Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Parallèlement (1889) -- Révérence parler

Prologue d’un Livre
dont il ne paraîtra que les extraits ci-après



Ce n’est pas de ces dieux foudroyés,
Ce n’est pas encore une infortune
Poétique autant qu’inopportune,
Ô lecteur de bon sens, ne fuyez !
 
On sait trop tout le prix du malheur
Pour le perdre en disert gaspillage.
Vous n’aurez ni mes traits ni mon âge,
Ni le vrai mal secret de mon cœur.
 
Et de ce que ces vers maladifs
Furent faits en prison, pour tout dire,
On ne va pas crier au martyre.
Que Dieu vous garde des expansifs !
 
On vous donne un livre fait ainsi.
Prenez-le pour ce qu’il vaut en somme.
C’est l’ægri somnium d’un brave homme
Étonné de se trouver ici.
 
On y met, avec la « bonne foy »,
L’orthographe à peu près qu’on possède,
Regrettant de n’avoir à son aide
Que ce prestige d’être bien soi.
 
Vous lirez ce libelle tel quel,
Tout ainsi que vous feriez d’un autre.
Ce vœu bien modeste est le seul nôtre,
N’étant guère après tout criminel.
 
Un mot encore, car je vous dois
Quelque lueur en définitive
Concernant la chose qui m’arrive :
Je compte parmi les maladroits.
 
J’ai perdu ma vie et je sais bien
Que tout blâme sur moi s’en va fondre :
À cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien.

 


Paul Verlaine

 

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