Nos pas et nos propos n’empêchaient pas l’un l’autre, pendant que les esprits qui semblaient plus que morts Et sans perdre le fil du discours, je disais : Mais dis-moi, si tu sais, où se trouve Picarde ; « Ma soeur, dont la beauté fut soeur de la bonté, Il dit, puis il reprit : « Il n’est pas inutile Voici là-bas, dit-il, me le montrant du doigt, a jadis sur ses bras porté la sainte Église : Les montrant tour à tour, il m’en nomma bien d’autres ; Je vis comme, de faim, rongeaient leurs dents à vide et messire Marchese, à qui ne manquait pas Mais comme l’on s’arrête à l’un plutôt qu’à l’autre Dans ce qu’il marmottait j’entendis s’échapper « Âme, lui dis-je alors, qui semblés désireuse « Une femme là-bas, qui n’a pas le bandeau, Tu rentreras chez toi muni de ce présage ; Mais dis-moi si je suis devant cet homme même Je dis : « Je suis quelqu’un qui ne fait que noter Il dit : « Frère, à présent je sais ce qui manquait Et je comprends aussi comment avec vos plumes Cependant, pour celui qui regarde de près, Tels les oiseaux qui vont hiberner sur le Nil ainsi toutes ces gens qui s’étaient assemblés Mais comme lorsqu’on est fatigué de trotter se laissant dépasser par tout le saint troupeau, « Je ne sais pas combien je vais vivre, lui dis-je ; L’endroit où l’on m’a mis pour y passer ma vie (270) « Laisse donc ! me dit-il. Je vois le plus coupable Toujours plus emporté, courant toujours plus vite, Ces cercles-là, dit-il en me montrant le Ciel, Je te laisse à présent, car le temps est trop cher Comme le cavalier qui se lance parfois tel il se sépara de nous à pas pressés, Lorsqu’il fut arrivé devant nous assez loin les rameaux verdoyants et les fruits d’un autre arbre Sous ces arbres je vis des gens lever les bras, lorsque ne répond pas celui qu’ils sollicitent, Cette foule à la fin s’en alla, détrompée, « Passez votre chemin sans trop vous approcher ! disait dans ce feuillage une voix inconnue. « Souvenez-vous, disait la voix, de ces maudits de ces Hébreux aussi, qui buvaient mollement, C’est ainsi que, suivant l’un des bords de la route, Puis, nous éparpillant sur la route déserte, « Qu’allez-vous donc pensant tous les trois, à l’écart », Je dressai le regard, pour voir qui venait là ; que l’être que je vis, qui nous dit : « S’il vous plaît J’étais, à son aspect, resté comme ébloui ; Comme la brise en mai déverse des senteurs, tel un souffle venait me caresser le front, Et une voix disait : « Heureux ceux que la grâce et qui n’ont d’autre faim que la faim de justice. » (274)
--- ↑ haut ↑ -------------------------------------------- ↑ haut ↑ --- 259 - Équivalence classique du Paradis, comme « souverain Jupiter » (Purgatoire, VI, 118) était l’équivalent de Dieu. 260 - Poète, imitateur des Provençaux, il mourut vers 1297. 261 - Martin IV, pape de 1281 à 1285, était si connu pour sa passion pour les anguilles, qu’à sa mort on lui avait fait l’épitaphe suivante : Gaudent anguillae, quia mortuus hic jacet ille. Qui quasi morte reas escoriabat eas. 262 - Cette satisfaction signifie peut-être qu’ils regardent la découverte que l’on fait ainsi de leur vice, comme une pénitence de plus. 263 - Frère du cardinal Ottaviano (cf. Enfer, note 96) et d’Ugolin d’Azzo (cf. Purgatoire, note 155), il fut père de l’archevêque Ruggieri, l’ennemi d’Ugolin (cf. Enfer, note 317). 264 - Bonifazio Fieschi, de la même famille des comtes de Lavagna, à laquelle appartenait le pape Adrien V (cf. Purgatoire, note 205), avait été archevêque de Ravenne (1274-1295). 265 - De la famille des Orgogliosi de Forli. Selon Benvenuto de Imola, « comme il demandait une fois à son écuyer de lui dire ce que les gens disaient de lui, celui-ci lui répondit en tremblant : « Seigneur, ils disent que vous ne faites que boire. » Et il dit en riant : « Et pourquoi ne disent-ils pas que j’ai toujours soif ? » 266 - Bonagiunta di Lucca. 267 - Le discours que Dante prête à Bonagiunta est volontairement sibyllin. Ce que l’on peut en tirer de sûr, c’est qu’il lui parle de Gentucca, comme d’une femme de Lucques, qui en 1300 ne portait pas encore le bandeau, et qui devait un jour adoucir l’exil du poète. Sans doute Dante lui-même ne voulait-il pas en dire davantage. Mais qui était Gentucca ? On l’a identifiée à Gentucca Morla, mariée à Bonaccorso Fondora, et qui était toute jeune en 1317 : ce qui, au dire des commentateurs, signifie qu’en 1300 elle ne portait pas encore les cheveux bandés ou voilés, comme les jeunes filles. Cette explication est loin d’être sûre ; et il semble plus probable qu’il s’agisse du « blanc bandeau des veuves » (cf. Purgatoire, VIII, 74), et que Dante voulait dire qu’en 1300 Gentucca n’était pas encore veuve. Si c’est cette interprétation qui est exacte, l’identification proposée ne saurait correspondre à la réalité. Quant à la nature des relations de Dante avec Gentucca, toutes les conjectures sont possibles et mal assurées. 268 - En italien : Donne che avete intelletto d’amore. C’est le premier vers de la première chanson de Dante, commentée plus tard par luimême dans la Vita nuova. C’est l’une des productions les plus caractéristiques de la nouvelle école poétique appelée dolce stïl nuovo ; et c’est dans ce dernier sens que Buonagiunta l’appelle « vers nouveaux ». 269 - Jacopo da Lentino, notaire en Sicile, mort vers 1246, fut poète en italien et imitateur des Provençaux. Guitton d’Arezzo, mort en 1294, le plus important des rimeurs de l’école toscane. Avec Buonagiunta luimême, ils appartiennent tous à la génération poétique antérieure à la révolution que représente le dolce stil nuovo. 270 - Florence, dont Dante était toujours citoyen en 1300. 271 - Le plus coupable de ces maux est le chef des Noirs de Florence, Corso Donati, le frère de Forese, dont celui-ci prédit ainsi la mort prochaine. Corso contribua puissamment à l’instauration du gouvernement des Noirs à Florence ; mais il fut accusé de trahison en 1308 et dut prendre la fuite. Il fut pris en route par des mercenaires qui 1 ramenèrent vers Florence. Alors, dit Villani, « Messire Corso, craignant de tomber entre les mains de ses ennemis et d’être exécuté par le peuple, et se trouvant tourmenté de la goutte aux mains et aux pieds, se laissa tomber de son cheval. Lesdits Catalans, le voyant par terre, lui donnèrent un coup de lance à la gorge, et le laissèrent pour mort. Les moines du couvent (de San Salvi) le portèrent dans leur monastère : les uns disent qu’avant de mourir il s’était mis lui-même entre leurs mains, pour faire pénitence, et les autres, qu’on l’avait trouvé mort. » Dans la version de Dante, qui probablement n’en parlait que par ouï-dire, c’est le cheval qui emporte Corso et qui est la cause de sa mort. 272 - La pensée. 273 - Exemples d’intempérance punie : Les Centaures, fils d’Ixion et d’une nue à laquelle Jupiter avait donné la forme de Junon, s’étaient enivrés aux noces de Pirithoùs et voulurent enlever sa femme, Laodamie ; mais ils furent vaincus par Thésée, à qui ils opposèrent en vain leur « double poitrine » d’hommes et de bêtes. Sur les Hébreux chassés par Gédéon à cause de leur ivresse, cf. Juges VI-VII. 274 - L’ange qui veille à la sortie de la sixième terrasse vient d’effacer le sixième P du front du poète, en récitant une paraphrase de la quatrième félicité, adaptée aux pénitents de ce cercle (cf. plus haut, la note 238).
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Dante
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