La scène représente un champ de bataille jonché de morts.
Il est nuit.
SCÈNE IV
Jonathas blessé, soutenu par un vieillard, son écuyer,
entre par le côte opposé à la scène.
JONATHAS; ESDRAS, écuyer de Jonathas.
JONATHAS, avançant avec peine.
Où sommes-nous, Esdras ? où conduis-tu mes pas ?
Laisse-moi ! - Tous tes soins ne me sauveront pas :
Mon sang coule à longs flots; - mes yeux s'appesantissent,
Et mes genoux sans force à chaque pas fléchissent
!
ESDRAS, s'efforçant de le conduire plus loin.
Rappelez, ô mon fils, un reste de chaleur !
Ne tombez pas vivant dans les mains du vainqueur !
Encore quelques pas !
JONATHAS, essayant en vain de marcher.
Ma force
m'abandonne;
Sous la main du trépas mon coeur serré frissonne :
C'en est fait ! je succombe !
ESDRAS, désespéré.
O mortelle douleur !
Il tombe ! et je n'ai pu prévenir
son malheur,
A mon maître expirant donner des soins utiles,
Ni d'un fardeau si cher charger mes bras débiles !
Ah ! malheureux vieillard ! loin de le secourir,
Hélas ! à ses côtés tu ne
peux que mourir.
JONATHAS, avec effort.
Écoute, cher Esdras, ma dernière prière :
Si cette nuit fatale... épargne au moins mon père,
Raconte-lui ma mort; dis-lui que Jonathas
N'est pas tombé sans gloire en ses premiers combats.
Dis-lui que pour David j'implore sa clémence,
Que le Seigneur sur moi venge son innocence,
Que je meurs sans me plaindre, et qu'en le bénissant,
Pour son peuple et pour lui j'ai versé tout mon sang !
ESDRAS, baigné de larmes.
Quoi ! je verrais mourir celui que j'ai vu naître ?
Ai-je donc trop vécu pour survivre à mon maître ?
O douleur ! - Mais le ciel peut prolonger vos jours.
Si l'aurore vers nous ramenait du secours ?
Si
quelque fugitif, aidant mon bras débile,
Vous portait avec moi vers un plus sûr asile ?
J'écoute. - Mais partout un silence de mort !...
JONATHAS.
Va ! je n'attends plus rien des hommes ni du sort :
Si seulement, ah Dieu ! si je pouvais encore
Étancher d'un peu d'eau la soif qui me dévore !
ESDRAS, parcourant la scène.
Hélas ! j'en cherche en vain. Dans ces arides lieux,
Nulle fontaine, ô ciel ! ne réjouit mes yeux;
D'aucune source au loin je n'entends le murmure;
Pas une goutte d'eau sur la pâle verdure !
JONATHAS.
Eh bien ! tiens, prends mon casque, et là, dans le vallon,
Descends, et remplis-le des ondes du Cédron.
ESDRAS, prenant le casque et s'éloignant.
Faut-il le laisser seul ? O tardive vieillesse !
O Dieu ! rends à mes pas la force et la vitesse !
SCÈNE V
JONATHAS, seul.
Dérobez-moi, Seigneur, aux yeux des Philistins !
Ne laissez pas tomber mes restes dans leurs mains;
Ne livrez pas mes os à la terre étrangère;
Laissez au moins nia cendre à mon malheureux père
!
Mon père. Ah ! qu'ai-je dit ? Dans ce moment, hélas !
Il tombe, il meurt peut-être en nommant Jonathas !
Où donc était David ?... Michol, soeur adorée,
Combien tu pleureras ma mort prématurée
!...
Le Seigneur l'a voulu ! béni soit le Seigneur !...
Esdras !... Il ne vient pas... Une molle langueur
Efface par degrés ma mémoire et mes peines;
Un calme inattendu se répand dans mes veines;
Mes yeux appesantis succombent au sommeil.
Esdras viendra trop tard... Seigneur !... sois mon réveil !
Il s'endort étendu au pied d'un arbre.
SCÈNE VI
JONATHAS, endormi; SAÜL, fugitif, arrivant
lentement sur la scène sans voir son fils.
SAÜL.
Où fuir ?... où retrouver dans ces ombres funestes
De mes guerriers détruits les déplorables restes ?
Sous le fer ennemi sont-ils donc tombés tous ?
Et moi qui les bravais, seul j'échappe à
leurs coups !...
Il cherche à reconnaître le lieu ou il se trouve.
Où suis-je ?... C'est le camp : voici ces mêmes tentes,
Muettes maintenant, naguère si bruyantes !...
Peuple qu'entre mes mains le ciel avait remis,
C'est donc là ce retour que je t'avais promis ?
Qu'un
moment a changé ton héros et ton maître !
D'une heure à l'autre, ô ciel ! qui peut le reconnaître ?
Où sont tous tes enfants, dont les cris belliqueux
Réjouissaient mon camp ? -
Je te reviens sans eux !
Seul je vis ! - et le ciel, constant à me poursuivre,
M'arrache le triomphe et me condamne à vivre !
Et je vivrais ! - ô honte ! - et je viendrais m'ofïrir
A la pitié d'un
peuple ardent à m'avilir ?
A l'orgueilleux dédain des fils du sanctuaire ?
Lâches, qu'enhardirait l'excès de ma misère,
Et qui, sur mes malheurs mesurant leur affront,
D'un, reste de bandeau
dépouilleraient mon front !
Non, non ! plutôt cent fois de ma main forcenée,
Moi-même, en roi du moins, faire ma destinée,
Et, puisque Dieu l'emporte et qu'il est le plus fort,
Chercher contre
sa haine un abri dans la mort !
Il tire son épée.
Frappons ! - Mais Jonathas peut-être vit encore ?
Faut-il l'abandonner au rival qui l'abhorre ?
Comment ce faible enfant, de traîtres entouré,
Sortirait-il du piège à ses pas préparé ?
Que recueillera-t-il de mon triste héritage ?
Un trône s'écroulant, la honte et l'esclavage !
Non, non ! bravons pour lui les derniers coups du sort !
Vivons, puisqu'il le faut pour prévenir sa mort !
Malgré le ciel, encor conservons l'espérance !
Aux destins, jusqu'au bout, opposons ma constance;
Et, s'il me faut tomber, eh bien ! tombant en roi,
Que toute ma maison s'engloutisse avec moi !
Saül cherche une issue, et s'approche du sycomore au pied
duquel son fils est étendu et endormi.
Mais où porter mes pas ? - où le chercher ? - L'aurore
Sur ces sommets sanglants ne brille point encore :
Qui sait si ses rayons ne me montreront pas
Parmi des morts... Grand Dieu ! sauve au moins Jonathas !
JONATHAS, à ce mot se réveillant, à demi-voix.
Où suis-je ? Quelle voix m'a nommé ?
SAÜL, étonné.
Qui soupire ?
Parle ! qui que tu sois, que fais-tu là ?
Il s'approche précipitamment de l'arbre.
JONATHAS.
J'expire.
SAÜL, éperdu.
Quels accents !
JONATHAS.
C'est Saül !...
SAÜL, éperdu.
Est-il vrai ? Jonathas !
JONATHAS.
C'est moi !
SAÜL, se précipitant sur son fils.
Je te retrouve !
JONATHAS.
Et je meurs dans vos bras !
Mais, avant de fermer mes yeux à la lumière,
Que le ciel soit loué ! j'ai pu bénir mon père.
SAÜL.
Que vois-je ! O malheureux, il nage dans son sang !
C'est donc ainsi, grand Dieu, que ta main me le rend !
Quel monstre l'a frappé ? N'est-il plus d'espérance ?
Faut-il mourir aussi ?
JONATHAS.
Vivez pour ma vengeance !
Vivez ! n'espérez pas de conserver mes jours,
L'instant où je vous
parle en achève le cours.
Accordez-moi du moins une dernière grâce :
Que d'un fils expirant David prenne la place !
Dieu le chérit, et Dieu rejette votre fils :
Respectons ses décrets ! je meurs
et les bénis !
SAÜL.
Quoi ! ce nom détesté dans ta bouche est encore ?
Dieu le chérit !... Eh bien ! c'est pourquoi je l'abhorre !
C'est pour lui que de Dieu les décrets inhumains
Ont brisé cette nuit mon sceptre dans
mes mains;
C'est pour lui que tu meurs, c'est pour lui que je tombe;
C'est lui qui doit fonder son trône sur ta tombe !
Et tu veux... Ah ! plutôt dans son sein abhorré
Que ne puis-je plonger ce fer désespéré,
L'en retirer fumant pour l'y plonger encore,
Voir couler dans le tien tout ce sang que j'abhorre,
Et, lorsque sous mes coups son sang aurait coulé,
Me frapper à mon tour, et mourir consolé !
Un moment de silence.
Mais je ne verrai pas son supplice ! - Le lâche
Laisse tout faire au ciel; il triomphe et se cache !
Il craint ce bras débile : il attend pour venir
Qu'un traître de ma perte aille le prévenir !
Qu'il
vienne, il en est temps, saisir cette couronne
Qui tombe de mon front et que son Dieu lui donne !
Qu'il vienne rechercher parmi ces flots de sang
Ce sceptre abandonné, ce trône qui l'attend !
Le voici ! - Viens régner
sur ces champs de carnage !
Viens recueillir de moi cet horrible héritage !
Prends ma place, perfide ! et sur ces tristes bords
Règne sur des déserts, des débris et des morts !
JONATHAS.
Malheureux père, au nom de mon heure suprême,
Épargnez-moi ! - Vivez et rentrez en vous-même !
N'irritez pas un Dieu si sévère pour nous,
Et par le repentir désarmez son courroux !
SAÜL.
Et que me peut ton Dieu ? que me fait sa colère ?
A son courroux enfin que reste-t-il à faire ?
Près du corps déchiré de mon fils expirant
Il m'entraîne, il me voit, il doit être content
!
- Va ! tant que j'espérai de conserver ta vie,
J'ai craint ce Dieu, mon fils; tu meurs, je le défie !
Sa cruauté ne peut accroître mon tourment.
Je tombe sous ses coups, mais en le blasphémant
!
JONATHHAS.
O ciel ! à nos malheurs n'ajoutez pas ce crime !
- Contentez-vous, ô Dieu ! d'une seule victime;
Que mon sang vous apaise, et que mon père...
SAÜL, furieux.
Non !
Non ! je ne veux de toi ni bienfait ni pardon !
Dieu cruel, Dieu de sang, je te brave et t'outrage !
Tout ton pouvoir ne peut avilir mon courage.
Tu l'emporte, il est vrai; mais lorsque tu m'abats,
Je me relève
encor pour insulter ton bras !
Je ne me repens pas des crimes de ma vie :
C'est toi qui les commis et qui les justifie;
C'est toi qui, de mes jours constant persécuteur,
As semé sous mes pas les pièges du
malheur;
Et, si l'excès des maux a produit l'injustice,
Tu fus de mes forfaits la cause et le complice !
- Tu les punis pourtant ! - Tu les punis en moi;
Mais je les vois ailleurs récompensés par toi !
Ce qui fut crime en l'un chez un autre est justice :
La vertu n'est qu'un nom, ta loi n'est qu'un caprice;
Et ton pouvoir cruel n'a formé les humains
Que pour persécuter l'ouvrage de tes mains !
Et bien ! par
mon supplice exerce ta puissance !
Assouvis tes regards, jouis de ma souffrance !
Jouis ! mais hâte-toi de l'épuiser sur moi :
Le néant où je cours va m'arracher à toi !
JONATHAS, d'une voix éteinte.
O blasphème ! - Épargnez, Dieu clément... O mon père !
Que cet égarement rend ma mort plus amère !
- Ne vous souvenez pas, Seigneur, de ces discours !
Seigneur, votre justice a compté
tous nos jours;
Nos destins sont écrits dans vos lois éternelles,
Nos mérites pesés dans vos mains immortelles :
L'homme, oeuvre de ces mains, pourra-t-il murmurer ?
Osera-t-il juger ce qu'il doit
adorer ?
Ah ! si la nuit des sens ici nous presse encore,
La mort ouvre nos yeux à l'éternelle aurore :
Je la sens ! O Saül ! quelle immense clarté !
Mon père ! jour divin, céleste vérité
!
Que ces rayons sacrés consolent ma paupière !...
Que le Seigneur m'est doux à mon heure dernière !
Mon âme dans son sein s'exhale sans effort.
Mon père... adieu !... Seigneur, recevez...
Il meurt.
SAÜL, contemplant le corps de son fils.
Il est mort !...
Il est mort... La voilà, cette longue espérance,
Ces destins éternels promis à ma puissance !...
Oracles imposteurs', à mon peuple, à mon fils,
A toute ma grandeur, malheureux,
je survis !
Comme un astre tombant qui brille et qui s'efface,
J'ai vu briller et fuir tout l'espoir de ma race :
Et moi... vieilli, défait, et pleurant sur des morts,
Vaincu, je reste seul !... seul avec mes remords !
Mourons donc ! Venez tqus jouir de mon supplice !
Vous, ombres qu'immola ma sanglante injustice,
Dans le sang de mon fils voyez couler mon sang !
Mais je ne vous vois pas à ce dernier instant,
Mânes persécuteurs,
auteurs de ma misère !
Quoi ! vous m'abandonnez à mon heure dernière ?
Quoi ! vous ne venez pas vous disputer mon corps ?
Quoi donc ! connaîtrait-on la pitié chez les morts ?
Eh bien ! ma propre
main vous apaise et vous venge !
Recevez tout mon sang, enivrez-vous...
Il entend les pas des guerriers, les cris des vainqueurs.
Qu'entends-je
?
Mon nom !... Vous me cherchez, barbares ennemis ?
Vous me trouverez là, sur le corps de mon fils !
Qui n'est tombé que mort n'est pas tombé sans gloire !
Les voici ! Hâtons-nous, frappons, mourons
!
Il se perce de son épée sur le corps de Jonathas.
SCÈNE VII
DAVID, arrivant; des GUERRIERS poussent un cri
en se précipitant sur la scène.
Victoire !
XIII. À l’Esprit-Saint
Tu ne dors pas, souffle de vie,
Puisque l'univers vit toujours !
Sa sainte haleine vivifie
Les premiers et les derniers jours.
C'est toi qui répondis au Verbe qui te nomme,
Quand
le chaos muet tressaillit comme un homme
Que d'une voix puissante on éveille en sursaut;
C'est toi qui t'agitas dans l'inerte matière,
Répétas dans les cieux la parole première,
Et comme un
bleu tapis déroulas la lumière
Sous les pas du Très-Haut !
Tu fis aimer, tu fis comprendre
Ce que la parole avait dit;
Tu fis monter, tu fis descendre
Le Verbe qui se répandit;
Tu condensas les airs, tu balanças les nues,
Tu sondas des soleils les routes inconnues,
Tu fis tourner le ciel sur l'immortel essieu;
Tel qu'un guide avancé dans une voie obscure,
Tu donnas forme et vie à toute créature,
Et, pour tracer sa route à l'aveugle nature,
Tu marchas devant
Dieu !
Mais tu ne gardas pas sans cesse
Les mêmes formes à ses yeux :
Tu les pris toutes, ô Sagesse,
Afin de glorifier mieux !
Tantôt brise et rayons, tantôt foudre et tempêtes,
Son terrible
ou plaintif des harpes des prophètes,
Colonne qu'Israël voit marcher devant soi,
Parabole touchante ou sanglant sacrifice,
Sueur des Oliviers la veille du supplice,
Grâce et vertu coulant de ce divin calice,
C'est toi, c'est toujours toi !
Le genre humain n'est qu'un seul être
Formé de générations,
Comme un seul homme on le voit naître,
Ton souffle est dans ses passions.
Jeune, son âme immense, orageuse et profonde,
Déborde
à flots d'écume et ravage le monde;
Tu sèmes ses flocons de climats en climats;
Ton accent belliqueux a l'éclat du tonnerre,
Ton pas retentissant secoue au loin la terre,
Et le Dieu qui te lance est
le dieu de la guerre
Servi par le trépas !
Tu revêts la forme sanglante
D'un héros, d'un peuple, d'un roi;
Tu foules la terre tremblante
Qui passe et se tait devant toi.
Mais quand le sang glacé dans ses veines s'arrête,
Le genre humain,
qui sent que son heure s'apprête,
S'élève de la vie à l'immortalité :
Tu marches devant lui sous l'ombre d'une idée;
D'un immense désir la terre est possédée,
Et dans
les flots d'erreur dont elle est inondée
Cherche une vérité !
Alors tu descends; tu respires
Dans ces sages, flambeaux mortels,
Dans ces mélodieuses lyres
Qui soupirent près des autels.
La pensée est ton feu, la parole est ton glaive !
L'esprit humain flottant s'abaisse
et se relève,
Comme au roulis des mers le mât des matelots.
Mais tu choisis surtout les bardes dans la foule :
Dans leurs chants immortels l'inspiration coule;
Cette onde harmonieuse est le fleuve qui roule
Le
plus d'or dans ses flots.
Où sont-ils, âme surhumaine,
Ces instruments de tes desseins ?
Où sont-ils, dès que ton haleine
A cessé d'embraser leurs seins ?
Ils meurent les premiers... Foyer qui se consume,
Flots qui
rongent la rive et fondent en écume,
Arbres brisés du vent sous qui l'herbe a ployé !
En néant avant nous ils viennent se résoudre;
Tu jettes leur orgueil et leur nom dans la poudre,
Et ton
doigt les éteint, comme il éteint la foudre
Quand elle a foudroyé.
Il se fait un vaste silence :
L'esprit dans ces ombres se perd,
Le doute étouffe l'espérance
Et croit que le ciel est désert !
Puis tel qu'un chêne obscur, longtemps avant l'orage
Dont frémit
tout à coup l'immobile feuillage
Et dont l'oiseau s'enfuit sans entendre aucun son,
Le monde, où nul éclair ne te précède encore,
D'un inquiet ennui se trouble et se dévore,
Et, comme
à son insu, de l'esprit qu'il ignore
Sent le divin frisson.
Et le ciel se couvre, et la terre
Croit qu'un astre s'est approché;
Et nul ne comprend ce mystère,
Car ton maître est un Dieu caché.
Mais moi je te comprends, car je baisse la tête;
J'entends
venir de loin la céleste tempête,
Et, d'un effroi stupide impassible témoin,
Quand de l'antique jour les clartés s'affaiblissent,
Que des lois et des moeurs les colonnes fléchissent,
Que la terre
se trouble et que les cieux pâlissent,
Je dis : « Il n'est pas loin ! »
Les voilà, ces heures divines !
Les voilà ! Mes yeux, ouvrez-vous !
La poussière de nos ruines
S'élève entre le jour et nous.
De quel vent soufflera l'esprit que l'homme appelle ?
L'âme
avec plus de soif jamais l'attendit-elle ?
Jamais passé sur nous croula-t-il plus entier ?
Jamais l'homme vit-il à l'horizon des âges
Gronder sur l'avenir de plus sombres orages,
Et te prépara-t-il
entre plus de nuages
Un plus divin sentier ?
Fends la nue, et suscite un homme,
Un homme palpitant de toi !
Que son front rayonnant le nomme
Aux regards qui cherchent ta foi !
D'un autre Sinaï fais flamboyer la cime,
Retrempe au feu du ciel la parole sublime,
Ce glaive de l'esprit émoussé par le temps !
De ce glaive vivant arme une main mortelle,
Parais, descends, travaille, agite et renouvelle,
Et ranime de l'oeil et du vent de ton aile
Tes derniers combattants !
Que la mer des erreurs s'amasse;
Qu'elle soulève son limon,
Pour engloutir l'heureuse race
De ceux qui marchent en ton nom !
Sur la mer en courroux que ta droite s'étende !
Que ton souffle nous creuse une route
et suspende
Ces flots qui sous nos pas s'ouvrent comme un tombeau !
Que le gouffre trompé sur lui-même s'écroule !
Que l'écume des temps dans ses abîmes roule,
Et que le genre humain la traverse,
et s'écoule
Vers un désert nouveau !
Je le vois : mon regard devance
Le pas des siècles plus heureux !
La colonne de l'espérance
Marche et m'éclaire de ses feux !
Tu souffleras plus pur sur des plages nouvelles :
Ton aigle pour toujours
n'a pas plié ses ailes;
La nature â son Dieu garde encor de l'encens;
Il est encor des pleurs sous de saintes paupières,
Du ciel dans les soupirs, dans les coeurs des prières,
Et, sur ces harpes d'or
qui chantent les dernières,
Quelques divins accents !
Oh ! puissé-je, souffle suprême,
Instrument de promission,
Sous ton ombre frémir moi-même,
Comme une harpe de Sion !
Puissé-je, écho mourant des paroles de vie,
De l'hymne universel
être une voix, choisie,
Et, quand j'aurai chanté mon cantique au Seigneur,
Plein de l'esprit divin qui fait aimer et croire,
Ne laisser ici-bas pour trace et pour mémoire
Qu'une voix dans le temple, un son
qui dise : « Gloire
Au souffle créateur ! »