Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

PYTHIQUE IX



A TÉLÉSICRATE DE CYRÈNE, VAINQUEUR A LA COURSE ARMÉE

Strophe 1.  —  Je veux, avec les Grâces (216) au sein puissant, chanter d'une voix forte le Pythionique Télésicrate au bouclier d'airain, fortuné mortel, qui couronne Cyrène (217) amie des coursiers : Cyrène, jadis enlevée des vallons orageux du Pélion par le Latoïde (218) chevelu, qui, sur son char d'or, transporta la vierge chasseresse dans une contrée fertile en troupeaux, fertile en moissons, où il l'établit souveraine dans une terre riante et fleurie (219), troisième bras du monde.

Antistrophe 1. — Vénus, aux pieds d'argent, accueillit l'hôte (220) de Délos, en arrêtant d'une main légère le char divin ; et, aux douces étreintes de l'amour, elle associa l'aimable pudeur, en réglant l'hymen du dieu avec la fille du tout-puissant Hypsée, qui alors était roi des belliqueux Lapithes (221), héros, petit-fils de l'Océan, engendré autrefois dans les gorges fameuses du Pinde par une naïade que la 206 couche du Pénée avait charmée, par Creuse, fille de la terre.

Épode 1. — Hypsée éleva sa fille Cyrèrie aux beaux bras ; elle n'aimait ni le mouvement de la navette qui va et revient , ni la joie des banquets domestiques avec ses compagnes. Mais armée et du javelot d'airain et de l'épée, elle perçait les monstres sauvages, assurant ainsi une paix longue et profonde aux troupeaux paternels, et ne laissant Je sommeil, ce doux compagnon de sa couche, se glisser un moment sur ses paupières que vers l'aurore.

Str. 2. — Un jour, le dieu au large carquois, Apollon, qui lance au loin ses flèches, la rencontra comme elle luttait seule et sans armes contre un énorme lion. Aussitôt il appelle Chiron hors de sa demeure: «Sors de ton antre sacré, fils de Philyre (222), admire le courage d'une femme, son extrême vigueur, et de quel front intrépide elle soutient un combat, jeune fille d'un cœur au-dessus du danger. L'effroi ne trouble point son âme. Quel mortel lui a donné le jour? de quelle tige a été

Ant. 2. — «Détachée celle qui habite les retraites de ces montagnes ombreuses et déploie une force immense? Puis-je sans crime la saisir de mes nobles mains? Ou faut-il moissonner dans une couche sa douce fleur?» Mais le courageux centaure, déridant son front avec un aimable sourire, lui donne aussitôt son avis : «C'est dans le mystère que les clefs de la prudente persuasion initient aux saintes amours, ô Phébus; et, parmi les dieux, comme parmi les hommes, on craint de goûter au grand jour les premières caresses de l'hymen.

Ép. 2. — «Mais toi qui ne devrais point connaître le  mensonge, une humeur enjouée t'a porté à des paroles peu sincères. D'où vient que tu m'interroges, ô roi, sur l'origine de cette nymphe, toi qui sais clairement la fin suprême et toutes les voies de toutes choses ? combien, au printemps, la terre fait pousser de feuilles; combien les flots de la mer, et les fleuves et les tourbillons de vents roulent de grains de sable; toi qui sais à merveille ce qui doit être et ce qui sera. Cependant si lutter avec un sage m'est permis, je parlerai.

Str. 3. — «Tu es venu dans cette vallée pour épouser Cyrène; tu dois la transporter au delà des ondes dans le magnifique jardin de Jupiter (223). Là tu l'établiras souveraine d'une cité, après avoir conduit une colonie d'insulaires sur une hauteur entourée de plaines. Aujourd'hui la divine Libye aux prairies immenses recevra avec joie ton illustre fiancée dans un palais d'or. Là, sur-le-champ, elle lui donnera en propre un domaine qu'elles (224) gouverneront de concert, qui n'est ni pauvre en plantes utiles, ni dépourvu d'animaux.

Ant. 3. — Elle y mettra au monde un fils que le grand Mercure enlèvera à sa tendre mère pour en charger les Heures (225) aux trônes brillants et la Terre. Celles-ci placeront l'enfant sur leurs genoux, distilleront sur ses lèvres le nectar et l'ambroisie, et en feront un immortel comme Jupiter et le bel Apollon, un bienfaiteur des plus agréables aux hommes qu'il chérira, pasteur de brebis, appelé par les uns Agréus ou Nomius; par les autres, Aristée. Il dit et presse Phébus d'accomplir cette douce union.

Ép. 3. — Or l'œuvre des dieux, quand ils sont pressés d'agir, est prompte et leurs voies sont courtes. Ce jour même elle se réalisa. Dans un palais de Libye tout brillant d'or ils s'épousèrent, au lieu où elle gouverne une cité (226) superbe, fameuse par ses jeux. Et cette cité vient d'être associée dans la divine Pytho à l'éclatante fortune d'un fils de Carnéade (227). Là vainqueur il a illustré Cyrène. Aussi recevra-t-elle (228)? avec transport dans la patrie aux belles vierges celui qui revient de Delphes avec une gloire désirée.

Str. 4. — Toujours les hautes vertus sont longuement célébrées. Mais, dans les grandes choses, une précision élégante a l'oreille des sages. En tout, l'à-propos est également essentiel. Jadis Thèbes aux sept portes a bien reconnu qu'Iolas (229) n'en faisait pas lui-même peu de cas; aussi, lorsque du tranchant de son glaive il eut coupé la tête d'Eurysthée (230), elle l'ensevelit au sein de la terre, dans la tombe d'Amphitryon (231), conducteur de chars : à l'endroit même où reposait son aïeul paternel, hôte des Spartes, qui s'était réfugié dans les bourgades cadméennes (232) aux blancs coursiers.

Ant. 4. — Après s'être unie à lui et à Jupiter, l'habile Alcmène, d'un seul enfantement, mit au monde deux jumeaux (233), fils vigoureux, vainqueurs dans lés combats. C'est être stupide que de ne pas ouvrir sa bouche à l'éloge d'Hercule, de ne point se rappeler toujours les eaux dircéennes (234) où il fut nourri avec Iphiclès. Je chanterai ce héros chaque fois qu'un bonheur viendra combler mes vœux. Puisse la lumière pure des Grâces ne pas m'abandonner! Car je proclame que clans Egine et sur la colline de Nisus (235) il a trois fois illustré cette cité ,

Ép. 4. — Lui qui s'est dérobé par sa vertu à un honteux oubli. Ainsi que tout citoyen, ami ou ennemi, se garde d'obscurcir une action glorieuse utile à tous, et de mépriser la parole du vieillard des mers (236). Il voulait qu'on louât même un ennemi, de tout cœur, lorsqu'il faisait des choses belles et justes. Souvent aussi on t'a vu vaincre dans les fêtes solennelles de Pallas (237), où chaque jeune vierge désirait en silence de t'avoir pour tendre époux ou pour fils, ô Télésicrate,

Str. 5. — Puis dans les combats olympiques, dans les jeux de la Terre aux puissantes mamelles, et dans toutes les autres fêtes de ta patrie (238). Mais, pendant que j'apaise ma soif de vers, il me semble qu'elle me presse de me rappeler encore une dette, l'antique gloire de tes aïeux : comment , pour une femme de Libye, ils marchèrent à la ville d'Irasse (239); amants attirés vers la fille d'Antée (240), illustre vierge aux beaux cheveux. Beaucoup de héros ses parents , beaucoup d'étrangers la recherchaient;

Ant. 5. — Car elle était d'une admirable beauté, et tous désiraient cueillir la fleur de sa jeunesse à la couronne d'or. Mais le père, qui méditait pour sa fille un parti plus glorieux, apprit comment autrefois dans Argos Danaüs avait trouvé pour ses quarante-huit filles un prompt hyménée avant le milieu du jour. Sans tarder, en effet, il les avait rangées toutes en chœur au bout de la carrière, et ordonné que la course à pied fit connaître celle que posséderait chacun des héros qui étaient venus pour être ses gendres.

Ép. 5. — Ainsi le Libyen s'y prit pour fiancer un homme à sa fille. Parée, il la place comme but à l'extrémité de la lice. Puis il déclare au milieu des prétendants : qu'il l'emmènera celui qui le premier à la course aura touché son voile. Alors Alexidame (241) précipite sa course, prend dans sa main la main de la vierge chérie, et la conduit à travers l'assemblée des cavaliers humides. Ceux-ci lui jetaient des feuilles et des couronnes : plus d'une fois déjà il avait volé sur les ailes de la victoire.

(216) Déesses qui embellissent le vainqueur..

(217) Ville de Libye, bientôt personnifiée par le poète

(218) Apollon.

(219) En Libye.

(220) Apollon.

(221) En Thessalie.

(222) Chiron.

(223) La Libye : elle avait son Jupiter Ammon.

(224) Cyrène et la déesse Libye.

(225) Eunomie , Dicé et Irène; le bon ordre, la justice et la paix ; elles étaient filles de Jupiter et de Thémis.

(226) Cyrène.  

(227) De Télésicrate.

(228) Ainsi l'ode n'est pas représentée à Cyrène ; les pensées qui suivent font croire, au contraire, qu'elle eut lieu à Thèbes.

(229) Moins, fils d'Ipbiclès et petit-fils d'Amphitryon et d'AIcmène.

(230) Roi d'Argos, persécuteur d'Hercule et des Héraclides.

(231) Amphitryon fut obligé de quitter Mycènes parce qu'il avait tué son oncle Électryon.

(232) Chez les Thébains ou Spartes.

(233) Hercule et Iphiclès.

(234) Qui arrosent Thèbes.

(235) A Mégare.

(236) Nérée.

(237) A Cyrène.

(238)  La colonie grecque qui avait fondé Cyrène avait transporté en Afrique la plupart des institutions de la mère patrie. Créuse, aïeule de Cyrène, était fille de la Terre.

(239) En Afrique , dans la Pentapole.

(240) Géant, roi d'Irasse ; il se vantait d'élever un temple à Neptune avec des crânes humains : Hercule le tua.

(241) Aïeul de Télésicrate.

 


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