Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Le Jugement De Pâris En Vers Burlesques (1648)

Troisiesme Chant - Harangue de Junon


 

Pastoureau qui sur le coupeau
D'un mont, pais ton joly troupeau,
Icy sans feu, tison ny mesche,
Je ne suis pas pour faire bresche
A l'honneur de ton equité,
Non plus qu'à ma pudicité;
Je viens braver ces deux carognes,
Qui pleines de galle et de rognes
Me disputent l'honneste prix
Que tu sçais bien qui m'est aquis;
Car tu n'es ny bigle ny borgne,
Gentil Berger, lorgne un peu, lorgne
La Majesté de ces tetons,
Sont-ils beaux, sont-ils blancs et rons?
Quand mon mary Juppin les baise,
Si tu sçavois comme il est aise,
Tu dirois bien en verité
Que je suis l'unique en beauté.

Bien te montrerois-je autre chose
Plus odorant qu'Oeillet ny Roze,
Qu'on appelle entre gens bien nés
La face qui n'a point de nés:
Mais j'ayme mieux que tu contemples,
De crainte de mauvais exemples,
Le beau visage qui nez a,
Que le visage qui nez n'a;
Dis moy donc est-il un visage
Pareil au mien dans ton village,
Pres de son esclat nompareil?
Est-il pas vray que le Soleil
Fait une grimace plus terne
Qu'un sabot dans une lanterne?
N'ay-je pas le menton fourchu,
Courte oreille, le nez fichu,
Blonds cheveux, belle et blanche coine?
Suis-je pas grasse comme un Moine?
Ay-je macule sur la peau,
Galle, ciron, darte, ou poreau,
Pou, puce, punaise, ou cloporte,
Jambe de bille, ou jambe torte,
Main potte, piedbot, ou col tord,
Oeil postiche, ou dent de rapport?

Sus donc petit niais de Sologne,
Mon genti-joly lorgne trogne;
Sans tarder donne moy le prix,
Dépesche toy mon petit fils,
Si tu me livres cette pomme,
Je te feray le plus riche homme,
Et le plus brave, qui jamais
Posseda cheval et laquais;
Tu seras un homme à carosse,
Et si tu veux un homme à crosse,
J'entends à crosse de mousquet,
Car la Mitre n'est pas ton fait;
Je te feray Roy de cent Villes,
Que dis-je, de plus de cent milles;
Tu mangeras poullet, pigeon,
Boeuf, et moutarde de Dijon;
Tu dormiras comme une souche,
Rien ne feras que prendre mouche,
Escrire lettres, et poulets,
Et crier aprés tes valets;
Tu donneras belles aubades,
Festins, ballets, et serenades,
Jaunes Ducats à tes flatteurs,
A tes amours gands de senteurs,

A tes Chevaux fresches littieres,
A tes Laquais les estrivieres,
A tes bouffons gouvernemens,
Aux gens de bien des complimens,
De l'argent tu n'en auras manque;
Car j'ay bon credit à la banque:
En tout cas j'ay de beaux habits,
Des Diamans et des Rubis,
Et des Perles pleine charrette,
Que je mettray dans ta pochette.
Mon mignon, mon petit touton,
Mon tant joly Bergeroton,
Je veux manger aujourd'huy mesme
Avecque toy deux plats de cresme;
Et mesme garder tes Moutons:
Pour toy je ferois des testons,
Pense donc à m'estre propice,
Où je te feray tel service,
Qu'il vaudroit mieux en verité
Que le Diable t'eust emporté.
Ce dit avec sa castagnette,
Junon dansant la Boivinette,
Arriere un peu se recula;
Et puis Pallas ainsi parla.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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