Antoine Houdar De La Motte (1672-1731)
Recueil: Fables (1719)

Au Roy la Belle et le Miroir


 

Prince, l’amour du peuple et sa chère espérance,
Soleil, qui commences ton cours ;
Dont l’aurore déjà fait goûter à la France
Le présage des plus beaux jours :
Je te vouë (et mon zèle en ta bonté se fie)
Ces recits ingénus qu’Apollon m’a dictés,
Fables en apparence, en effet vérités :
De ton âge innocent, c’est la philosophie.
La morale au front sérieux,
Au geste grave, au ton sévère,
T’ennuiroit ; il est bon qu’elle rie à tes yeux,
Qu’elle badine pour te plaire.
Je l’égaye en mon livre ; un autre peut mieux faire,
Prince ; mais en attendant mieux,
Reçois de mes essais cette offrande sincère ;
S’ils sont de quelque fruit, que j’en loûrai les dieux !
Sous plus d’une riante image,
Les devoirs des rois sont tracez :
J’ose en dire beaucoup ; si ce n’en est assez,
Quelque jour ton exemple en dira davantage.
D’ailleurs, ne vas pas négliger
D’autres points que j’adresse à tous tant que nous sommes ;
Rien d’humain ne t’est étranger ;
Les grands rois se font des grands hommes.
Travaille donc à l’homme ; et quand il sera fait,
Le roi viendra bien aisément s’y joindre :
Faire l’homme est le grand objet ;
Et faire le roi c’est le moindre.
Quels hommes choisis vont t’aider
À consommer en toi cet important ouvrage !
Le vrai va t’être offert ; songe à le regarder,
Songe à l’aimer, et sur son témoignage
Fonde en ton cœur de solides vertus :
Car, lorsque des leçons aura disparu l’âge,
Peut-être que ce vrai ne se montrera plus.
Ce mot est effrayant. Qu’y faire ! C’est l’usage :
Tous les rois sont flattés. Prince, pour l’avenir
Contre les accidens songe à te bien munir.
On dit qu’un jour certaine belle,
Car je choisis tout exprès la beauté,
Qui va de pair avec la royauté :
On dit qu’un jour la demoiselle
Étoit à sa toilette, où son miroir fidelle
Lui disoit en ami plus d’une vérité.
Vous êtes belle, il faut rendre justice,
Lui disoit-il ; à quelque chose près,
Avec Venus vous entreriez en lice,
S’il falloit disputer d’attraits.
À quelque chose près, vous dis-je ;
Il faut qu’un peu de soin corrige
Certains défauts que je vous vois :
Défauts légers, ce sont des bagatelles,
D’accord ; mais tout importe aux belles.
Que sert ce vermillon ? Demandez-moi pourquoi
Vous altérez ainsi vos grâces naturelles ?
Adoucissez un peu ces yeux ;
Ce souris moins marqué seroit plus gracieux :
Tous avis que la belle approuve et songe à suivre.
Quand un grand monde la vient voir,
Elle se lève, et quitte le miroir.
Le cercle séducteur de loüanges l’enivre.
On loüa le faux teint, le regard, le souris ;
Rien n’y manquoit ; tout étoit grace ;
Tant fut dit, que la belle oublia les avis
Qu’elle devoit à sa fidelle glace.
Prince, vous voyez bien que la belle, c’est vous ;
Que le miroir, c’est plus d’un sage
Qui par d’heureux conseils veille à former pour nous
Un roi parfait. Dieu bénisse l’ouvrage.
Quand les flateurs viendront, faites-vous un devoir
De rappeller toujours les avis du miroir.

 

 


Antoine Houdar de La Motte

 

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