À Madame de B***
Oui, je le crois quand je t'écoute,
L'harmonie est l'âme des deux !
Et ces mondes flottants où s'élancent nos yeux
Sont suspendus sans chaîne à leur brillante voûte,
Réglés
dans leur mesure et guidés dans leur route
Par des accords mélodieux.
L'antiquité l'a dit, et souvent son génie
Entendit dans la nuit leur lointaine harmonie.
Je l'entends près de toi : ces astres du matin
Qui sèment de leurs lis les sentiers de l'aurore,
Saturne, enveloppé
de son anneau lointain,
Vénus, que sous leurs pas les ombres font éclore,
Ces phases, ces aspects, ces choeurs, ces noeuds divers,
Ces globes attires, ces sphères cadencées,
Ces évolutions des
soleils dans les airs,
Sont les notes de feu, par Dieu même tracées,
De ces mystérieux concerts.
Et pourquoi l'harmonie à ces globes de flamme
Ne peut-elle imposer ses ravissantes lois,
Quand tu peux à ton gré, d'un accord de ta voix,
Ralentir ou presser les mouvements de l'âme,
Comme la corde d'or
qui vibre sous tes doigts ?
Quand tes chants, dans les airs s'exhalant en mesure,
Coulent de soupir en soupir,
Comme des flots brillants d'une urne qui murmure,
Sans s'altérer et sans tarir !
Quand tes accords, liés en notes accouplées,
Comme une chaîne d'or par ses chaînons égaux,
Se déroulent sans fin en cadences perlées,
Sans qu'on puisse en briser les flexibles anneaux;
Quand tes accords, vibres en sons courts et rapides,
Tombent de tes lèvres limpides
Comme autant de grains de cristal,
Ou comme des perles solides
Qui résonnent sur le métal !
Quand l'amour dans ta voix soupire,
Quand la haine y gémit des coups qu'elle a frappés,
Quand frémit le courroux, quand la langueur expire,
Quand la douleur s'y brise en sons entrecoupés,
Quand ta voix
s'amollit et lutte avec la lyre,
Ou que l'enthousiasme, empruntant tes accents,
Emporte jusqu'aux cieux, sur l'aile du délire,
Mille âmes qui n'ont plus qu'un sens !
Notre oreille enchaînée au son qui la captive
Voudrait éterniser la note fugitive;
Et l'âme palpitante, asservie â tes chants,
Cette âme que ta voix possède tout entière,
T'obéit
comme la poussière
Obéit, dans l'orage, aux caprices des vents.
Comment l'air modulé par la fibre sonore
Peut-il créer en nous ces sublimes transports ?
Pourquoi le coeur suit-il un son qui s'évapore ?
Ah ! c'est qu'il est une âme au fond de ces accords !
C'est que
cette âme, répandue
Dans chacun des accents par ta voix modulé,
Par la voix de nos coeurs est soudain répondue
Avant que le doux son soit encore écoulé,
Et que, semblable au son qui dans
un temple éveille
Mille échos assoupis qui parlent à la fois,
Ton âme, dont l'écho vibre dans chaque oreille,
Va créer une âme pareille
Partout où retentit ta voix.
Ah ! quand des nuits d'été l'ombre enfin rembrunie
Vient assoupir l'oreille et reposer les yeux,
Lorsque le rossignol enivré d'harmonie
Dort et rend le silence aux bois mélodieux;
Quand des astres du
ciel, seul et fuyant la foule,
L'astre qui fait rêver se dégage à demi,
Et que l'oeil amoureux suit le fleuve qui roule
Un disque renversé dans son flot endormi;
Viens chanter sous le dôme où
le cygne prélude,
Viens chanter aux lueurs des célestes flambeaux,
Viens chanter pour la solitude;
Consacrés à la nuit, tes chants seront plus beaux !
Pour la foule et le jour ta voix est
trop sublime;
Késerve à la douleur tes airs les plus touchants,
N'exhale qu'à ton Dieu le souffle qui t'anime :
La plainte et la prière ont inventé les chants.
A ces sons plus puissants que la froide parole,
Dans l'oeil humide encor tu vois les pleurs tarir;
Le regret s'attendrit, la douleur se console,
L'espérance descend, l'amertume s'envole,
Le coeur longtemps fermé
s'ouvre par un soupir;
L'athée à son insu soulève sa paupière,
La bouche d'où jamais ne jaillit la prière
Murmure un nom divin pour la première fois;
Et des anges des nuits les
voix mystérieuses,
Et les brûlants soupirs de ces âmes pieuses
Qu'ici-bas de la vie enchaîne encor le poids,
Sur des ailes mélodieuses
Au ciel qu'ouvrent tes chants montent avec la voix !