Pendant que nous marchions ainsi, l’un devant l’autre, le soleil qui tombait sur mon épaule gauche et mon ombre ajoutait à la flamme des tons C’est la raison qui fit qu’à la fin ils parlèrent, Ensuite certains d’eux s’approchèrent de moi « Ô toi qui marches seul après les autres deux, Je ne suis pas le seul qui désire t’entendre ; Dis-nous, comment fais-tu pour nous cacher ainsi C’est ainsi que parlait l’un d’entre eux ; j’aurais dit En effet, au milieu de la route embrasée Je vis des deux côtés les ombres se presser, telles, lorsque leurs rangs noirâtres s’entrecroisent, Et tout de suite après cet accueil amical, La foule d’arrivants dit : « Sodome et Gomorrhe ! » Puis, comme se sépare une bande de grues les uns vont d’un côté et les autres de l’autre, Lors les mêmes esprits qui m’avaient demandé Moi, qui savais déjà quelle était leur envie, mes membres ne sont pas restés là-bas, sur terre, Je vais ainsi là-haut, pour ne plus être aveugle ; Et puisse être comblé votre plus grand désir Dites-moi cependant, car je voudrais l’écrire, Pareil au montagnard qui se trouble, ahuri, tel me parut alors l’aspect de ces esprits ; celui qui tout d’abord m’avait parlé me dit : La foule qui s’éloigne a commis autrefois C’est ce qui fait qu’au cri de : « Sodome ! » ils s’en vont, Et quant à nos péchés, ils sont hermaphrodites (291) ; et nous disons tout haut, pour accroître l’opprobre, Ainsi, tu sais de quoi nous sommes tous coupables ; Je te réponds, du moins, pour ce qui me concerne :, Comme, lors de ce deuil dont fut frappé Lycurgue, quand j’entendis ainsi dire son propre nom Pendant de longs instants je poursuivis la marche, Et lorsque de le voir je fus rassasié, Il répondit alors : « Ce que tu viens de dire Si tout est aussi vrai que le dit ton serment, Et moi, je répondis : « Ce sont tes vers si doux « Frère, dit-il alors, celui que je te montre Soit qu’il chante l’amour ou conte des romans, Ils restent bouche bée au bruit plutôt qu’au fond, C’est ce qu’ont fait beaucoup d’anciens, avec Guitton (295), Mais puisque tu détiens un pareil privilège devant lui pense dire un Pater pour moi-même, Puis, désirant peut-être à ceux qui le suivaient Je vins près de l’esprit qu’il m’avait désigné (297) Alors il commença courtoisement à dire : Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan ; Ara vos prec, per aqueîa valor Et il s’en fut plonger au feu qui purifie.
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289 - Les sables chauds d’Afrique, ou les Monts Hyperboréens, au nord du continent. 290 - Il semble que César avait eu de curieuses complaisances pour Nicomède, roi de Bithynie ; en sorte qu’à l’occasion de son entrée triomphale dans Rome, ses soldats l’appelaient regina Bithynica et chantaient, s’il faut en croire Suétone : Gallias Caesar subegit Nicomedes Caesarent. 291 - Il semble qu’il faille comprendre ce mot comme « ayant les deux sexes à la fois » : il s’agit donc de simple luxure, du péché de la chair commis entre hommes et femmes, réprobable surtout à cause de l’intempérance qui transforme l’homme en bête : de là le symbole, assez équivoque, de Pasiphaé. Il faut ajouter cependant que certains commentateurs pensent que le second groupe est composé par des personnes qui, comme Pasiphaé, leur patronne, s’étaient accouplées avec des bêtes. 292 - Guido Guinizelli (12307-1276), déjà mentionné (cf. Purgatoire, note 111), était naturel de Bologne et fut une sorte d’ancêtre du dolce stil nuovo. Dante reconnaissait déjà ailleurs ses mérites comme précurseur, et dans De vulgari eloquentia, I, 15, il l’appelle « maximus Guido ». 293 - L’enfant de Lycurgue, roi de Némée, étant mort par suite de la négligence de sa nourrice, Hypsiphyle, celle-ci fut condamnée à mort ; mais ses deux fils arrivèrent à temps pour la sauver. Cet épisode vient de La Thébaïde de Stace, chant V. 294 - Guiraut de Borneil, troubadour limousin (1175-env 1220), considéré comme l’un des meilleurs poètes provençaux. On voit que Dante lui préfère Arnaut Daniel, qui est le poète montré du doigt par Guinizelli, et qui était plus artiste et plus recherché. 295 - Guitton d’Arezzo, sur lequel cf. plus haut, la note 269. 296 - La phrase de l’oraison dominicale, et ne nos inducas in tentationem, est sans objet pour les âmes du Purgatoire. 297 - Arnaut Daniel, troubadour originaire du Périgord, qui mourut probablement vers l’an 1200. Il ne semble pas avoir joui d’une réputation égale au respect dont lui témoigne Dante ; il se distingue par la complication de sa forme, qu’il soigne avec application et avec un penchant évident pour les difficultés. 298 - Votre question courtoise me plaît tellement, que je ne puis ni ne veux me cacher à vos yeux. Je suis Arnaut, qui pleure et vais chantant. Je m’afflige en voyant ma folie passée, et je me réjouis en voyant devant moi la Joie que j’attends. Or je vous prie, au nom de cette force qui vous conduit en haut de l’escalier : lorsqu’il sera temps, souvenez-vous de ma douleur ! »
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Dante
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