Je suis né pour l'amour, j'ai connu ses travaux, Mais, certes, sans mesure il m'accable de maux A porter ce revers mon âme est impuissante. Eh quoi ! beauté divine, incomparable amante, Je vous perds ! Quoi,
par vous nos liens sont rompus, Vous le voulez; adieu, vous ne me verrez plus: Du besoin de tromper ma fuite vous délivre. Je vais loin de vos yeux pleurer au lieu de vivre, Mais vous fûtes toujours l'arbitre de
mon sort; Déjà vous prévoyez, vous annoncez ma mort. Oui, sans mourir, hélas ! on ne perd point vos charmes, Ah ! que n'êtes-vous là pour voir couler mes larmes ! Pour connaître
mon coeur, vos fers, vos cruautés, Tout l'amour qui m'embrase et que vous méritez. Pourtant que faut-il faire ? on dit (dois-je le croire) Qu'aisément de vos traits on bannit la mémoire; Que jusqu'ici
vos bras inconstants et légers Ont reçu mille amans comme moi passagers; Que l'ennui de vous perdre où mon âme succombe, N'a d'aucun malheureux accéléré la tombe. Comme eux j'ai
pu vous plaire, et comme eux vous lasser; De vous comme eux encor je pourrai me passer. Mais quoi ! je vous jurai d'éternelles tendresses ! Et quand vous m'ayez fait, vous, les mêmes promesses, Était-ce rien
qu'un piége ? Il n'a point réussi, J'ai fait comme vous-même, ah ! l'an vous trompe aussi; Vous, dans l'art de tromper maîtresse sans émule. Vous avez donc pensé, perfide trop crédule, Qu'un amant, par vous-même instruit au Changement N'oserait, comme vous, abusés d'un serment ? En moi c'était vengeance; à vous ce fut un crime. A tort un agresseur dispute à sa victime Des
armes dont son bras s'est servi le premier; Le fer a droit d'ouvrir le flanc du meurtrier. Trahir qui nous trahit est juste autant qu'utile, Et l'inventeur cruel du taureau de Sicile Lui-même à l'essayer justement
condamné, A fait mugir l'airain qu'il avait façonné. Maintenant, poursuivez: il suffit qu'on vous voie, Vos filets aisément feront une autre proie; Je m'en fie à votre art moins qu'à
votre beauté. Toutefois, songez-y, fuyez la vanité. Vous me devez un peu cette beauté nouvelle„ Vos attraits sont à moi: c'est moi qui vous fis belle, Soit orgueil, indulgence; ou captieux détour, Soit que mon coeur gagné par vos semblants d'amour, D'un peu d'aveuglement n'ait point su se défendre, (Car mon coeur est si bon et ma muse est si tendre !) Je vins à vos genoux, en soupirs caressants, D'un
vers adulateur vous prodiguer l'encens; De vos regards éteints la tristesse chagrine Fut bientôt dans mes vers une langueur divine. Ce corps fluet, débile, et presque inanimé,. En un corps tout nouveau
dans mes vers transformé, S'élançait léger, souple; ils vous portaient la vie; Des Nymphes, dans mes vers, vous excitiez l'envie. Que de fois sur vos traits, par ma muse polis, Ils ont mêlé
la rose au pur éclat des lis ! Taudis qu'au doux réveil de l'aurore fleurie Vos traits n'offraient aux yeux qu'une pâleur flétrie, Et le soir, embellis de tout l'art du matin, N'avaient de rose, hélas
! qu'un peu trop de carmin. Ces folles visions des flammes dévorées Ont péri, grâce aux dieux, pour jamais ignorées. Sur la foi de mes vers mes amis transportés Cherchaient partout vos
pas, vos attraits si vantés, Vous voyaient; et soudain, dans leur surprise extrême, Se demandaient tout bas si c'était bien vous-même; Et de mes yeux séduits plaignant la trahison M'indiquaient
l'ellébore ami de la raison. Quoi ! c'est là cet objet d'un si pompeux hommage ! Dieux ! quels flots de vapeurs inondent son visage ! Ses yeux si doux sont morts; elle croit qu'elle vit; Esculape doit seul approcher
de son lit; Et puis tout ce qu'en vous je leur montrais de grâce N'était rien à leurs yeux que fard et que grimace. Je devais avoir honte: ils ne concevaient pas Quel charme si puissant m'attirait dans vos
bras. Dans vos bras ! qu'ai-je dit ? Oh non ! Vénus avare Ne m'a point fait un don qui.. fut toujours si rare. Si je l'ai cru long-temps, après votre serment Je vous crois, et jamais une belle ne ment; Jamais
de vos bontés la confidente amie Ne vint m'ouvrir la nuit une porte endormie, Et jusqu'au lit de pourpre en cent détours obscurs Guider ma main errante à pas muets et sûrs. Je l'ai, cru; pardonnez,
mais ce sera, je pense, Oui, c'est qu'à mon sommeil plein de votre présence, Un songe officieux, enfant de mes désirs, M'apporta votre image et de vagues plaisirs. Cette faute à vos yeux doit s'excuser
peut-être; Même on cite un ingrat qui vous la fit commettre. Adieu, suivez le cours de vos nobles travaux. Cherchez, aimez, trompez mille imprudents rivaux; Je ne leur dirai point que vous êtes perfide, Que
le plaisir de nuire est le seul qui vous guide, Que vous êtes plus tendre alors qu'un noir dessein, Pour troubler leur repos veille dans voué sein; Mais ils sauront bientôt, honteux de leur faiblesse, Quitter
avec opprobre une indigne maîtresse; Vous pleurerez, et moi j'apprendrai vos douleurs Sans même les entendre, ou rire de vos pleurs.