Ô très singulière Martel, J’ai pour vous estime profonde ; C’est dans votre petit hôtel, C’est sur vos soupers que je fonde Mon plaisir, le seul bien réel Qu’un honnête homme ait en ce monde. Il est vrai qu’un peu je vous gronde ; Mais, malgré cette liberté, Mon cœur vous trouve, en vérité, Femme à peu de femmes seconde ; Car sous vos cornettes de nuit, Sans préjugés et sans faiblesse, Vous logez esprit qui séduit, Et qui tient fort à la sagesse. Or votre sagesse n’est pas Cette pointilleuse harpie Qui raisonne sur tous les cas, Et qui, triste sœur de l’Envie, Ouvrant un gosier édenté, Contre la tendre volupté Toujours prêche, argumente et crie Mais celle qui si doucement, Sans efforts et sans industrie, Se bornant toute au sentiment, Sait jusqu’au dernier moment Répandre un charme sur la vie. Voyez-vous pas de tous côtés De très décrépites beautés, Pleurant de n’être plus aimables, Dans leur besoin de passion Ne pouvant rester raisonnables, S’affolier de dévotion, Et rechercher l’ambition D’être bégueules respectables ? Bien loin de cette triste erreur, Vous avez, au lieu de vigiles, Des soupers longs, gais et tranquilles ; Des vers aimables et faciles, Au lieu des fatras inutiles De Quesnel et de le Tourneur ; Voltaire, au lieu d’un directeur ; Et, pour mieux chasser toute angoisse, Au curé préférant Campra, Vous avez loge à l’opéra Au lieu de banc dans la paroisse : Et ce qui rend mon sort plus doux, C’est que ma maîtresse, chez vous, La liberté, se voit logée ; Cette liberté mitigée, À l’œil ouvert, au front serein, À la démarche dégagée, N’étant ni prude, ni catin, Décente, et jamais arrangée ; Souriant d’un souris badin À ces paroles chatouilleuses Qui font baisser un œil malin À mesdames les précieuses. C’est là qu’on trouve la gaîté, Cette sœur de la liberté, Jamais aigre dans la satire, Toujours vive dans les bons mots, Se moquant quelquefois des sots, Et très souvent, mais à propos, Permettant au sage de rire. Que le ciel bénisse le cours D’un sort aussi doux que le vôtre ! Martel, l’automne de vos jours Vaut mieux que le printemps d’une autre. |
Voltaire
Poèmes de Voltaire
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