Le gai soleil chauffait les plaines réveillées.
Des caresses flottaient sous les calmes feuillées.
Offrant à tout désir son calice embaumé,
Où scintillait encor la goutte de rosée,
Chaque fleur, par de beaux insectes courtisée,
Laissait boire le suc en sa gorge enfermé.
De larges papillons se reposant sur elles
Les épuisaient avec un battement des ailes,
Et l’on se demandait lequel était vivant,
Car la bête avait l’air d’une fleur animée.
Des appels de tendresse éclataient dans le vent.
Tout, sous la tiède aurore, avait sa bien-aimée !
Et dans la brune rose où se lèvent les jours
On entendait chanter des couples d’alouettes,
Des étalons hennir leurs fringantes amours,
Tandis qu’offrant leurs coeurs avec des pirouettes
Des petits lapins gris sautaient au coin d’un bois.
Une joie amoureuse, épandue et puissante,
Semant par l’horizon sa fièvre grandissante,
Pour troubler tous les coeurs prenait toutes les voix,
Et sous l’abri de la ramure hospitalière
Des arbres, habités par des peuples menus,
Par ces êtres pareils à des grains de poussière,
Des foules d’animaux de nos yeux inconnus,
Pour qui les fins bourgeons sont d’immenses royaumes,
Mêlaient au jour levant leurs tendresses d’atomes.
Deux jeunes gens suivaient un tranquille chemin
Noyé dans les moissons qui couvraient la campagne.
Ils ne s’étreignaient point du bras ou de la main ;
L’homme ne levait pas les yeux sur sa compagne.
Elle dit, s’asseyant au revers d’un talus :
“Allez, j’avais bien vu que vous ne m’aimiez plus.”
Il fit un geste pour répondre : “Est-ce ma faute ?”
puis il s’assit près d’elle. Ils songeaient, côte à côte.
Elle reprit : “Un an ! rien qu’un an ! et voilà
Comment tout cet amour éternel s’envola !
Mon âme vibre encor de tes douces paroles !
J’ai le coeur tout brûlant de tes caresses folles !
Qui donc t’a pu changer du jour au lendemain ?
Tu m’embrassais hier, mon Amour ; et ta main,
Aujourd’hui, semble fuir sitôt qu’elle me touche.
Pourquoi donc n’as-tu plus de baisers sur la bouche ?
Pourquoi ? réponds !” il dit : “Est-ce que je le sais ?”
Elle mit son regard dans le sien pour y lire :
“Tu ne te souviens plus comme tu m’embrassais,
Et comme chaque étreinte était un long délire ?”
Il se leva, roulant entre ses doigts distraits
La mince cigarette, et, d’une voix lassée :
“Non, c’est fini, dit-il, à quoi bon les regrets ?
On ne rappelle pas une chose passée,
Et nous n’y pouvons rien, mon amie !”
A pas lents
Ils partirent, le front penché, les bras ballants.
Elle avait des sanglots qui lui gonflaient la gorge,
Et des larmes venaient luire au bord de ses yeux.
Ils firent s’envoler au milieu d’un champ d’orge
Deux pigeons qui, s’aimant, fuirent d’un vol joyeux.
Autour d’eux, sous leurs pieds, dans l’azur sur leur tête,
L’Amour était partout comme une grande fête.
Longtemps le couple ailé dans le ciel bleu tourna.
Un gars qui s’en allait au travail entonna
Une chanson qui fit accourir, rouge et tendre,
La servante de ferme embusquée à l’attendre.
Ils marchaient sans parler. Il semblait irrité
Et la guettait parfois d’un regard de côté ;
Ils gagnèrent un bois. Sur l’herbe d’une sente,
A travers la verdure encor claire et récente,
Des flaques de soleil tombaient devant leurs pas ;
Ils avançaient dessus et ne les voyaient pas.
Mais elle s’affaissa, haletante et sans force,
Au pied d’un arbre dont elle étreignit l’écorce,
Ne pouvant retenir ses sanglots et ses cris.
Il attendit d’abord, immobile et surpris,
Espérant que bientôt elle serait calmée,
Et sa lèvre lançait des filets de fumée
Qu’il regardait monter, se perdre dans l’air pur.
Puis il frappa du pied, et soudain, le front dur :
“Finissez, je ne veux ni larmes ni querelle.”
“Laissez-moi souffrir seule, allez-vous-en”, dit-elle.
Et relevant sur lui ses yeux noyés de pleurs :
“Oh ! comme j’avais l’âme éperdue et ravie !
Et maintenant elle est si pleine de douleurs !…
Quand on aime, pourquoi n’est-ce pas pour la vie ?
Pourquoi cesser d’aimer ? Moi, je t’aime… Et jamais
Tu ne m’aimeras plus ainsi que tu m’aimais !”
Il dit : “Je n’y peux rien. La vie est ainsi faite.
Chaque joie, ici-bas, est toujours incomplète.
Le bonheur n’a qu’un temps. Je ne t’ai point promis
Que cela durerait jusqu’au bord de la tombe.
Un amour naît, vieillit comme le reste, et tombe.
Et puis, si tu le veux, nous deviendrons amis
Et nous aurons, après cette dure secousse,
L’affection des vieux amants, sereine et douce.”
Et pour la relever il la prit par le bras.
Mais elle sanglota : “Non, tu ne comprends pas.”
Et, se tordant les mains dans une douleur folle,
Elle criait : “Mon Dieu ! mon Dieu !” Lui, sans parole,
La regardait. Il dit : “Tu ne veux pas finir,
Je m’en vais” et partit pour ne plus revenir.
Elle se sentit seule et releva la tête.
Des légions d’oiseaux faisaient une tempête
De cris joyeux. Parfois un rossignol lointain
Jetait un trille aigu dans l’air frais du matin,
Et son souple gosier semblait rouler des perles.
Dans tout le gai feuillage éclataient des chansons :
Le hautbois des linots et le sifflet des merles,
Et le petit refrain alerte des pinsons.
Quelques hardis pierrots, sur l’herbe de la sente,
S’aimaient, le bec ouvert et l’aile frémissante.
Elle sentait partout, sous le bois reverdi,
Courir et palpiter un souffle ardent et tendre ;
Alors, levant les yeux vers le ciel, elle dit :
Amour ! l’homme est trop bas pour jamais te comprendre !”