Hé bien fille de ma cervelle,
Ne l'ay-je pas échappé belle ?
N'en dois-je pas chandelle à Dieu ?
Et toy Mars, mon grand porte épieu,
Que dis-tu de telle avanture ?
Quand s'y repense, je
te jure,
Que le coeur me fit tic et tac,
Et la fressure flic et flac.
Ventre sainct Gri quelle sottise
À gens qui portent barbe grise,
De s'intriguer à des Filoux ?
Mais ce n'est pas tout que des choux;
Pour avoir mis Loup en tanniere,
Et brûlé sa gentilhomiere;
Il n'en faut pas demeurer là,
Pas n'est temps de dire hola,
Ils m'ont trop lanterné la gance
Des boutons de ma grosse pance,
Pour m'arrester en si beau train;
J'ay trop de poignards dans le sein
Pour laisser la terre impunie,
Car qui bien ayme, bien chastie.
Depuis que ces chiens de mortels
Ont dit zeste de nos Autels,
Au diable celuy de
leur trouppe
Qui dans godet ou dedans couppe,
Cidre ou vin nous ait presenté,
Ny beu mesme à nostre santé,
Ou nous ait fait don d'une Pie;
Ma foy nous aurions la pepie,
Et pourrions la langue tirer
D'un pied avant, que d'attirer,
Pour rincer nostre pauvre bouche,
Le sacrifice d'une mouche;
J'en suis encor tout alteré:
Mais foy de prince coleré,
Je vengeray l'interest nostre,
Car qui toque l'un,
toque l'autre.
Mes amis, c'est perdre le temps
De leur donner les innocens,
Ny leur chatoüiller l'epiderme;
Il en faut brûler jusqu'au germe,
Pour apres avecque Mahon
Les fourrer in Cafarnaon.
Si vous
sçaviez le beau ravage
Qu'ils ont fait en nostre ménage,
Vous en pisseriez dessous vous;
Ils nous traittent comme des fous.
L'un m'appelle Martin coquasse,
L'autre Capitaine Fracasse,
Qui nomme Phoebus
un falot,
Mon Fils Bacchus un guigne au pot,
Venus une franche Bagace,
Son petit Fils un liche Casse,
Mon Mercure un traisne Licou,
Mome un Badin, Mars un Filou;
Il n'est plus aucune statuë
Où n'ayons
épaule abbatuë;
Ou pour le moins le nez cassé;
Par ma foy tout est fricassé;
Mon Aygle a la jambe rompuë,
Je ne voy ny Temple ny Ruë
Où ne soyons mal accoustrez;
Nous sommes
presque tous chastrez,
Sans yeux, sans bouche, et sans oreille
Pour moy je me trouve à la veille
De dire au Monde, ayez pitié
D'un pauvre diable estropié;
Depuis que cet Andropophage
A quitté
les chausses de Page,
Maudit soit qui le puis tenir.
Mais voicy dequoy le punir.
Sus Compagnons, aux Armes viste,
Mon Tonnerre, ma Lechefrite,
Ma Tempeste, mon Tourbillon,
Mon Gresillon, mon Tortillon,
Mon Quevillon, ma Fourchefiere,
Ma Rapiere, et ma Bandoliere.
À
quoy Momus, gentil Bouffon.
Répondit para pata pon,
Non pas pour accroistre son ire,
Car aucun d'eux n'eust à vray dire
Voulu, pour cent Maravedis,
Voir tant de gens abasourdis.
Ils demandent, passé l'orage,
Frit que sera l'Humain lignage,
Qui dans leurs Temples leur dira
Carimari, Carimara;
Qui gardera dans leurs Chappelles
Des Souris, leurs bouts de Chandelles;
Apollon, qui l'encensera,
Lors qu'en Delphe on luy flutera
La Chanson du Curé de Mole;
Qui recurera son idole,
Et son tripié tripolira;
Venus qui la cantiquera
D'un bel attendez-moy sous l'orme;
Diane doucement s'informe
Que
deviendront eaux et forests;
Amour, les pays du marests;
Bacchus, que deviendra la grappe;
La cuve, la cave et la trappe;
Mars, ses pipes et son tabac;
Bref tous patatin patatac,
Font un si furieux vacarme,
Qu'enfin
quoy que testu gendarme
Jupin, pour les tirer d'Ahan,
Leur dit, en secoüant son gan,
Qu'il ne faut sinon dire souffle,
Qu'autre monde il a dans sa mouffle,
Qui ne tient à fer ny à clou,
Qui n'aura
ny puce ny pou,
Pied qui cloche, ny dent qui loche,
Dont les Habitans, sans reproche,
Seront plus blonds que des bassins,
Plus doux que des petits poussins,
De bon garbe et de bonne morgue,
Sçavans Docteurs,
grands souffleurs d'orgue,
Tres-beaux et bons carrillonneurs,
Bons Chantres et bons entonneurs,
Qui diront bien mieux que les autres
Leurs gaudez et leurs patinostres,
Feront bien mieux le pied de veau,
Osteront bien
mieux leur chappeau,
Moucheront bien mieux leurs chandelles,
Et payront bien mieux leurs gabelles.
À quoy les Dieux d'engin subtil
Répondirent, ainsi soit-il.
Déja cent bouches effroyables,
De cent
foudres chargez de diables,
Portans en trousse un Lougarrou,
Alloient faire bredibredou;
Et déja le souffle tempeste
Le grand Juppin, éclair en teste,
Vent, orage et gresle à son cou,
Estoit prest
à faire le fou,
Quand se remettant en memoire
Le songe qu'il fit apres boire,
Que Vulcan luy brûloit le nez,
Il ploya ses bras déployez
Dessus l'iniquité du Monde,
Craignant, par saincte Radegonde,
Qu'ayant embrasé son bucher,
Et mis le feu dans son plancher,
Le feu ne prit à sa solive,
Ayant leu dedans Titelive,
Premier chappitre du Destin,
Que le feu par un beau matin
Ne se feroit qu'une curée
De toute sa Maison dorée.
Pour ce respect, comme j'ay dit,
Il posa son foudre susdit,
Mit le pied dessus sa flameche,
Esteignit et souffla sa meche,
D'un autre moyen s'aduisant,
Moins dangereux, et plus plaisant,
Qui fut d'ouvrir toutes les bondes
Du Ciel, de la Terre, et des ondes,
Pour laver ce Monde malin,
Et baptiser un peu son vin,
Luy rincer un peu la gencive,
Mettre son linge à la lessive,
Et forcer sa civilité
De boire un coup à sa santé.
Dés l'instant son chappeau de pluye
Prit le beau Sire, et puis fit vie
Dans les plus froides regions
Y renfermer les Aquilons,
Laïssant libre la caracolle
À
noble Seigneur Quillemolle,
L'humide vent, moüille chappeau;
Lequel sans dire garre l'eau,
Ne pouvant garder son urine,
Moüille maint dos et maint échine.
Ce vent sur ses aisles porté
En l'air
fut aussi-tost monté,
Affublé d'une noire nuë,
Qui du beau jour ostant la veuë,
Doucement faisoit faire flux
Aux jaunes rayons de Phoebus;
De sa barbe d'eau toute plaine
Sortoit perrenelle fontaine,
Et de ses emplumez tuyaux
Liquides humeurs à pleins sceaux.
Lors qu'il eût assemblé les Nuës,
Tant les grosses que les menuës,
Et courant happé les broüillars
Qui parmy l'air estoient
épars,
Il les pressa de telle sorte
Dedans sa main puissante et forte,
Qu'il fit grand tonnerre en sortir,
L'eclair et l'éclat en partir,
Puis couler en maintes manieres
Grands fleuves et grosses rivieres;
Pour lesquelles entretenir,
Celle qui charge a de fournir
D'eau toute la Maison Celeste,
Iris, prenant sa riche veste,
Laquelle est ainsi que je croy
À peu pres des couleurs du Roy,
Courut dans les celestes
Plaines
Lâcher écluses et fontaines,
Et tourner tous les robinets
D'Aquarius et de Pisces;
Il n'est pas fils de bonne Mere,
Qui pour ayder à cette affaire,
Ne preste son vin ou son eau;
Bacchus
defonce son tonneau,
Et du seul flux de sa vessie
Innonde toutes la Russie;
Silene le vieux Biberon
Qui bronchant jamais (ce dit-on)
Ne fit tort au jus de la Treille,
À ce coup casse sa Bouteille;
Et du
bout de son sac à vin,
Abreuvant les Peuples du Rhin,
Noye toute la Germanie;
Juppiter, toute l'Arcadie;
Cupidon, tous les Pays-Bas;
Fille de bon Pere n'est pas
Qui ne soit de la pisserie;
Ny Dieu qui dans
sa furie,
Pour châtier le genre Humain,
Ne prenne la verge à la main;
Tout saute, jusques à la souppe,
Jusques au nectar de la couppe;
Tout s'épand, jusqu'à l'hypocras,
Jusques à
la sauce des plats,
Jusques à l'eau de fleur d'orange,
Les Amours toute leur eau d'ange
Versent, et le sieur Apollon
Toute l'eau de son Helicon;
Vulcan, toute l'eau de sa forge;
Et Saturne dedans sa gorge,
N'ayant plus de flegme à pousser,
Renverse son pot à pisser.
Dieu sçait quel étrange lavage,
Chacun s'étonne de l'orage;
Le flux est si continuel,
Qu'on craint qu'il ne soit eternel;
Déja la campagne se noye,
On ne voit plus chemin ny voye,
Ny pas, ny route, ny sentier;
On peut bien dire adieu panier,
Et chanter vendanges sont faites,
Adieu chansons, adieu goguettes,
Adieu les navets et
les choux,
Le Jardinier a du dessous,
Le Laboureur en a dans l'aisle,
Et justement le Ciel querelle
De voir que perdant sa moisson
Il perd l'habit et la façon.
Mais Juppin qui voit ce ravage,
Et se plaist
en ce beau ménage,
Non content de pester en l'air
Comme un beau diable de Vauver,
Va prier Neptune son frere,
Qui lors d'un tronçon de Galere
Faisoit un tres-friant repas,
De luy prester un peu son bras,
Avec un petit de son onde,
Pour laver les crimes du Monde.
À sa Requeste compliment
Ne fit le Dieu porte-trident;
Ains sans perdre temps davantage
Convoqua, par un prompt message,
Les grands Fleuves et les
petits,
Qui ne sont pas des apprentifs,
Comme chacun sçait, à mal faire;
Témoin la Durance, Lysere,
Et le Fleuve des Gobelins,
Petites gens, mais bien malins,
Ausquels sans beaucoup de langage,
D'autant que le bleu personnage
Avoit appris que des discours
Les meilleurs, estoient les plus cours;
Il dit seulement faites rage,
Dire n'en fallut davantage.
Soudain pour gagner les dehors,
Les voila tous dessus
les bords,
Gros des eaux de toutes leurs sources,
Qui hastans leurs rapides courses,
En un instant s'en vont combler
Les creux abysmes de la Mer.
Si bien que pressé dans sa couche
Ce Dieu de l'Element farouche,
Voyant le bois de son chalit
Pour tant de monde trop petit,
Contraint fut se jetter à Terre
Dessus un matelas de pierre;
Et frappant de son curedent,
Lequel il nomme son trident,
De rompre digues et bordages,
Et renverser sous les rivages
Qui remparent les animaux
Contre la malice des eaux.
Lors la Terre sans esperance
De pouvoir faire resistance
À des Tyrans si débordez,
Et de raison si peu guidez,
Pour
ne voir détruire sa race,
D'eau se couvrit toute la face,
Laissant courir dessus ses flancs
Ces fiers et furieux torrens,
Qui dans leurs cours épouventables
Entraisnent tout, et Dieux et Diables,
Bestes
et gens, trippes, fagots,
Marmites, plats, pintes, et pots;
Il n'est mur ny cloison si forte,
Que le flot n'attaque et n'emporte,
Temple qui ne soit abbatu,
Palais qui n'en ait dans le cu;
Si quelque maison mieux fondée
Jusqu'au fondement n'est sondée,
Et n'a pas encore bandé,
L'Hoste n'en est pas moins frondé,
Ny pas moins sa femme et ses filles
N'y lavent leurs pauvres guenilles;
Car le plus huppé bastiment
Dans l'eau qui croit incessamment,
Montrant à peine un peu la teste,
En a tantost jusques au feste,
Adonc Jean qui noyer se voit
En son grenier, monte en son toit,
Pierre au clocher de son Village,
Où
voyant encor son naufrage,
Tâche éperdu, prenant son croq,
D'en gagner la pointe ou le coq;
Mais l'eau qui marche comme un Basque,
L'ayant attrapé par la basque,
S'il ne sçait sa notte chanter,
Luy monstre viste à déconter;
Cettuy-cy dessus une roche
Ayant de pain doublé sa poche,
Regarde croistre le danger,
Où n'ayant plus rien à manger,
Attend que dans son territoire
Dame
Thetis luy porte à boire,
Chacun sur ce qu'il peut trouver
Essaye en vain de se sauver,
Le Vilain dessus sa cassette,
Le Coquet dessus sa coquette,
Le Coquin dessus son bissac,
Le Chicaneur dessus son sac,
Le Cordonnier dessus son liege,
Le President dessus son siege,
Le Barbier dessus son damier,
Le Palot dessus son fumier,
Le Saccavin dessus sa pance,
Et Jean Robin dessus sa lance;
Cettuy-cy dedans un battean
Vogue sur son petit Chasteau,
Cet autre sur son heritage,
À qui ny l'Art du Navigage,
Ny la science du Forçat,
Ne sert non plus dans cet estat,
Que de Themis le haut plumage;
Les Oyseaux mesme font naufrage,
Ne sçachans plus où se percher;
Et le confus et las Nocher
Cherchant en vain par vent et voiles
Un autre port que les étoiles,
Est contraint comme les Oyseaux
De donner du bec dans les eaux.
Lors
tout est mis à l'étallage,
Tout trotte, tout flotte, et tout nage,
Cage, berceau, botte, patin,
Siffre, tambour, Pierre, Catin,
Lutrain, bourdon, sceptre, bequille,
Chausse, pourpoint, cotte, roupille,
Edicts,
contracts, lettres, tarots,
Briguans, Voleurs, Archers, Prevosts;
La chair qui faisoit tant la nique
Au poisson, par poisson inique
Enfin est contrainte à ce jour
D'endurer la nique à son tour;
Comtes,
Barons, Princes, Monarques,
Boivent à la santé des Parques;
Taupes, Fourmis, Mouches, Taons,
Tygres maudits, Serpens, Griffons,
Boeufs, Boucs, Brebis, Chevres, et Vaches,
Traistres, Filoux, Larrons, Gavaches,
Ne sçauroient s'exempter des eaux,
Pas seulement les Maquereaux.
Qui pourroit conter le dommage
Que fit ce celeste ravage,
Combien perirent de mortels,
Combien de Dieux sur leur Autels
Noyez, faute de callebaces,
Combien se perdit de besaces,
De casaquins et de chappeaux,
Combien la Mort usa de faux,
Et de ciseaux la laide Parque,
Combien Caron dedans sa barque,
Qui plus est tygre qu'un Sergent,
Receut de bel argent content,
Sçauroit bien plus qu'Arithmetique,
Dont pas beaucoup je ne me pique;
Suffit de vous faire sçavoir
Qu'en un Pays qu'il fait beau voir,
Entre la Beoce et l'Attique,
S'éleve droit comme une pique
Un tres-beau Mont fait en Ygrec,
Dit Parnassus au double bec,
Rocher alors le seul au Monde,
Qui faisant nique au Dieu de l'Onde,
Malgré son trident et son eau,
N'avoit point moüillé son chappeau;
Deucalion dans une barque,
En dépit de la fiere Parque,
Avec sa femme à son costé,
Plus son fromage et son pasté,
Estoient les seuls de ce naufrage,
Tant femme, pasté, que fromage,
Qui n'avoient pour maintes raisons
Servy de pasture aux poissons,
Et si sauvez ils n'estoient mie;
Car bien que sa tant douce Amie
Les cornes luy eusse montré
Dudit beau mont cornusacré,
Si n'estoit
encor à vray dire
Temps de chanter, ny temps de rire;
Mais si bien fut par Jupiter
Temps de rire, et temps de chanter,
Alors que donnant de la pouppe
Dans cette sacré cornucroupe,
Il eut attaché
son batteau
Audit sacré cornucoupeau;
C'estoient les meilleures personnes,
Les plus douces, les plus consonnes,
Et les plus honorans les Dieux,
Qui furent jamais sous les Cieux;
Pirra sa chaste et chere femme,
Estoit la plus honneste Dame
Qui porta jamais calleçon;
Et son mary Deucalion,
Qui voyage avoit fait à Rome,
Estoit le meilleur petit homme
Qui jamais y porta bourdon;
Elle estoit plus souple qu'un jon,
Plus humble qu'une Tourterelle;
Jamais pour beurre ny chandelle
Elle n'avoit eu question;
Et son mary Deucalion,
Qui toûjours l'appelloit sa mie,
Jamais aucun jour de sa vie
Ne luy dit pire que son nom;
Onc, secrette inclination,
Feu n'alluma dans son visage,
Ny ne la mit en son ménage
En peril de contusion;
Et son mary Deucalion,
Digne Chrestien, bon Romivage,
Onc ne courut en garroüage
Peril de
cironcision.
Jupiter, qui de son Donjon
Vit ses innocentes Colombes
Plus paisibles que des Palumbes,
Ses gens si bons et si pieux,
Jugea ne pouvoir faire mieux,
Que du drap de si bon usage
En r'habiller l'humain
lignage;
Mais d'autant qu'il falloit secher
Paravant son moite plancher,
Tant pour déroüiller son tonnerre,
Que pour se guarir d'un caterre,
Qui fâchoit fort en verité
Sa dive pectoralité,
Soudain il hucha sa servante,
Bonne fille et fort diligente,
La Bize, avec l'Aquilon gay,
Qui dans quatre coups de balay
Nettoyerent toutes les ruës
Du Ciel; et dissipant les nuës,
Rendirent à
l'air épuré
L'éclat de son front azuré.
Alors Thetis découroucée
Déplissa sa robbe plissée,
Et le prince du flot grondant
Posa de mesme son trident,
Commandant
son joly Trompette
Tritton, de sonner la retraitte;
Ce Courrier, qui communément
Porte un rabat comme un Flamant,
Du plus beau bleu que la Nature
Puisse fournir à la peinture,
Obeïssant, il prit son
cor,
Son joly cor, toûjours d'accor,
Lequel s'entend du bout du Monde,
Qui comme un Serpent fait en onde,
Va toûjours en retretissant.
À peine d'un son glapissant
Eut-il sonné farlarirette,
Qui veut dire en langue Trompette,
Nobles Seigneurs retirez-vous,
Que les flots filerent tous doux.
Dame Thetis troussa ses quilles,
Laissant son sable et ses coquilles;
Les Rivieres dedans leurs bords
Renfermerent
leurs moites corps;
Les Rochers montrerent leurs festes,
Et les Pins leurs boüeuses testes.
Alors mettant son cul à l'air
La pauvre Terre, à découvert
Fit voir sa carcasse moüillée,
Et sa robbe dépenaillée,
À ses pauvres gens tous moüillez,
Et comme elle dépenaillez,
Qui ne trouvans ny gens ny beste,
Ny lit dressé, ny souppe preste,
Dans cette caverne d'esprits,
Où Phebus et ses neuf Souris,
Qu'il appelle ses neuf Pucelles,
À faute de bouts de chandelles,
Sont contraints plus de quatre fois
De ronger les bouts de leurs doigts;
Couru qu'ils eurent le Parnasse,
Depuis Virgille jusqu'au Tasse,
Enfin trouverent en ce lieu
Themis, qui pour l'honneur de Dieu
Lors disoit la bonne avanture,
Fort bonne Dame je vous jure,
Mais qui pourtant depuis les Roys
Ne daigne parler sans la
Croix;
À laquelle en cette maniere
Ils adresserent leur priere.
Gens qui n'ont pas un cardescu,
Crottez et moüillez jusqu'au cu,
Piteuses reliques de l'Onde,
Aujourd'hui seuls Maistres du Monde,
Mais
pourtant Maistres sans valets,
Sans chemises et sans collets,
Sans pot, chaudiere, ny coquasse,
Prosternez devant votre face,
Vous supplient, Dame Themis,
De faire tourner le Tamis,
Pour nous dire à tout avanture,
Par raison, ou par conjecture,
Ce que ces gens tant pluvieux
Veulent de nous; car si les Dieux
Cuident sur la carcasse nostre
Se remplumer, Jean c'est la vostre,
S'ils n'ont d'autre corde à leur arc,
Ils peuvent
dire adieu mon parc,
Ils n'en verront jamais les bestes,
Il a trop negé sur nos testes,
Nous avons trop vuidé les pots,
Et trop fait la beste à deux dos,
Pour vaquer à si bel ouvrage.
Répondez
donc, Dame tres-sage,
Sans nous dire ny mais, ny car;
Nous vous en conjurons, tant par
Le mortier qui vous sert de casque,
Que l'outil qui vous sert de masque,
Dont joüant à Colinmaillard,
Vous prenez Marte
pour Renard;
Par les pieds de vos Escrevisses,
Par les cornets de vos épices,
Par la corne de vos cornets,
Et la corne de vos bonnets.
À quoy la Deesse emplumée,
Leur dit d'une voix enrumée,
Allez enfans, claquez vos culs
À l'air, disant trois fois bocus,
Puis soudain jettez en arriere
Les os de vostre grande Mere;
Dont Pirra qui les choux cabus
Entendoit mieux que les rebus,
Se mit profondement
à rire,
Ne pouvant croire qu'un tel dire
La Deesse eut prononcé,
Sans avoir le coude haussé,
Plus que ne veut la bien-seance
D'une Dame portant balance.
Mais le sage Deucalion
Qui Jesuiste
avoit, ce dit-on,
Esté quatorze ans à la Fleche,
À l'instant découvrit la mesche,
Et ledit rebus déchifra,
Disant à sa femme Pirra,
Que cette Mere estoit la Terre,
Et les os
en estoient la pierre;
Ce qu'entendu, sans plus tarder,
Sortirent, et sans marchander,
Au milieu d'une grande Plaine,
Qui de pierre estoit toute pleine,
Les susdits et pretendus os
Fronderent par dessus leur dos.
Ces cailloux, qui le pourroit croire,
Sans ce qu'en dit Maistre Gregoire
Dans son ample Traitté des cloux,
Des cors des pieds, et des cailloux,
À peine eurent-ils touché Terre,
Que changez ils furent
de pierre
En beaux Enfans, non pas tous nus,
Mais tous chaussez et tous vestus,
Tous aussi drus que Pere et Mere,
Et comme eux tout prests à tout faire,
À plumer, à cuire, à trancher,
À
larder, à chair embrocher,
Tous garnis comme eux de machoires,
De ceintures, et d'écritoires,
D'heures, de psaultiers, de pardons,
De coquilles, et de bourdons;
Oncques personnes plus gentilles,
Autant
les Fils comme les Filles,
De Rocaille ne furent nez,
C'estoient leurs parens tout crachez,
Desquels cette Mere deserte,
Par ses propres os recouverte,
À depuis conservé chez nous.
Cet illustre sang de cailloux,
Gens belliqueux, et d'oeil farouche,
Qui font feu si tost qu'on les touche,
Et serviroient à fier outil
Au besoin de pierre à fusil;
Témoin nos Seigneurs sans reproche,
La Pierre, la Roque, et la Roche,
Les Rochefors, les Desrochers,
Qui vont dérochans les Rochers,
Les Roquerouges, Roquebrunes,
Les Iroquois, les Croqueprunes;
Bref tous les gens de ric et roc,
Excepté
Monseigneur sainct Roc,
Et defunt Monseigneur sainct Pierre,
Le Sieur Dampierre et Bassompierre,
Et l'honneste Roy de Maroc,
En ont tiré leur dur estoc.