Une nuit je rêvais... et dans mon rêve sombre,
Autour d'un ténébreux autel,
Passaient, passaient toujours des victimes sans nombre,
Les bras tendus vers l'éternel.
Toutes avaient au front une trace luisante;
Toutes, comme un maigre troupeau
Qui laisse
à l'écorcheur sa tunique pesante,
Portaient du rouge sur la peau.
Et toutes, ce n'étaient que vieillards à grand âge,
Le bâton d'ivoire à la main,
Comme ceux que la mort, en un jour
de carnage
Trouva sur le fauteuil romain;
Que jeunes gens amis, à la vaste poitrine,
Au coeur solide et bien planté,
Frappés, la bouche ouverte, et d'une voix divine
Chantant la belle liberté;
Ce n'étaient que des corps meurtris et noirs de fange,
Du sable encor dans les cheveux,
Et battus bien longtemps, sur une rive étrange,
Des vents et des flots écumeux;
Ce n'étaient que des flancs
consumés par les flammes
Dans le creux des taureaux d'airain,
Que membres déchirés sous mille dents infâmes
Devant le peuple souverain;
Que des porteurs divins de blessures infimes,
Des sages couronnés
d'affront,
Des orateurs sacrés, des poëtes sublimes,
Tombés en se touchant le front;
Puis des couples d'amants, puis la foule des mères
Traînant leurs enfants par le bras,
Et les petits enfants
pleins de larmes amères
Et soupirant à chaque pas
Et ces ombres, hélas ! Avides de justice,
Plaintives, les mains dans les airs,
Demandaient vainement le prix du sacrifice
Au dieu puissant de l'univers.