Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Recueil : Rimes familières (1890) - Strophes

Les Heures



Toutes nous blessent, la dernière

Nous tue, ayant enfin pitié
Quand elle achève sans colère
L'oeuvre faite plus d'à moitié.

Les autres, même la plus douce,
Hélas ! nous usent lentement,
Et chacune d'elle nous pousse
Vers le funèbre monument.

Funèbre ? non. Quelle caresse
Vaut le sommeil sans lendemain ?
Vienne l'heure, pâle maîtresse
Qu'on espère jamais en vain !

Elle viendra, consolatrice,
Tarir la source des remords:
Nulle passion tentatrice
Ne trouble le repos des morts.

 * * * * *

Ces heures, pleines d'espérance,
De terreur ou de volupté,
Ne sont pourtant qu'une apparence,
Un rêve sans réalité.

Le temps, l'espace: vain mirage,
Mots creux auxquels rien ne répond;
Bruit de la vague sur la plage,
Du caillou dans le puits profond !

Avec le mètre et l'heure, infime,
L'homme prétend jauger les mers
Dont l'infini creuse l'abîme,
Qui pour flots ont des univers !

Sonnez, sonnez, Heures futiles,
Mensonge par l'homme inventé !
Résonnez ! vos sons inutiles
Se perdent dans l'éternité.

 

 


Camille Saint-Saëns

 

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