Ci encoumence li diz de maitre Guillaume de Saint Amour, coument il fu escilliez
- (voir version moderne)
Oiez, prelat et prince et roi,
La desraison et le desroi
C'on a fait a maitre Guillaume:
Hon l'a banni de cest roiaume !
A teil tort n'i morut mais hom.
Qui escille home sanz raison,
Je di que Dieux qui vit et
reine
Le doit escillier de cest reine.
Qui droit refuse guerre quiert;
Et maitre Guillaumes requiert
Droit et raison sanz guerre avoir.
Prelat, je vos fas a savoir
Que tuit en estes avillié.
Maitre Guillaume
ont escillié
Ou li rois ou li apostoles.
Or vos di ge a briez paroles
Que ce l'apostoles de Rome
Puet escillier d'autrui terre home,
Li sires n'a riens en sa terre,
Qui la veritei wet enquerre.
Si li rois
dit en teil maniere
Qu'ecillié l'ait par la priere
Qu'il ot de la pape Alixandre,
Ci poeiz novel droit aprandre,
Mais je ne sai coment a non,
Qu'il n'est en loi ne en canon:
Que rois ne se doit pas mesfaire,
Por prier c'om li sache faire.
Se li rois dit qu'ecillié l'ait,
Ci at tort et pechié et lait,
Qu'il n'afiert a roi ne a conte,
C'il entent que droiture monte,
Qu'il escille home c'on ne voie
Que par
droit escillier le doie;
Et ce il autrement le fait,
Sachiez de voir qu'il se mesfait.
Se cil devant Dieu li demande,
Je ne respont pas de l'amende:
Li sans Abel resquist justise
Quant la persone fu ocise.
Por
ce que vos veeiz a plain
Que je n'ai pas tort, se le plaing,
Et que ce soit sanz jugement
Qu'il sueffre cest essillement,
Je le vos mostre a yex voiant;
Ou droiz est tors et voirs noians.
Bien aveiz oï la descorde
(Ne couvient pas c'on la recorde)
Qui a durei tant longuement,
.VII. anz toz plainz entierement,
Entre la gent saint Dominique
Et cels qui lizent de logique.
Asseiz i ot pro et contra;
L'un l'autre souvent encontra
Allant et venant a la court.
Li droit au clers furent la court,
Car cil i firent lor voloir,
Cui qu'en deüst li cuers doloir,
D'escommenier et d'assourre:
Cui bleiz ne faut souvent puet mourre.
Li prelat sorent
cele guerre,
Si commencerent a requerre
L'Universitei et les Freres,
Qui sunt de plus de .IIII. meires,
Qu'il lor laissassent la pais faire;
Et guerre si doit moult desplaire
A gent qui pais et foi sermonent
Et
qui les boens examples donent
Par parole et par fait encemble,
Si com a lor huevre me cemble.
Il s'acorderent a la pais,
Cens coumencier guerre jamais:
Si fu fiancé a tenir
Et seëlé pour souvenir.
Maitres Guillaumes au roi vint,
La ou des genz ot plus de vint,
Si dist: "Sire, nos sons en mise
Par le dit et par la devise
Que li prelat deviseront:
Ne sai ce cil la brizeront."
Li rois jura: "En non de mi,
Il
m'auront tot a anemi
C'il la brizent, sachiez sanz faille:
Je n'ai cure de lor bataille."
Li maitres parti dou palais
Ou asseiz ot et clers et laiz.
Sanz ce qu'ainz puis ne mesfeïst,
Ne la pais puis ne desfeïst,
Si l'escilla sans plus veoir.
Doit cist escillemens seoir ?
Nenil, qui a droit jugeroit,
Qui droiture et s'arme ameroit.
S'or faisoit li rois une choze
Que maitre Guillaumes propoze
A faire voir ce que il conte,
Que l'oïssent et roi et conte
Et prince et prelat tuit encemble,
C'il dit rien qui veritei cemble,
Si le face hon, ou autrement
Mainte arme ira a dampnement;
C'il dit choze qui face a taire,
A emmureir ou a desfaire,
Maitre Guillaumes dou tot s'offre
Et otroie, c'il ne se sueffre.
Ne dites pas que ce requiere
Por venir en roiaume arriere;
Mais c'il dit riens qu'auz armes vaille,
Quant il aura dit, si s'en aille
Et vous aiez seur
sa requeste
Conscience pure et honeste
Et vos tuit qui le dit oeiz,
Quant Diex se moterra cloeiz,
Que c'iert au grant jor dou Juïse,
Por li demandera jutize
A vos sor ce que je raconte,
Si en auroiz anui et
honte.
Endroit de moi vos puis ce dire:
Je ne redout pas le martire
De la mort, d'ou qu'ele me vaigne,
C'ele me vient por teil besoigne.
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Dit sur l’exil de Maître Guillaume de Saint-Amour
Écoutez, prélats, princes, rois,
l’injustice et le tort
qu’on a faits à maître Guillaume :
on l’a banni de ce royaume !
nul condamné à mort n’eut un sort si
injuste.
Qui exile un homme sans raison,
je dis que Dieu qui vit et règne
doit l’exiler de son Royaume.
Qui refuse le droit cherche la guerre ;
or maître Guillaume demande
qu’on lui fasse droit
sans recours à la guerre.
Prélats, je vous le fais savoir,
vous êtes en tous dégradés.
Maître Guillaume a été exilé
ou par le roi ou par le pape.
Je vous le dis
en un mot :
si le pape de Rome
peut exiler un homme de la terre d’autrui,
le seigneur n’a nul pouvoir sur sa terre,
pour dire toute la vérité.
Si le roi tourne l’affaire en disant
qu’il
l’a exilé à la prière
du pape Alexandre
voilà pour nous instruire : comme droit, c’est nouveau,
mais je sais comment cela s’appelle :
ce n’est ni du droit civil ni du droit
canon ;
car un roi ne doit pas se mal conduire,
pour quelque prière qu’on lui adresse.
Si le roi dit que c’est lui qui l’a exilé,
c’est de sa part un tort, une faute, une honte,
car
il ne sied ni à un roi ni un comte,
s’il sait ce qu’est la justice,
d’exiler un homme sans qu’on voie
de raison légale à ce qu’il l’exile ;
et il s’il agit autrement
sachez bien qu’il se conduit mal.
Si l’exilé lui en demande compte devant Dieu,
je ne réponds pas de la réparation :
le sang d’Abel cria justice
quand l’homme fut tué.
Pour que vous voyiez clairement
que je n’ai pas tort de la plaindre,
et que c’est sans jugement
qu’il subit cet exil,
je vous le montre, à vous qui voyez clair ;
ou alors droit est tort, et vérité
n’est rien.
Vous avez entendu parler de la querelle
(inutile de la raconter)
qui a duré si longtemps,
sept années entières,
entre les disciples de saint Dominique
et les professeurs de logique.
Il y eut beaucoup d’arguments dans les deux sens :
les parties se rencontrèrent souvent
en allées et venues à la cour de Rome.
Les droits des clercs y furent rognés court :
les Frères
y pouvaient à leur guise,
sans égard pour ceux qui s’en chagrinaient,
excommunier et absoudre.
Qui a du blé peut souvent moudre.
Les prélats eurent vent de cette guerre,
et ils se mirent
à prier
L’Université et les Frères,
issus de plus de quatre mères ,
de les laisser faire la paix entre eux ;
La guerre doit beaucoup déplaire
à des gens qui prêchent
la paix et la foi
et qui donnent de bons exemples
en parole et en action,
comme il paraît, ce me semble à leurs œuvres.
Ils firent la paix et s’engagèrent
à ne plus jamais reprendre
la guerre.
L’engagement fut pris
et scellé pour en garder mémoire.
Maître Guillaume vint trouver le roi,
devant plus de vingt personnes,
et lui dit : « Sire, nous avons accepté
la
procédure de conciliation
que les prélats arrangeront :
je ne sais si les Frères vont la rompre. »
Le roi prêta serment : « Au nom de moi-même,
je serai leur ennemi déclaré
s’ils la rompent, sachez-le bien :
je n’ai cure de leur combat. »
Le maître quitta le palais
où il y avait beaucoup de clercs et de laïcs.
Sans qu’ensuite il fît rien de mal
ni qu’il rompît la paix,
le roi l’exila sans y plus regarder.
Cet exil est-il convenable ?
non, pour qui jugerait selon le droit
et aimerait la justice et le salut de son âme.
Si maintenant le roi
faisait une chose
que maître Guillaume propose
pour montrer la vérité de sa thèse,
s’il acceptait que l’entendissent rois et contes,
princes et prélats tous ensemble :
si ce
qu’il dit paraît la vérité,
qu’on le fasse, ou sinon
bien des âmes seront damnées ;
et s’il dit ce qu’il ne faut pas,
maître Guillaume accepte
d’être
emprisonné ou mis à mort,
il le veut bien, s’il ne se soumet pas.
Ne dites pas qu’il demande cela
pour rentrer en France ;
si ce qu’il dit est profitable aux âmes ,
quand il l’aura
dit, qu’il s’en aille,
tandis que vous aurez, touchant sa requête,
une conscience pure et honnête.
Et vous tous qui entendez ce dit
quand Dieu apparaîtra cloué en croix,
au grand jour
du Jugement,
il vous demandera justice
pour lui sur ce dont je vous parle :
à vous alors les tourments et la honte.
Pour ce qui est de moi, je peux vous dire ceci :
je ne crains pas le martyre
de la mort, d’où
qu’elle ne vienne,
si elle me vient pour cette cause.