Charles Baudelaire (1821-1866) Recueil : Les Fleurs du Mal (1857) -- Spleen et Idéal
L’Héautontimorouménos
À J. G. F.
Je te frapperai sans colère Et sans haine, comme un boucher, Comme Moïse le rocher ! Et je ferai de ta paupière, Pour abreuver mon Saharah, Jaillir les eaux de la souffrance. Mon
désir gonflé d’espérance Sur tes pleurs salés nagera Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon cœur qu’ils soûleront Tes chers sanglots retentiront Comme
un tambour qui bat la charge ! Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grâce à la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord ? Elle est dans ma voix, la criarde ! C’est
tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde. Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et
la victime et le bourreau ! Je suis de mon cœur le vampire, — Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
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