Claude-Joseph Dorat (1734-1780)
Recueil: Les baisers

Le nouvel Olympe



Le croiras-tu ? Ces conquérants altiers,
Tant célébrés par les cygnes du Tibre,
Eux qui naissaient à l'ombre des lauriers,
En respirant l'orgueil d'un peuple libre ;
Ces fiers romains, ces sauvages guerriers,
Ces demi-dieux, sous qui tremblait la terre,
Ainsi que nous, instruits dans l'art de plaire,
Fondaient un culte en l'honneur des baisers :
Ils héritaient des fables de la Grèce,
Songes rians, ingénieux loisirs,
Par qui le dogme ordonnait les plaisirs,
Douces erreurs qu'adoptait la sagesse.
Ô temps heureux ! Où Flore et les Zéphirs
À leurs autels enchaînaient la jeunesse ;
Où l'on volait sur l'aîle des desirs ?

Où dans les cieux on plaçait sa maîtresse,
Où la naïade, en confondant ses flots,
Par des soupirs échauffait ses roseaux
Qui de Syrinx murmuraient la tristesse ;
Où le Léthé roulait l'oubli des maux !
Thaïs, alors, chaque attrait d'une belle
Était lui-même une divinité :
Un front ouvert, c'était la vérité ;
En le baisant, on fêtait l'immortelle ;
Les lis du sein cachaient la volupté :
D'un oeil brillant avec sérénité
L'amour superbe allumait l'étincelle :
La main vouée à la fidélité
N'osait toucher la main d'une infidelle.
D'un souffle pur oser cueillir l'encens,
Ravir les fleurs d'une lèvre vermeille,
C'était à Flore emporter sa corbeille ?
C'était aussi rendre hommage au printemps,
Ainsi l'amant consacrait son ivresse ;
Et les baisers, toujours religieux,
Qu'il prodiguait à sa belle maîtresse,
Formaient l'encens qu'il brûlait pour les dieux.
Ô ma Thaïs ! Que ce culte m'enchante !

J'assemble en toi, je vois l'Olympe entier ;
Et tous ces dieux, que m'offre mon amante,
Ne craindront plus qu'on les puisse oublier.


 


Claude-Joseph Dorat

 

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