcun bosco,
ch'i' non veggio 'l bel viso, et non conosco
altro sol, né quest'occhi ànn'altro obiecto.
Lagrimar sempre è 'l mio sommo diletto,
il rider doglia, il cibo assentio et tòsco,
la notte affanno, e 'l ciel seren m'è fosco,
et duro campo di battaglia il letto.
Il sonno è veramente, qual uom dice,
parente de la morte, e 'l cor sottragge
a quel dolce penser che 'n vita il tene.
Solo al mondo paese almo, felice,
verdi rive fiorite, ombrose piagge,
voi possedete, et io piango, il mio bene.
Jamais passereau sous aucun toit, jamais bête en aucun bois ne fut aussi solitaire que moi, car je ne vois point le beau visage, et je ne connais pas d’autre Soleil et mes yeux n’ont pas d’autre objet.
Pleurer sans cesse est mon suprême plaisir ; rire est ma douleur suprême ; la nourriture est pour moi absinthe et poison ; la nuit m’est une angoisse ; le ciel serein est obscur pour moi, et mon lit est un cruel champ de bataille.
Le sommeil est vraiment, comme on dit, le frère de la mort ; et il soustrait le cœur à la douce pensée qui le tient en vie.
Pays unique au monde, heureux et sublime, vertes rives, plages ombreuses et fleuries, vous possédez mon bien, et moi je le pleure.