Heureux qui, s'écartant des sentiers d'ici-bas,
À l'ombre du désert allant cacher ses pas,
D'un monde dédaigné secouant la poussière,
Efface, encor vivant, ses traces sur la terre,
Et, dans la solitude enfin enseveli,
Se nourrit d'espérance
et s'abreuve d'oubli !
Tel que ces esprits purs qui planent dans l'espace,
Tranquille spectateur de cette ombre qui passe,
Des caprices du sort à jamais défendu,
Il suit de l'oeil ce char dont il est descendu
!...
Il voit les passions, sur une onde incertaine,
De leur souffle orageux enfler la voile inhumaine.
Mais ces vents inconstants ne troublent plus sa paix;
Il se repose en Dieu, qui ne change jamais;
Il aime à
contempler ses plus hardis ouvrages,
Ces monts, vainqueurs des vents, de la foudres et des âges,
Où dans leur masse auguste et leur solidité,
Ce Dieu grava sa force et son éternité.
À cette
heure où, frappé d'un rayon de l'aurore,
Leur sommet enflammé que l'Orient colore,
Comme un phare céleste allumé dans la nuit,
Jaillit étincelant de l'ombre qui s'enfuit,
Il s'élance,
il franchit ses riantes collines
Que le mont jette au loin sur ses larges racines,
Et, porté par degrés jusqu'à ses sombres flancs,
Sous ses pins immortels il s'enfonce à pas lents :
Là,
des torrents séchés le lit seul est sa route,
Tantôt les rocs minés sur lui pendent en voûte,
Et tantôt, sur leurs bords tout à coup suspendu,
Il recule étonné; son regard
éperdu
Jouit avec horreur de cet effroi sublime,
Et sous ses pieds, longtemps, il voit tournoyer l'abîme !
Il monte, et l'horizon grandit à chaque instant;
Il monte, et devant lui l'immensité s'étend
Comme sous le regard d'une nouvelle aurore;
Un monde à chaque pas pour ses yeux semble éclore !
Jusqu'au sommet suprême où son oeil enchanté
S'empare de l'espace, et plane en liberté.
Ainsi, lorsque notre âme, à sa source envolée,
Quitte enfin pour toujours la terrestre vallée,
Chaque coup de son aile, en l'élevant aux cieux,
Elargit l'horizon qui s'étend sous nos
yeux;
Des mondes sous son vol le mystère s'abaisse,
En découvrant toujours, elle monte sans cesse
Jusqu'aux saintes hauteurs où l'oeil du séraphin
Sur l'espace infini plonge un regard sans fin.
Salut, brillants sommets ! champs de neige et de glace !
Vous qui d'aucun mortel n'avez gardé la trace;
Vous que le regard même aborde avec effroi,
Et qui n'avez souffert que les aigles et moi !
Oeuvres du premier
jour, augustes pyramides
Que Dieu même affermit sur vos bases solides !
Confins de l'univers, qui, depuis ce grand jour,
N'avez jamais changé de forme et de contour !
Le nuage, en grondant, parcourt en vain vos
cimes,
Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes,
La foudre frappe en vain votre front endurci;
Votre front solennel, un moment obscurci,
Sur nous, comme la nuit, versant son ombre obscure,
Et laissant pendre
au loin sa noire chevelure,
Semble, toujours vainqueur du choc qui l'ébranla,
Au dieu qui l'a fondé dire encor : Me voilà !
Et moi, me voici seul sur ces confins du monde !
Loin d'ici, sous mes pieds
la foudre vole et gronde,
Les nuages battus par les ailes des vents
Entre-choquant comme eux leurs tourbillons mouvants,
Tels qu'un autre Océan soulevé par l'orage,
Se déroulent sans fin dans des lits
sans rivage,
Et devant ces sommets abaissant leur orgueil,
Brisent incessamment sur cet immense écueil.
Mais, tandis qu'à ses pieds ce noir chaos bouillonne,
D'éternelles splendeurs le soleil le couronne
:
Depuis l'heure où son char s'élance dans les airs,
Jusqu'à l'heure où son disque incline vers les mers,
Cet astre, en décrivant son oblique carrière,
D'aucune ombre jamais n'y souille
sa lumière,
Et déjà la nuit sombre a descendu des cieux
Qu'à ces sommets encore il dit de longs adieux.
Là, tandis que je nage en des torrents de joie,
Ainsi que mon regard, mon âme se déploie,
Et croit, en respirant cet air de liberté,
Recouvrer sa splendeur et sa sérénité.
Oui,
dans cet air du ciel, les soins lourds de la vie,
Le mépris des mortels, leur haine, ou leur envie,
N'accompagnent plus l'homme et ne surnagent pas :
Comme un vil plomb, d'eux-même ils retombent en bas.
Ainsi,
plus l'onde est pure, et moins l'homme y surnage.
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A peine de ce monde il emporte une image !
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Mais ton image, ô
Dieu, dans ces grands traits épars,
En s'élevant vers toi grandit à nos regards.
Comme au prêtre habitant l'ombre du sanctuaire,
Chaque pas te révèle à l'âme solitaire :
Le silence et la nuit, et l'ombre des forêts,
Lui murmurent tout bas de sublimes secrets;
Et l'esprit, abîmé dans ces rares spectacles,
Par la voix des déserts écoute tes oracles.
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J'ai vu de l'Océan les flots épouvantés,
Pareils aux fiers coursiers dans la plaine emportés,
Déroulant à ta voix leur humide crinière,
Franchir en bondissant leur bruyante
barrière,
Puis soudain, refoulés sous ton sein tout-puissant,
Dans l'abîme étonné rentrer en mugissant.
J'ai vu le fleuve, épris des gazons du rivage,
Se glisser flots à flots,
de bocage en bocage,
Et dans son lit voilé d'ombrage et de fraîcheur,
Bercer en murmurant la barque du pêcheur;
J'ai vu le trait brisé de la foudre qui gronde
Comme un serpent de feu se dérouler
sur l'onde;
Le zéphir embaumé des doux parfums du miel,
Balayer doucement l'azur voilé du ciel;
La colombe, essuyant son aile encore humide,
Sur les bords de son nid poser un pied timide,
Puis d'un
vol cadencé fendant le flot des airs
S'abattre en soupirant sur la rive des mers.
J'ai vu ces monts voisins des cieux où tu reposes,
Cette neige où l'aurore aime à semer ses roses,
Ces trésors
des hivers, d'où par mille détours
Dans nos champs desséchés multipliant leur cours,
Cent rochers de cristal, que tu fonds à mesure,
Viennent désaltérer la mourante verdure !
Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocs suspendus,
Et ces torrents grondant dans les granits fendus,
Et ces pics où le temps a perdu sa victoire...,
Et toute la nature est un hymne à ta gloire !