La douce volonté par laquelle s’exprime imposa le silence à cette aimable lyre Comment resteraient sourds à de justes prières Celui qui, pour l’amour des choses éphémères, Telle que dans le soir tranquille et sans nuages en sorte qu’on dirait qu’une étoile voyage, telle à côté du bras qui s’étend vers la droite le joyau demeurant toujours dans son écrin, Avec autant d’amour jadis, dans l’Elysée, « O sanguis meus, o superinfusa Ainsi disait l’éclat où je mis mon regard ; car au fond de ses yeux brillait un tel bonheur Plus bel encore à voir, qu’il était à l’entendre, Ce n’est pas qu’il cherchât à me paraître obscur : Et lorsque enfin de l’arc de son amour ardent les propos que d’abord j’entendis prononcer Ensuite il poursuivit : « Le jeûne long et doux ô mon fils, a pris fin au sein de la lumière Tu crois que tes pensers par la première Essence c’est pourquoi tu t’abstiens de demander mon nom, Ce que tu crois est vrai, car tous, petits ou grands, Mais pour mieux contenter la sainte charité dis de ta propre voix sûre et joyeuse et ferme, Alors je regardai Béatrice ; elle sut Et je dis à l’esprit : « L’amour et l’intellect, parce que du soleil qui vous brûle et vous baigne Pourtant, chez les mortels, l’envie et les moyens, et moi, qui suis mortel, je ressens vivement Pourtant, je t’en supplie, ô vivante topaze « Ô feuille de ma plante, ô toi que j’attendais et puis il poursuivit : « Celui dont est venu Il était mon enfant et fut ton bisaïeul ; Florence, dans l’enclos de ses vieilles murailles On n’y connaissait pas bracelets ou couronnes La fille qui naissait n’était pas pour son père On vivait entassés dans des maisons modestes, Votre Uccellatojo n’avait pas surpassé Bellincione Berti, de son temps, se ceignait Et j’ai vu les Nerli comme les Vecchio (198) Heureuses femmes ! Vous, vous saviez à l’avance L’une passait son temps veillant sur le berceau l’autre, de son côté, tout en filant la laine, On eût été surpris d’y voir des Cianghella, pans ce charmant repos, dans cette belle vie m’a fait venir Marie à grands cris invoquée ; Moronte et Elysée ont été mes deux frères (202) ; Ensuite, j’ai servi sous l’empereur Conrad (204) Je marchai sur ses pas contre l’iniquité Et c’est là que je fus par cette race immonde et j’obtins cette paix au prix de mon martyre. » (206)
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191 - «Ô mon sang ! ô grâce de Dieu supérieurement imprimée en toi ! qui donc, comme toi, a jamais vu s’ouvrir deux fois pour lui la porte du ciel ? » 192 - Le livre de l’éternité, où rien ne change, d’après les commentateurs ; ou peut-être le livre du temps, où il n’y a ni jour ni nuit. Le jeûne dont l’esprit parle était sans doute celui de voir Dante ; mais celui-ci a oublié, en faveur de son ancêtre, que les esprits bienheureux n’ont pas faim. 193 - Celui qui parle ainsi est le trisaïeul de Dante, Caccia-guida. Pour sa descendance, cf. L’Enfer, note 273 ; d’ailleurs, on ne sait de lui que ce qu’en dit le poète. 194 - Alighiero, fils de Cacciaguida, est également inconnu autrement. La place qu’on lui a faite sur le premier palier du Purgatoire semble indiquer qu’il était particulièrement orgueilleux : on a pu voir que Dante redoutait lui-même d’avoir un jour à porter les poids énormes dont on accable les orgueilleux, cf. Purgatoire, XIII, 136-138. 195 - Le luxe, par antonomase. 196 - L’Uccellatoio est une montagne à proximité de Florence, d’où l’on jouit d’une vue panoramique sur la ville ; il en est de même de Montemario, d’où l’on voit Rome. Ainsi donc, à l’époque dont parle Cacciaguida, Florence n’avait pas dépassé Rome en splendeur et en magnificence. 197 - Bellincione Berti, de la famille des Ravignan et père de Gualdrade (cf. Enfer, note 150), appartenait à l’une des maisons les plus en vue de Florence. 198 - Deux familles florentines des plus distinguées, appartenant au parti guelfe. 199 - Parce que c’était en France principalement que les Florentins allaient pour des affaires, et souvent aussi pour s’y établir. 200 - Cianghella dellia Tosa, morte vers 1330, s’était fait connaître par sa vie dissolue. « Cette femme revint à Florence après la mort de son mari, et elle y eut beaucoup d’amants et y vécut dans le libertinage. C’est pourquoi, à sa mort, un certain frère assez simple, prêchant à l’occasion de son enterrement, dit qu’il ne trouvait à cette femme qu’un seul péché, et c’était qu’elle avait mangé la ville de Florence » (Benvenuto de Imola). Lapo Saltarello, juriste, banni pour concussion en 1302, « si amoureusement soigneux pour le manger et l’habillement, qu’il ne tenait pi compte de sa vraie condition » (Ottitno Commente » ). 201 - Cf. Enfer, note 181. 202 - On ne sait rien d’eux. 203 - Elle était, d’après Boccace, originaire de Ferrare, où l’on trouve en effet, anciennement, une famille Aldighieri. Elle donna à l’un de ses fils, qui fut le bisaïeul du poète le nom d’Alighiero, qui était celui de sa maison, et qui se perpétua ensuite dans sa descendance. 204 - La chronologie indique qu’il doit s’agir de l’empereur Conrad III (1138-1162), qui prit part, en effet, à la seconde croisade, en 1147 ; mais il y a une difficulté, et c’est qu’il ne vint jamais en Italie — en sorte qu’on ne voit pas clairement comment Cacciaguida put se faire connaître et entrer dans sa « milice » . On a pensé à une confusion avec Conrad II (1024-1039), qui combattit les Sarrasins en Calabre. 205 - En italien : ed el mi cinse della sua milizia. On admet en général que ce vers signifie que l’empereur Conrad arma chevalier l’ancêtre de Dante, car miles est le terme courant pour chevalier. Cependant, nous doutons de l’exactitude de cette interprétation. Le poète dit que Cacciaguida fut distingué par l’empereur, pour ses belles actions ; et il est logique de penser que celles-ci ne sont pas, d’ordinaire, le fait des apprentis chevaliers ; outre que Dante ne dit pas miles, mais il parle de la sua milizia, qu’il est plus difficile d’interpréter de la même manière. 206 - Comme nous l’avons dit, on ne sait au juste si Cacciaida mourut en Terre sainte, ou en combattant les Sarrasins en Italie du Sud.
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Dante
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