(15/366) - Sonnet 11 : Il est irrésolu de savoir s’il s’éloignera de Laure, et il décrit les sentiments divers dont il est agité.
(16/366) - Sonnet 12 : Anxieux, il cherche partout les objets qui lui présentent la ressemblance de Laure.
(17/366) - Sonnet 13 : Il décrit son état quand Laure est présente, et quand elle le quitte.
(18/366) - Sonnet 14 : Afin de moins aimer Laure, il fuit, mais en vain, la vue de son beau visage.
(19/366) - Sonnet 15 : Il se compare au papillon qui va se brûler à la flamme qu’il chérit.
(20/366) - Sonnet 16 : Il essaye vainement, à plusieurs reprises, de louer les beautés de sa Dame.
(21/366) - Sonnet 17 : Il montre que son cœur est en danger de mourir, si Laure ne vient pas à son secours.
(31/366) - Sonnet 18 : Laure, après sa mort, occupera certainement le siège le plus élevé dans la gloire céleste.
(32/366) - Sonnet 19 : Il n’attend aucun soulagement, ni aucune désillusion de son amour. Il n’espère que dans la mort.
(33/366) - Sonnet 20 : Laure malade lui apparaît en songe, et lui affirme qu’elle vit encore.
Sonnet 11
Il est irrésolu de savoir s’il s’éloignera de Laure, et il décrit les sentiments divers dont il est agité.
Io mi rivolgo indietro a ciascun passo
col corpo stancho ch'a gran pena porto,
et prendo allor del vostr'aere conforto
che 'l fa gir oltra dicendo: Oimè lasso !
Poi ripensando al dolce ben ch'io lasso,
al camin lungo et al mio viver corto,
fermo le piante sbigottito et smorto,
et gli occhi in terra lagrimando abasso.
Talor m'assale in mezzo a'tristi pianti
un dubbio: come posson queste membra
da lo spirito lor viver lontane?
Ma rispondemi Amor: Non ti rimembra
che questo è privilegio degli amanti,
sciolti da tutte qualitati humane ?
Je me retourne en arrière à chaque pas, avec le corps las que je porte à grand’peine ; et je prends alors, à respirer votre air, le courage d’aller plus loin en disant : hélas !
Puis, repensant au doux bien que je quitte, au long chemin et à ma courte vie, j’arrête mes pas, effrayé et défaillant, et pleurant, je baisse les yeux à terre.
Parfois, au milieu de mes tristes pleurs, un doute vient m’assaillir : comment ces membres peuvent-ils vivre loin de leur âme ?
Mais Amour me répond : ne te souvient-il pas que c’est là le privilège des amants délivrés de toutes les infirmités humaines ?
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Sonnet 12
Anxieux, il cherche partout les objets qui lui présentent la ressemblance de Laure.
Movesi il vecchierel canuto et biancho
del dolce loco ov'à sua età fornita
et da la famigliuola sbigottita
che vede il caro padre venir manco;
indi trahendo poi l'antiquo fianco
per l'extreme giornate di sua vita,
quanto piú pò, col buon voler s'aita,
rotto dagli anni, et dal cammino stanco;
et viene a Roma, seguendo 'l desio,
per mirar la sembianza di colui
ch'ancor lassú nel ciel vedere spera:
cosí, lasso, talor vo cerchand'io,
donna, quanto è possibile, in altrui
la disïata vostra forma vera.
Il s’en va, le pauvre vieillard, chenu et blanc, du doux lieu où ses années se sont déroulées, et loin de sa famille effrayée qui voit que son tendre père va lui manquer.
De là, traînant ensuite ses flancs vieillis pendant les derniers jours de sa vie, il s’aide autant qu’il peut de sa bonne volonté, rompu des ans et las du chemin.
Et il arrive à Rome, poussé par son désir, pour voir l’image vivante de celui qu’il espère voir plus tard là-haut dans le Ciel.
Ainsi, hélas ! vais-je parfois, madame, cherchant, autant qu’il est possible, chez d’autres votre vraie forme désirée.
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Sonnet 13
Il décrit son état quand Laure est présente, et quand elle le quitte.
Piovonmi amare lagrime dal viso
con un vento angoscioso di sospiri,
quando in voi adiven che gli occhi giri
per cui sola dal mondo i' son diviso.
Vero è che 'l dolce mansüeto riso
pur acqueta gli ardenti miei desiri,
et mi sottragge al foco de' martiri,
mentr'io son a mirarvi intento et fiso.
Ma gli spiriti miei s'aghiaccian poi
ch'i' veggio al departir gli atti soavi
torcer da me le mie fatali stelle.
Largata alfin co l'amorose chiavi
l'anima esce del cor per seguir voi;
et con molto pensiero indi si svelle.
Les larmes me pleuvent amères du visage, avec un vent de soupirs douloureux, quand il advient que je tourne les yeux sur vous par qui seule je suis séparé du monde.
Vrai est que le doux rire plein de mansuétude apaise mes ardents désirs et m’arrache au feu du martyre, pendant que je suis à vous regarder, attentif et immobile.
Mais mes esprits se glacent dès que je vois, au départ, mes fatales étoiles détourner de moi leur suave action.
Élargie enfin avec les amoureuses clefs, l’âme sort du cœur pour vous suivre, et s’en revient ensuite avec une multitude de pensées.
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Sonnet 14
Afin de moins aimer Laure, il fuit, mais en vain, la vue de son beau visage.
Quand'io son tutto vòlto in quella parte
ove 'l bel viso di madonna luce,
et m'è rimasa nel pensier la luce
che m'arde et strugge dentro a parte a parte,
i' che temo del cor che mi si parte,
et veggio presso il fin de la mia luce,
vommene in guisa d'orbo, senza luce,
che non sa ove si vada et pur si parte.
Cosí davanti ai colpi de la morte
fuggo: ma non sí ratto che 'l desio
meco non venga come venir sòle.
Tacito vo, ché le parole morte
farian pianger la gente; et i' desio
che le lagrime mie si spargan sole.
Quand je suis tout entier tourné du côté où luit le beau visage de ma Dame, et qu’il m’est resté en la pensée la lumière qui me brûle et me détruit en dedans tout entier
;
Moi qui ai peur du cœur qui me brise ainsi, et qui me vois près de la fin de ma belle lumière, je m’en vais comme un aveugle privé de la clarté, qui ne sait où il va et qui cependant part.
Ainsi devant les coups de la Mort je fuis ; mais non si vite que le désir ne vienne avec moi, comme de venir il a coutume.
Je vais silencieux ; car mes paroles de mort feraient pleurer les gens, et je désire que mes larmes coulent seules.
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Sonnet 15
Il se compare au papillon qui va se brûler à la flamme qu’il chérit.
Son animali al mondo de sí altera
vista che 'ncontra 'l sol pur si difende;
altri, però che 'l gran lume gli offende,
non escon fuor se non verso la sera;
et altri, col desio folle che spera
gioir forse nel foco, perché splende,
provan l'altra vertú, quella che 'encende:
lasso, e 'l mio loco è 'n questa ultima schera.
Ch'i' non son forte ad aspectar la luce
di questa donna, et non so fare schermi
di luoghi tenebrosi, o d' ore tarde:
però con gli occhi lagrimosi e 'nfermi
mio destino a vederla mi conduce;
et so ben ch'i' vo dietro a quel che m'arde.
Il y a des animaux au monde dont la vue est si forte, qu’elle résiste même au soleil ; d’autres, parce que la grande lumière les offusque, ne sortent que vers le soir.
Et d’autres, au fol désir, qui espèrent peut-être jouir dans le feu parce qu’il brille, éprouvent son autre vertu, celle qui brûle. Las ! ma place est dans cette dernière catégorie.
Car je ne suis pas assez fort pour supporter la lumière de cette Dame, et je ne sais pas me servir des lieux ténébreux et des heures tardives.
Mais mon destin me pousse à, la voir avec les yeux pleins de larmes et malades, et je sais bien que je cours après ce qui me brûle.
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Sonnet 16
Il essaye vainement, à plusieurs reprises, de louer les beautés de sa Dame.
Vergognando talor ch'ancor si taccia,
donna, per me vostra bellezza in rima,
ricorro al tempo ch'i' vi vidi prima,
tal che null'altra fia mai che mi piaccia.
Ma trovo peso non da le mie braccia,
né ovra da polir colla mia lima:
però l'ingegno che sua forza extima
ne l'operatïon tutto s'agghiaccia.
Piú volte già per dir le labbra apersi,
poi rimase la voce in mezzo 'l pecto:
ma qual sòn poria mai salir tant'alto?
Piú volte incominciai di scriver versi:
ma la penna et la mano et l'intellecto
rimaser vinti nel primier assalto.
Rougissant parfois, madame, de n’avoir pas fait encore de rimes pour votre beauté, je me rappelle le temps où je vous vis pour la première fois, telle que jamais une autre ne pourra désormais me plaire.
Mais je trouve que c’est un poids trop lourd pour mes bras, et une œuvre que ma lime ne saurait polir. Aussi mon esprit, qui juge sa force, se glace complètement pendant cet essai.
Plusieurs fois déjà j’ai ouvert les lèvres pour parler ; puis la voix est restée au milieu de la gorge ; mais quel son pourrait monter si haut ?
Plusieurs fois j’ai commencé à écrire des vers ; mais la plume, et la main, et l’intelligence sont restées vaincues au premier assaut.
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Sonnet 17
Il montre que son cœur est en danger de mourir, si Laure ne vient pas à son secours.
Mille fïate, o dolce mia guerrera,
per aver co' begli occhi vostri pace
v'aggio proferto il cor; mâ voi non piace
mirar sí basso colla mente altera.
Et se di lui fors'altra donna spera,
vive in speranza debile et fallace:
mio, perché sdegno ciò ch'a voi dispiace,
esser non può già mai cosí com'era.
Or s'io lo scaccio, et e' non trova in voi
ne l'exilio infelice alcun soccorso,
né sa star sol, né gire ov'altri il chiama,
poria smarrire il suo natural corso:
che grave colpa fia d'ambeduo noi,
et tanto piú de voi, quanto piú v'ama.
Mille fois, ô ma douce ennemie, pour avoir la paix avec vos beaux yeux, je vous ai offert mon cœur ; mais il ne vous plaît point de regarder si bas, avec votre esprit altier.
Et si par hasard quelque autre dame espère l’avoir, elle vit dans un espoir débile et trompeur. Mon cœur, parce qu’il dédaigne ce qui vous déplaît, ne peut plus jamais redevenir comme il était.
Or, si je le chasse, et qu’il ne trouve pas dans son douloureux exil quelques secours en vous, comme il ne sait ni rester seul, ni aller où d’autres l’appellent,
Il pourra s’égarer de son chemin naturel, ce qui sera faute grave pour nous deux, et d’autant plus grave pour vous qu’il vous aime davantage.
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Sonnet 18
Laure, après sa mort, occupera certainement le siège le plus élevé dans la gloire céleste.
Questa anima gentil che si diparte,
anzi tempo chiamata a l'altra vita,
se lassuso è quanto esser dê gradita,
terrà del ciel la piú beata parte.
S'ella riman fra 'l terzo lume et Marte,
fia la vista del sole scolorita,
poi ch'a mirar sua bellezza infinita
l'anime degne intorno a lei fien sparte.
Se si posasse sotto al quarto nido,
ciascuna de le tre saria men bella,
et essa sola avria la fama e 'l grido;
nel quinto giro non habitrebbe ella;
ma se vola piú alto, assai mi fido
che con Giove sia vinta ogni altra stella.
Cette âme gentille qui s’en va, appelée avant le temps à l’autre vie, si elle est récompensée là-haut autant qu’elle doit l’être, occupera la plus béate partie du
ciel.
Si elle reste entre la troisième étoile et Mars, la lumière du soleil en sera décolorée, alors que les âmes bienheureuses, pour voir son infinie beauté, se grouperont autour d’elle.
Si elle se pose sous la quatrième étoile, chacune des trois premières sera moins belle, et elle seule aura réputation et renom.
Elle n’habiterait pas au cinquième giron ; mais si elle vole plus haut, je suis bien persuadé qu’avec Jupiter seront vaincues toutes les autres étoiles.
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Sonnet 19
Il n’attend aucun soulagement, ni aucune désillusion de son amour. Il n’espère que dans la mort.
Quanto piú m'avicino al giorno extremo
che l'umana miseria suol far breve,
piú veggio il tempo andar veloce et leve,
e 'l mio di lui sperar fallace et scemo.
I' dico a' miei pensier': Non molto andremo
d'amor parlando omai, ché 'l duro et greve
terreno incarco come frescha neve
si va struggendo; onde noi pace avremo:
perché co llui cadrà quella speranza
che ne fe' vaneggiar sí lungamente,
e 'l riso e 'l pianto, et la paura et l'ira;
sí vedrem chiaro poi come sovente
per le cose dubbiose altri s'avanza,
et come spesso indarno si sospira.
Plus je m’approche du jour suprême qui termine l’humaine misère, plus je vois le temps marcher rapide et léger, et mon espoir en lui devenir trompeur et sans effet.
Je dis à mes pensers : nous n’irons plus beaucoup désormais, parlant d’amour, car il détruit mon corps terrestre comme une froide neige ; ainsi nous aurons la paix.
Car avec lui tombera cette espérance qui nous fait depuis si longtemps nous occuper de choses vaines, et le rire et les pleurs, et la peur et la colère.
Ainsi nous verrons ensuite clairement comme souvent on marche au milieu des choses incertaines, et comme souvent on soupire en vain.
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Sonnet 20
Laure malade lui apparaît en songe, et lui affirme qu’elle vit encore.
Già fiammeggiava l'amorosa stella
per l'orïente, et l'altra che Giunone
suol far gelosa nel septentrïone,
rotava i raggi suoi lucente et bella;
levata era a filar la vecchiarella,
discinta et scalza, et desto avea 'l carbone,
et gli amanti pungea quella stagione
che per usanza a lagrimar gli appella:
quando mia speme già condutta al verde
giunse nel cor, non per l'usata via,
che 'l sonno tenea chiusa, e 'l dolor molle;
quanto cangiata, oimè, da quel di pria!
Et parea dir: Perché tuo valor perde?
Veder quest'occhi anchor non ti si tolle.
Déjà l’amoureuse étoile flamboyait à l’Orient, et l’autre que Junon rend d’ordinaire jalouse, déroulait au septentrion ses rayons, brillante et belle ;
La pauvre vieille, sans ceinture et déchaussée, s’était levée pour filer et avait rallumé le feu ; les amants se sentaient aiguillonnés par l’heure qui d’ordinaire les invite à pleurer
;
Quand celle qui est mon espoir, déjà près de sa fin, se présenta à mon esprit, mais non par la voie accoutumée, car le sommeil la tenait fermée et la douleur l’avait humectée.
Qu’elle était changée, hélas ! de ce qu’elle était auparavant ! Et elle semblait dire : pourquoi perds-tu courage ? Voir ces yeux, ne t’est pas encore enlevé.