La premiere amoureuse flâme
Dont ce fier Tyran de nostre ame
Embraza le plus beau des Dieux,
Ce fut la flâme des beaux yeux
Que portoit dans son frontispice
Daphné, Pucelle sans malice;
Chaude flâme,
que le hazard
Point n'alluma, mais ce Bastard,
Enfant de Madame Citere,
Qui plus meschant qu'une Vipere,
Fit courir comme un incensé
Ce Dieu qui l'avoit offencé.
Quelque temps apres la Bataille
Du
grand Pithon le Portécaille,
Où, comme est dit, il fut vaincu
D'un trait qu'il receut dans le cu;
Phebus enflé de sa victoire,
S'en faisoit, dit-on, tant accroire,
Qu'on n'osoit plus le regarder;
Il ne parloit que de darder,
D'estocader, de faire botte;
Il n'alloit plus sans grosse botte,
Quoy que ce fut en plein Esté;
Jamais sans brette à son costé,
Sans horrible et grande plumache,
Sans
gros buffle et fiere moustache;
Il ne manquoit plus à ce Dieu
Qu'une emplastre noire sur l'yeu,
Avec une jambe de bille,
Pour estre plus meschant qu'Achille.
Un matin ce nouveau Filou,
Qui ne juroit que capdediou,
Et ne cherchoit que chapechute,
Rencontra dessus une butte
Le Dieu des Ris et des Attraits,
L'Enfant Amour, qui de ses traits,
Qui sont faits comme des chevilles,
Enfiloit perles et coquilles;
Auquel nostre petit
Dieu Mars
Dit ainsi. Pauvre petit gars,
Pauvre Enfant crevé de folie,
Pauvre petit croqueboulie,
Petit Archer, malencontreux,
Es-tu bien si presomptueux
De bander Arc, ou tirer fléche,
De faire fente,
trou, ny bresche,
Devant moy ? moy le grand Phebus,
Moy le grand Maistre Doribus,
Du Matrat, et de l'Arbaleste ?
Moy Phebus le grand couppe-teste,
Phebus le grand couppe-jarret,
Qui plus vaillant que Cesaret,
Et
plus terrible que Pompée,
M'appelle Phebus coup d'espée,
Phebus au chappeau retroussé,
Qui depuis le combat passé
Ne paye plus rien à la porte,
Phebus le vaillant paye-morte,
Qui fais
nargue aux Comediens,
La nique aux Chats, et corne aux Chiens.
Sus donc Bastard, quitte ces armes,
Trop fortes pour un Dieu des charmes,
Un gueux, un sorcier, un bandy,
Un fol, un Dieu plus étourdy
Que le premier coup de Matines,
Un dissipateur de courtines,
Un petit coureur
de Landy,
Un gourmand, un cherche-midy,
Qui par fous fils, sur filles folles,
Par cent faits fous le Monde affoles,
Un patroüilleur, un farfoüilleur,
Auquel ont mes filles d'honneur
Donné plus de coups
de lanieres,
De coups de pieds et d'étrivieres,
Que n'as fait jouster de poulets,
Et fait avaller d'oeufs mollets;
N'espere pas croistre ta gloire
Par les outils de ma victoire,
Dont grace à Monsieur Sainct
Miché,
J'ay Serpent horrible embroché;
Rends ce trait, rends cette arbaleste,
Petit Serpent à rouge creste,
Ou je te prendray ton chappeau;
Contente-toy de ton flambeau
Pour rechauffer froide cuisine,
Griller boudin, frire poitrine,
Ardre bouquins, gaupes tenter,
Asnes baster, cornes planter.
Voila de Phebus l'insolence,
À qui l'Amour, que telle offence
Faisoit rire du bout des dents,
Le front rouge, et
les yeux ardens,
De son petit coeur plein de rage
À peu pres tira ce langage.
Hé depuis quand, Monsieur Phebus,
Avez-vous quitté vos rebus,
Et vostre celeste briguade,
Pour en habit de Mascarade
Faire peur aux petits Enfans ?
Depuis quand courez-vous les champs ?
Avez-vous le cerveau malade ?
Quelle mauvaise herbe en sallade
Vostre esprit a tant detraqué ?
Quelle mouche vous a piqué ?
Quel ver
a poind vostre cucule ?
Seroit-ce point la Tarantule ?
Qui vous fait ainsi tremousser ?
Mieux à vous eust valu danser
Ballet, et donner serenade,
Que nous faire telle incartade;
Pas ne vous estes ce matin
Signé de vostre bonne main,
Quand pour nous intenter querelle,
Vous avez quitté vostre Vielle,
Et pris en main fier Braquemart,
Pour, armé comme un Jaquemart,
Sur nous, non sans grand vitupere,
Exercer mestier de Corsaire;
Avant la mort du sieur Pithon,
Qui vous fit grand peur, ce dit-on,
Vous estiez plus doux qu'une image;
Mais ores plus mievre qu'un Page,
Les deux mains dessus le rognon,
Jurez par la mort
d'un ognon,
Que vous nous aurez la caillette;
La caillette, par ma figuette,
Ja ne l'aurez de quatre jours;
Les Amours ont monté sur l'Ours;
Fussiez-vous monté sur Pegase,
Qui n'est qu'un fat, et vous
un aze,
Encor de vous n'aurions-nous peur;
Je suis tout feu, je suis tout coeur,
Je suis bon cheval de trompette,
J'éternuë quand l'asne pette;
Bien d'autres Filoux avons vus
Plus noirs que vous, et plus
cornus,
Lesquels encor sur vostre teste
Mangeroient pastez de requeste,
Qui ne nous ont pas fait cacher,
Mais que bien avons fait cracher
Tripes, boyaux, argent, valize,
Eu la coine, apres la chemise,
Et sans lampe
avons fait coucher;
Et cependant maudit Archer,
Miserable Docteur de bale,
Pauvre coquin, toque-cimbale,
Gueux à visage de Rebec,
Belistre qui n'as que le bec,
À moy qui pire que tempestes
Ay soumis
par mille conquestes
Mon grand Pere l'Altitonant,
À moy le Prince du Ponant,
Enfant de la masse premiere,
Sans qui Nature et la lumiere
Ne serviroient que d'un niquet,
À moy le Prince du paquet,
Qui
preside sur tout le germe
En terre molle, en terre ferme,
Grand Maistre des Eaux et Forests,
À moy le Prince du Marests,
Marquis de la Motte et du Tertre,
Roy naturel du petit Sceptre,
Qui regne sur les verts
boquets,
À moy le Prince des Coquets,
Pere de toutes les familles,
Pauvre Vielleur, porte-guenilles,
À moy tu t'ozes attaquer;
Mordy je te feray bouquier;
Tu pretends avoir de mes fléches,
Je
t'en garde, mais des plus seches;
Devant qu'il soit deux jours passez
Tu m'en payra les pots cassez;
Amour pire qu'un asne rouge,
Te prepare une belle gouge,
Où tu brûleras tes papiers
Non seulement, mais
tes souliers
Uzeras courant apres elle,
Sans que jamais la Damoiselle
Te laisse seulement baiser
Les bords de son pot à pisser.
Ce dit, cette maligne beste
Amour, banda son arbaleste,
Puis en disant tatifrappé,
D'un trait en l'urine trempé,
De Daphné la chaste pucelle,
Un trou luy fit à la mammelle;
Par où dix de ses compagnons,
Pas plus grands que des champignons,
Portans en main rouges flâmesches,
Soufflets, tisons, charbons, et mesches,
Entrerent, et soufflerent tant,
Qu'en son pauvre coeur à l'instant
Il sent brûler une fournaise,
Il n'est plus que flâme et que braise,
Il meurt pour la belle
Daphné,
Déja son teint en est fanné;
Mais elle à qui ce Dieu Vipere
Avoit percé la boudiniere,
D'un trait vilainement graissé
De la graisse d'un trépassé,
Porte
en son coeur une glaciere,
Que la chaleur et la lumiere
De ce beau Dieu de la clarté,
Ne sçauroit fondre en plein Esté.
Il a beau l'appeller son ame,
Luy composer son anagrame,
Luy presenter beaux
affiquets,
Belle guirlande et beaux bouquets,
Beaux fruits et fleurs de Retorique,
Luy faire entendre la Musique
De la Pierre et de Constantin,
Luy mener le jeune Martin,
Et Monsieur Lambert son Compere;
Cela ne
luy profite guere,
Non plus que les petits poulets,
La comedie et les Balets,
D'autant que la simple Fillette,
Ainsi qu'une Madelonnette,
Porte un coeur naturellement
Fait en pointe de diamant;
La Chasse est toute
son envie,
Son Chien toute sa compagnie,
Son Carquois est son favory,
Et son Arc son petit mary,
Dont tres-dolent son noble Pere
Luy dit par fois. Fille tres-chere,
Daphné, ma petite fanfan,
Daphné,
que j'ayme tant oüanoüan;
Vous me devez, ma Fille tendre,
Vous me devez un petit gendre.
Quand voulez-vous vous acquiter ?
Quand voulez-vous faire sauter
Vostre bonne Maman, petite ?
Quand voulez-vous, dites
ma mitte,
Joyeux festin nous presenter,
Et nous faire un tantin taster
Du broüet de vostre marmitte ?
À qui la bonne chatemite,
Qui dans sa main cache un ognon,
Luy dit pleurant; Papa mignon,
Laissez
en paix ma sourissiere,
Ny chat ny rat dans ma chatiere
Jamais n'y croquera lardon;
J'aymerois mieux manger chardon,
Et coucher dans le cimetiere,
Que de crier comme ma Mere
Petits pastez d'un si haut ton;
J'aurois
trop peur; Papa mignon,
D'enfanter un jour par l'oreille,
Qui seroit douleur nompareille.
Laissez-moy donc fermer vostre huis,
Et vivre telle que je suis;
Ce que non, sans douleur amere,
Luy promet son Seigneur et
Pere;
Tandis le beau Roy des Saisons,
Qui court aux petites Maisons,
Afin de parestre à la mode,
Fait venir Blet qui l'accommode,
Et luy couppe ses beaux rayons,
Qu'il appelle ses cheveux blonds;
Il se recure
la gencive,
Met du linge blanc de lessive,
Neuf collets blancs aux Muses neuf,
Au Sieur Pegase un bast tout neuf,
Dessus sa teste une Hemisphere;
Et pour monstrer ce qu'il sçait faire,
En l'honneur de la faculté,
Une siringue à son costé;
Il s'oingt, il se plastre, il se mire,
Il s'huile, il se gomme, il se cire,
Il se fait la barbe des yeux;
C'est merveille de ses beaux neuds,
Des beaux galans de sa Guitterre,
De son beau ruban d'Angleterre,
De son magnifique collet,
Et de son habit de Balet.
Qui pourroit avoir assez d'armes
Pour resister à tous les charmes
D'un Dieu qui porte un neuf pourpoint ?
C'est Daphné qui n'en manque point,
Qui voyant venir apres elle
Phebus courant à tire d'aile,
De son costé double le pas,
En disant Vade Satanas,
Elle va comme une Hyrondelle;
Et si la peur à la pucelle
Luy fait chausser des ailerons,
L'Amour chausse des esperons
À Phebus, qui dans sa
littiere
Communément n'en porte guere;
Tous deux la crainte et les desirs
Les font trotter comme Zephirs;
Mais Phebus l'amoureux alaigre,
Qui va du pied comme un chat maigre,
Est déja si pres de son dos,
Qu'il luy peut tenir ces propos.
Où fuyez-vous, cruelle Nymphe ?
Où fuyez-vous, beau Pananymphe,
Des vertus comme des beautez,
Pour Dieu, belle Nymphe, arrestez;
Arrestez, ô Nymphe adorable,
Je
ne suis pas si miserable,
Ny si pendart que vous pensez;
Je n'ay pas des sabots chaussez,
Mais des belles et blanches bottes;
Je ne suis pas un cassemottes,
Un visage de bois flotté,
Je suis un Dieu bien fagotté,
Le beau Phebus à tresse blonde,
Le plus grand Cuisinier du Monde,
Pere du mois, Pere de l'an,
Roy de l'éguille et du cadran,
Baron du Jour, Duc de l'Optique,
Prince du Royaume Ecliptique,
Seigneur de
la Prose et des Vers,
Et grand Fallot de l'Univers.
Non non, Pucelle incomparable,
Je ne suis pas tant effroyable,
Ny tant diable que je suis noir;
Je suis un Dieu qu'il fait beau voir,
Je suis le Dieu qui tout éclaire,
Bon Chantre, bon Apoticaire,
Bon Medecin, bon Tabarin,
Bon fluteur et bon tabourin;
Pere je suis de toutes choses,
Des Oeillets, des Lys, et des Roses,
Le beau Phebus au crin doré,
Qui sçais lire comme
un Curé,
Qui sçais mieux escrimer encore;
Je sçay joüer de la Mandore,
Du Cor et du Psalterion;
Je suis un fort bon Violon,
J'ay douze Maisons, j'ay Carosse,
Je n'ay sur moy playe ny bosse,
Je ne suis Turc ny Parpaillot,
Je suis un Dieu fort bon fillot.
Hé pourquoy donc, Nymphe mauvaise,
N'oseray-je en vostre fournaise
Faire fondre un petit lingot,
Toucher un peu vostre gigot,
Et clorre vostre
parentese,
Chercher un peu vostre mortaise,
Et découvrir vostre magot;
Belle, donnez-moy vostre ergot,
Ce n'est pas pour ce qu'il vous semble,
Ce n'est que pour danser ensemble,
Et vous faire dire hopegay
Au son d'un petit branle gay;
Il n'est plaisir tel que la dance;
Voulez-vous oüyr quelque Stance,
Arrestez seulement icy;
J'en ay du Baron de Plancy,
De feu Marot et de Cigogne;
J'en ay de Madame Gigogne,
Et de Gifflart Poëte du Roy;
En voulez-vous aussi de moy,
Arrestez, ô Nymphe farouche,
J'en feray dessus vostre bouche;
Ce me sera plaisir bien doux
De faire des oeuvres sur vous;
Arrestez, ô Nymphe
follette,
En faveur de jambe mollette
De Phebus le Dieu Lasdaller,
Qui pour vous ne fait plus qu'heurler,
Qui pour vous ne fait plus que braire;
Arrestez, Nymphe solitaire,
En faveur du pied dessollé
D'un
pauvre amoureux rissollé.
Voila la complainte bourruë
Que de sa poitrine feruë
Tiroit ce dolent amoureux;
Il frise déja ses cheveux,
Et déja sa griffe paillarde
S'étend pour gripper la fuyarde,
Laquelle sentant
Apollon
Qui luy marche sur le talon,
Sur le poinct d'estre violée,
Adresse à son Pere Penée
Cette humble priere. ô Pater,
Qui m'avez promis plus de ter
Que coup de nerf, ny coup de verge,
Sur mon pauvre parchemin vierge
Onc ne feroit impression;
Pere, prenez compassion
De vostre Fille bien-aymée,
Qui court risque d'estre entamée,
Si ne baillonez d'un baillon
Son entrefretinfretaillon.
À peine elle eut cette priere
Finy, que son tres-noble Pere
L'écoutant, sa course arresta,
Et pour reverdir la planta.
Lors sortirent de ses deux manches;
Au lieu de bras, deux belles branches;
Dans
ses deux mains on ne vit plus
Dix doigts, mais dix rameaux fourchus;
Sa belle et blonde chevelure
Prit aussi la mesme parure;
Et son corps gent, plus droict qu'un jonc,
Alors ne fut qu'un pauvre tronc,
Manifestant
par son branchage
D'un Laurier le sacré feüillage.
Lors voyant ses amours ramus
Nostre pauvre Amoureux camus,
Aussi froid que pierre de marbre,
Embrasse encor ce nouvel arbre,
L'étraint, l'arrose
de ses pleurs,
Et luy promet mille faveurs,
Que jamais l'inique froidure
Ne gâtera sa chevelure,
Qu'elle a beau coucher au serain,
Qu'elle ne se tourmente grain
Ny de rume, ny de catterre,
Ny de gresle, ni
de tonnerre;
Que les neuf Vierges, ses neuf soeurs,
N'iront jamais sans ses couleurs,
Non plus que les plus grands Monarques;
Et que lui pour dernieres marques
De son amour, jusqu'au tombeau
La portera sur son chappeau;
Dequoi la pauvre repentante
Montre qu'elle en est bien contente,
Mais plus encore si son sot
De Pere ne l'eût prise au mot.
Vous qui lisez ce bel exemple,
Pucelles, en qui je contemple
En corps de chair,
coeur de rocher,
Voici bien dequoi vous toucher;
Pensez bien à cette avanture
Du Laurier, qui fut creature,
Qui trop tard meshui se repent
D'avoir dos, à si bel Amant,
Tourné plûtost que la
fressure;
Moi-mesme y pensant, je vous jure
Que je suis tout prest d'en pleurer,
Hormis quand j'en vois decorer
Quelque beau jambon de Mayence;
Car alors je prens patience,
Et dis en moderant mon dueil,
Autant
nous en pend-il à l'oeil;
Et puis qu'eussent fait dans le Monde,
Sans cette Plante si feconde,
Tant de braves Avanturiers,
Tant de nobles Machelauriers,
Tant de Bonnets, tant de Cervelles,
Tant de Lyres et tant
de Vielles,
Qui lisant un si piteux cas,
Je croi n'en refuseront pas
À moi qui n'en plante ni cueille,
Une pauvre petite feüille,
Pour, avec tronçon de veau gras,
Faire boüillir entre deux plats.