Tendresse maternelle, ô toi dont la douceur
Seule a réalisé mes rêves de bonheur !
Toi qui charmes mes jours, toi qui remplis mon âme,
Anime mes écrits d'un rayon de ta flamme ?
Je n'invoquerai
point les secours généreux
De ces filles du Pinde aux chants mélodieux;
Que mes fidèles vers, enfants de la nature,
Réfléchissent ses traits tels qu'une source pure
L'ait de la vérité
voilerait les appas,
Les plus légers atours entraveraient ses pas; . . .
Écoute mes accents, mère sensible et tendre,
Toi seule juge-moi, toi seule peux m'entendre;
Je veux en dévoilant mon coeur et
ses secrets,
Que toi-même en mes vers reconnaisses tes traits.
Et toi qui dès long-temps, sous les lois d'hyménée,
As pu voir luire encor l'époque fortunée
Qui doit doubler ta vie, et
combler tes désirs;
Laisse dire à mes vers tes mortels déplaisirs.
À peine dans les bras de l'amant quelle adore,
Tandis que de l'hymen le flambeau brille encore,
La jeune épouse au ciel, en ce moment heureux,
Demande un autre bien, et forme d'autres voeux;
L'Amour ne peut suffire
à cette âme brûlante,
Un seul désir l'occupe, un seul espoir l'enchante.
Cependant le temps fuit, entraînant sur ses pas
La confiance aveugle aux tranquilles appas. . .
Là finit le bonheur
où le doute commence,
La crainte devant elle a vu fuir l'espérance,
Et pour combler ses maux l'aspect de ce bonheur,
Objet de tous ses voeux, irrite sa douleur;
L'enfant qui dort en paix sur le sein de sa mère
S'il frappe ses regards augmente sa misère,
Et pourtant ce tableau qu'elle craint, qu'elle fuit,
En tous temps, en tous lieux, la tourmente et la suit;
Souvent pour triompher de sa peine secrète
Elle cherche le
monde, elle fuit la retraite;
Se glisse dans la foule, étouffe ses soupirs,
Et dévore ses pleurs au milieu des plaisirs.
Ah ! ce n'est point ici que le bonheur réside,
Sous un masque trompeur l'ennui seul
y préside.
« Cessons de m'abuser, dit-elle, je le vois,
Sur cette triste terre il n'est qu'un bien pour moi;
De l'espoir de ce bien goûtons encor le charme,
Peut-être que mon coeur trop aisément
s'alarme,
Ce Dieu puissant et bon qui compte nos douleurs
Se laissera toucher par mes voeux et mes pleurs;
Cherchons à maîtriser ma vive impatience,
Forçons du moins ma bouche à garder le silence,
Et dérobons surtout aux mortels indiscrets
Ma tristesse profonde et mes désirs secrets. »
C'est ainsi que livrée à l'importune crainte,
Qu'elle cherche à cacher sous une gaîté
feinte,
La jeune épouse, au sein des plaisirs et des jeux,
Pousse encor vers le ciel des soupirs douloureux;
Il lui semble parfois, dans son pénible doute,
Que le temps et s'oublie et se traîne en sa route;
Elle voudrait encor plus souvent ralentir,
Sa marche trop rapide, au gré de son désir;
La nuit, quand du sommeil la douceur bienfaisante
Suspend le sentiment de sa peine cuisante,
Les songes imposteurs l'assiègent
à leur tour;
Souvent elle croit voir sous les traits de l'amour
Un fils qui lui sourit, lui tend les bras, l'appelle,
Hasarde un premier pas, pour se traîner près d'elle;
Vers cet objet si cher, elle veut
s'élancer,
Sur son sein palpitant, le prendre, le presser;
Des mots entrecoupés s'échappent de sa bouche,
De ses brûlantes mains,elle parcourt sa couche;
Mais, hélas ! le réveil vient
bientôt effacer.
Ces traits qu'un songe heureux se plut à lui tracer.
Dans un nouveau sommeil, vainement elle espère
Retrouver, contempler, cette douce chimère;
Le soleil sur la terre a dardé
tous ses feux,
Que le repos encor n'a pu fermer ses yeux.
Près d'elle dort en paix cet époux qu'elle adore,
Un cruel souvenir vient l'agiter encore;
Son regard indécis se fixe tendrement
Sur cet objet chéri qui n'est plus cet amant
Autrefois orgueilleux du
bonheur de lui plaire;
Près de lui chaque peine alors était légère,
Sans cesse il la cherchait, maintenant il la fuit ...
Ah ! d'un d'un stérile hymen, voilà le triste fruit !...
En elle
il ne voit plus cette épouse féconde,
Sur qui chaque projet et chaque espoir se fonde;
Isolé sur la terre, il doit vivre et mourir,
En comptant tristement des jours sans avenir.
Lorsqu'un mortel gémit du chagrin qui l'accable
Il entend dans son coeur une voix secourable
Qui lui dit: lève au ciel tes suppliantes mains;
C'est là, qu'un Dieu puissant, favorable aux humains,
Écoute
avec bonté les ferventes prières;
D'un regard paternel adoucit nos misères,
Et du faible animant le courage abattu,
Jusqu'au pied de son trône élève la vertu.
Cette voix frappe au coeur
de l'épouse affligée;
Son courage renaît; et son âme allégée
De la moitié des maux dont elle gémissait,
De l'espoir ranimé goûte le doux attrait;
Elle court,
elle vole au prochain sanctuaire,
Et dans son coeur au ciel adresse sa prière;
Au milieu de la foule, elle est seule en ce lieu,
Elle demande un fils, et ne voit que son Dieu.
Sa langue est immobile, et sa bouche muette:
Ainsi l'on vit jadis dans sa douleur secrète (1)
L'épouse d'Elcana quitter souvent Sophim
Et parcourir les monts escarpés d'Éphraim
Pour porter à Silo ses désirs et ses craintes;
Au
pied du tabernacle, elle exhalait ses plaintes,
Elle disait: « Seigneur, vois mon affliction;
« Regarde ta servante en ta compassion;
« Daigne te souvenir de mes voeux, de mes larmes;
« Relève mes
esprits, et bannis mes alarmes:
« Mes jours sont obscurcis par la stérilité;
« Je te demande un fils pour ma félicité;
« Quelques jours seulement, seigneur, que je sois mère !
« Si ta miséricorde exauce ma prière,
« Mon âme satisfaite adorant tes bienfaits
« Te voûra ce trésor, objet de mes souhaits. »
Jeune épouse ! taris la source de tes larmes,
Bientôt reparaîtront ta jeunesse et tés charmes:
Ta voix a pénétré jusqu'aux sacrés parvis,
Un nouvel avenir s'ouvre à tes yeux
ravis.
Après deux ans entiers de triste impatience,
Lorsque le doux espoir, l'aimable confiance
Paraissaient dans son coeur être éteints sans retour:
Phrosifle voit combler ses voeux et son amour.
Les larmes ont cessé,
les roses du bel âge
Ont déjà reparu sur son charmant visage;
Ce n'est plus cet oeil terne, et ce front contristé,
Qui peignaient ks ennuis de son coeur agité;
Son regard est plus doux, son sourire
plus tendre;
Le plaisir, au dehors cherchant à se répandre,
Brille dans tous ses traits: tel l'aimable Zéphir
Colore le bouton qui vient de s'entr'ouvrir;
Ou tel on voit Phébus, vainqueur de nous orages,
Du plus sombre horizon dissiper les nuages.
Cependant elle cherche à cacher son bonheur
Sous le voile enchanté de l'austère pudeur;
Mais son regard plus vif et sa démarche fière
Trahissent
sou secret, et disent qu'elle est mère.
Ce n'est pas au milieu d'un monde indifférent
Qu'elle peut se livrer au plaisir qu'elle sent;
Il faut que tout partage et goûte son ivresse;
Que tout parle à ses yeux, d'espoir et de tendresse;
Phrosine à
dix-huit ans, seule avec son époux,
S'enfuit dans la retraite, et, loin des yeux jaloux,
Va goûter les plaisirs, enfants de l'innocence;
La nature en ces lieux encor dans son enfance,
N'étalant qu'à
demi ses charmes renaissants,
Promet à l'avenir de plus riches présents:
De jeunes arbrisseaux, de leurs rameaux dociles,
Contre les feux du jour forment de doux asiles;
Des ruisseaux argentés distribués
sans art,
À travers les gazons s'échappent au hasard:
Sur ces prés émaillés et sous ce vert feuillage,
Phrosine va revoir les jours du premier âge:
Tout germe, tout renaît, et tout
croît dans ces lieux;
Du bien qui les attend, là tout parle à leurs yeux;
Pour dissiper l'ennui d'une épouse captive,
Qui seule sur son nid, veille en mère attentive,
Le tendre rossignol, répète
nuit et jour,
Sa brillante cadence, et sa chanson d'amour;
Plus loin, sur ses petits, la douce tourterelle,
Roucoulant tristement, déployé, étend son aile;
Quoique faible et timide, elle affronte pour eux,
Et le plomb du chasseur, et l'aigle audacieux.
Au sommet des coteaux, une lueur légère
À peine répandait sa douteuse lumière,
Que Morphée emportant ses tranquilles pavots,
Loin des yeux de Phrosine a chassé le repos:
Elle renaît
au jour. Ô surprise trop chère !
Un mouvement léger, rapide, involontaire,
Frappe, presse, parcourt et soulève son sein;
Phrosine doute encor; mais son heureuse main,
A déjà rassuré
son esprit en balance,
Elle pleure, et jouit un moment en silence;
Mais bientôt, dans ses bras pressant avec ardeur
Son époux bien-aimé: « Partage mon bonheur, »
Dit-elle, « Ah ! rendons
grâce à la bonté divine,
« Il vit, et je crois voir sa figure enfantine
« Empreinte de tes traits, sourire à mon amour;...
« Ô Dieu dans ta bonté bénis cet heureux jour
!... »
À ces accents pieux, son époux se réveille,
S'étonne des sanglots qui frappent son oreille:
Et cherche à la calmer par ses soins empressés;
Il entend dans son coeur les battements
pressés,
Saisit sa main tremblante et près de lui l'attire;
Phrosine toute entière encore à son délire,
Lui dit ce qui l'émeut, et cause son bonheur.
Plus follement alors la pressant
sur son coeur,
Son époux attendri, dans ses bras renouvelle
Le serment enchanteur de n'aimer jamais qu'elle.
Au sein de cet aimable et doux épanchement,
L'avenir incertain éclipse le présent. . .
Ce n'est plus un objet qu'on attend, qu'on désire,
C'est un enfant chéri, qui vit, et qui respire.
Us pensent
voir déjà ce fruit de leur amour,
De ses baisers naïfs les couvrir tour à tour;
Ils entendent sa voix et son naïf langage,
Déterminent ses traits, admirent son visage:
Dans cette heureuse
nuit, un seul point seulement,
Détruit cette union et cet accord touchant;
L'époux attend un fils, et l'épouse une fille;
L'un veut perpétuer le nom de sa famille,
Et l'autre sans égard au rang
de ses aïeux,
Désire sa Zélis pour lui fermer les yeux.
Zélis ! c'est le seul nom, hélas ! qui peut lui plaire,
C'était le nom chéri de la plus tendre mère...
Phrosine s'abandonne à mille soins nouveaux.
Les atours de l'enfance, et les riches berceaux,
Par ses mains préparés, décorent sa demeure;
Elle va contempler, de quart d'heure en quart d'heure,
Ces
aimables apprêts, et cherche à deviner,
Quel est l'ordre important qu'il lui reste à donner.
Le plus léger détail la fixe et l'intéresse,
Et ce trousseau, chef-d'oeuvre et fruit de son adresse,
Complété mille fois, n'est jamais achevé.
L'instant cruel et doux est enfin arrivé;
Phrosine sent déjà quelque légère atteinte,
De ce mal seul exempt de faiblesse et de crainte;
Tranquille sur son sort, elle ne voit, ne sent,
Que l'intérêt
si cher du soit de son enfant;
Un rien l'émeut, l'agite, alarme sa tendresse:
Craignant qu'un mouvement le fatigue et le blesse,
Elle n'ose jouir du doux soulagement
Qu'offrirait à son corps le moindre changement;
Et lorsque ses douleurs s'accroissent à mesure,
Bien loin de proférer le plus léger murmure,
Elle semble accuser la lenteur de ses maux;
Elle craint, elle évite, elle fuit le repos.
Quelques cris cependant déjà se font entendre;
Ce n'est plus cet accent harmonieux et tendre,
Qui flatte, qui pénètre, et qui charme à la fois;
Le plafond retentit des éclats de sa voix.
Dans un mortel effroi, tout se tait autour d'elle,
Sur ses genoux tremblants chaque témoin chancelle,
Ces cris, ces cris perçants ont brisé tous les coeurs;
Et Phrosine, pourtant, objet de tant de pleurs,
Rayonnante d'espoir, d'amour et de courage,
À travers la sueur qui baigne son visage,
Forte de ses douleurs, montre un front radieux;
Un moment cependant elle ferme les yeux,
Son époux, tout en pleurs, à
ses genoux s'élance,
Elle veut lui parler et garde le silence;
Un sentiment trop vif a pénétré son coeur:
Elle renaît enfin du sein de la douleur;
Elle entr'ouvre, en tremblant, une humide paupière,
Son âme est dans ses yeux, elle vit, elle est mère...
Mais quel est le mortel favorisé des dieux,
Qui pourrait retracer ces moments bien heureux:
Quelles couleurs jamais pourraient te reproduire,
Bonheur si vrai, si pur, noble et touchant délire !
Phrosine ! tu le sais,
semblable au tien, mon coeur,
De tant de volupté savoure la douceur:
Comme toi, j'ai passé, du comble des supplices,
Au moment fortuné des célestes délices:
Comme toi j'ai cru voir les bords
des sombres lieux;
Et je suis comme toi sur le trône des dieux !...
Souvenir de mes maux, vous fuyez comme un songe ?
Dans un torrent d'amour, tout mon esprit se plonge,
Tant de félicité ressemble à
la douleur:
J'ai peine à supporter l'excès de mon bonheur,
Il confond ma raison, et mon âme ravie
Semble se reposer au-delà de la vie.
Note:
(1) Ainsi l'on vit jadis dans sa douleur secrète
L'épouse d'Elcana quitter souvent Sophim,
Et parcourir les monts escarpés d'Ephraim
Pour porter à Silo ses désirs et ses craintes.
Elcana habitait la ville de Ramatha, surnommée Sophim,
dans la montagne d'Éphraim.
Sa femme, nommée Anne, était stérile; elle allait souvent
à Silo, où était alors le tabernacle, pour prier le
Seigneur de lui accorder un fils, et elle fit voeu de le
consacrer au service
du Temple; sa prière fut exaucée; peu
de temps après elle devint mère du prophète Samuel.
(Voyez les chapitres I et II du premier livre des Rois).