Pétrarque (1304-1374)
Recueil : Sonnets et Canzones - Sujets variés
Traductions, commentaires et numérotations de Francisque Reynard (1883)

Sujets variés - Canzones V-01 à V-04


 

Canzone V-01 : À Giacomo Colonna, pour qu’il seconde l’entreprise du roi de France contre les infidèles.
Canzone V-02 : À Colas di Rienzo, pour le prier de rendre à Rome son antique liberté.
Canzone V-03 : Il s’est épris de la Gloire, parce qu’elle lui montrera le chemin de la vertu.
Canzone V-04 : Aux grands de l’Italie, pour les engager à la délivrer de son dur esclavage.

 

Canzone V-01

À Giacomo Colonna, pour qu’il seconde l’entreprise du roi de France contre les infidèles.


O aspettata in ciel, beata e bella
Anima, che di nostra umanitade
Vestita vai, non come l’altre, carca;
Perchè ti sian men dure omai le strade,
A Dio diletta, obbedïente ancella,
Onde al suo regno di qua giù si varca;
Ecco novellamente a la tua barca,
Ch’al cieco mondo à già volte le spalle
Per gir a miglior porto,
D’un vento occidental dolce conforto;
Lo qual per mezzo questa oscura valle,
Ove piangiamo il nostro e l’altrui torto,
La condurrà de’ lacci antichi sciolta
Per drittissimo calle
Al verace orïente, ov’ella è vôlta.

Forse i devoti e gli amorosi preghi
E le lagrime sante de’ mortali
Son giunte innanzi a la pietà superna,
E forse non fur mai tante nè tali,
Che per merito lor punto si pieghi
Fuor di suo corso la giustizia eterna:
Ma quel benigno Re che ’l ciel governa,
Al sacro loco ove fu posto in croce,
Gli occhi per grazia gira;
Onde nel petto al novo Carlo spira
La vendetta, ch’a noi tardata noce,
Sì che molt’anni Europa ne sospira;
Così soccorre a la sua amata sposa;
Tal che sol de la voce
Fa tremar Babilonia e star pensosa.

Chiunque alberga tra Garonna e ’l monte
E ’ntra ’l Rodano e ’l Reno e l’onde salse,
Le ’nsegne cristianissime accompagna;
Ed a cui mai di vero pregio colse
Dal Pireneo a l’ultimo orizzonte,
Con Aragon lascerà vôta Ispagna:
Inghilterra con l’isole che bagna
L’Oceano intra ’l Carro e le Colonne
Infin là dove sona
Dottrina del santissimo Elicona,
Varie di lingue e d’arme e de le gonne,
A l’alta impresa caritate sprona.
Deh qual amor sì licito o sì degno,
Qua’ figli mai, quai donne
Furon materia a sì giusto disdegno ?

Una parte del mondo è che si giace
Mai sempre in ghiacci ed in gelate nevi,
Tutta lontana dal cammin del Sole.
Là, sotto i giorni nubilosi e brevi,
Nemica natural mente di pace,
Nasce una gente a cui ’l morir non dole.
Questa se, più devota che non sole,
Col tedesco furor la spada tigne;
Turchi, Arabi e Caldei,
Con tutti quei che speran ne li Dei
Di qua dal mar che fa l’onde sanguigne,
Quanto sian da prezzar, conoscer dêi:
Popolo ignudo paventoso e lento,
Che ferro mai non strigne,
Ma tutti i colpi suoi commette al vento.

Dunque ora è ’l tempo da ritrarre il collo
Dal giogo antico, e da squarciar il velo
Ch’è stato avvolto ’ntorno à gli occhi nostri;
E che ’l nobile ingegno che dal Cielo
Per grazia tien de l’immortale Apollo,
E l’eloquenza sua vertù qui mostri
Or con la lingua, or con laudati inchiostri:
Perchè d’Orfeo leggendo e d’Anfione,
Se non ti maravigli,
Assai men fia ch’Italia co’ suoi figli
Si desti al suon del tuo chiaro sermone,
Tanto che per Gesù la lancia pigli;
Che, s’al ver mira questa antica madre,
In nulla sua tenzone
Fur mai cagion sì belle e sì leggiadre.

Tu, ch’ài per arricchir d’un bel tesauro,
Volte l’antiche e le moderne carte,
Volando al ciel con la terrena soma;
Sai, da l’imperio del figliuol di Marte
Al grande Augusto, che di verde lauro
Tre volte, triunfando, ornò la chioma,
Ne l’altrui ingiurie del suo sangue Roma
Spesse fïate quanto fu cortese.
Ed or perchè non fia,
Cortese no, ma conoscente e pia
A vendicar le dispietate offese
Col figliuol glorïoso di Maria ?
Che dunque la nemica parte spera
Ne l’umane difese,
Se Cristo sta da la contraria schiera ?

Pon mente al temerario ardir di Serse,
Che fece, per calcar i nostri liti,
Di novi ponti oltraggio a la marina:
E vedrai ne la morte de’ mariti
Tutte vestite a brun le Donne Perse,
E tinto in rosso il mar di Salamina.
E non pur questa misera ruina
Del popol infelice d’Orïente
Vittoria ten promette,
Ma Maratona, e le mortali strette
Che difese il Leon con poca gente,
Ed altre mille ch’ài scoltate e lette.
Perchè inchinar a Dio molto convène
Le ginocchia e la mente,
Che gli anni tuoi riserva a tanto bene.

Tu vedra’ Italia e l’onorata riva,
Canzon, ch’agli occhi miei cela e contende,
Non mar, non poggio o fiume,
Ma solo Amor, che del suo altero lume
Più m’invaghisce dove più m’incende:
Nè natura può star contra ’l costume.
Or movi; non smarrir l’altre compagne;
Chè non pur sotto bende
Alberga Amor, per cui si ride e piagne.


Âme bienheureuse et belle, toi qui es attendue au ciel et qui t’en vas revêtue et non chargée, comme les autres, de notre nature humaine ; toi la servante obéissante de Dieu, à qui tu es chère, afin que les chemins qui conduisent d’ici-bas à son royaume te soient désormais moins rudes ; voici qu’un doux vent d’Occident vient de s’élever pour pousser vers un meilleur port ta barque qui a tourné le dos au monde aveugle. Au milieu de cette obscure vallée où nous pleurons nos péchés et ceux d’autrui, il la conduira, délivrée des antiques liens, par un droit sentier, au céleste Orient vers lequel elle est tournée.

Peut-être les dévotes et amoureuses prières, peut-être les larmes saintes des mortels sont-elles parvenues jusqu’à la pitié suprême ; peut-être aussi n’ont-elles pas été assez nombreuses ni assez fortes, pour que leur mérite fît changer le cours de la justice éternelle ; mais ce Roi clément qui gouverne le ciel, a-t-il jeté, par le simple effet de sa grâce, les yeux sur le lieu sacré où il fut mis en croix, et a-t-il inspiré au cœur du nouveau Charles le désir d’une vengeance dont le retard nous est si nuisible que depuis nombre d’années l’Europe soupire après elle. C’est ainsi qu’il a secouru son épouse aimée, de sorte que sa voix seule a fait trembler la Babylonie et la rend inquiète.

Quiconque habite entre la Garonne et les monts, entre le Rhône, le Rhin et les ondes salées, accompagne les étendards très chrétiens ; et quiconque, des Pyrénées jusqu’à l’extrême horizon, s’est montré désireux de la vraie gloire, laissera déserts l’Espagne et l’Aragon. L’Angleterre ainsi que les îles que baigne l’Océan entre le Chariot et les Colonnes, enfin tous les pays où s’enseigne la doctrine du saint Évangile, pays variés de langage, d’armes et de costumes, sont poussés par la charité à la sainte entreprise. Eh ! quel amour plus licite et plus noble, même l’amour filial et l’amour maternel, fournit jamais matière à si juste indignation ?

Il est une portion du monde qui est toujours dans les glaces et dans les neiges glacées, tellement elle est loin du chemin du soleil. Là, parmi les jours nébuleux et courts, naît une population naturellement ennemie de la paix, et à qui il n’en coûte rien de mourir. Si cette population, plus dévouée que d’habitude, prend les armes pour seconder la fureur tudesque, tu dois bien comprendre combien elle est à craindre des Turcs, des Arabes, des Chaldéens et de tous ceux qui placent leur espoir dans les dieux de ce côté de la mer aux eaux sanglantes, nations qui combattent sans armures, craintives et efféminées, qui ne surent jamais manier le fer, mais qui confient au vent tous leurs coups.

Donc, c’est l’heure et le temps de retirer notre cou de l’antique joug, et de déchirer le voile qui avait été déroulé autour de nos yeux ; il est temps que le noble génie que tu tiens du ciel par la grâce de l’immortel Apollon, montre ici la valeur de son éloquence par des discours et par des écrits dignes de louange. Si, en lisant les exploits d’Orphée et d’Amphion, tu ne t’étonnes point, tu t’étonneras bien moins encore que l’Italie et ses enfants se lèvent au son de ton éclatante parole, et prennent la lance en faveur de Jésus. Car si cette antique mère voit juste, elle comprendra qu’en aucune de ses guerres, elle n’a eu de si belles et de si admirables raisons.

Toi qui, pour t’enrichir d’un beau trésor, as consulté les ouvrages anciens et modernes, t’élevant jusqu’au ciel malgré la pesanteur terrestre, tu sais combien, depuis le fils de Mars jusqu’au grand Auguste qui, trois fois triomphant, orna trois fois sa tête du vert laurier, Rome fut prodigue de son sang pour venger les injures faites à d’autres. Pourquoi donc aujourd’hui ne serait-elle pas, non point prodigue, mais reconnaissante et pieuse, pour venger les offenses impies faites au glorieux fils de Marie ? Quel espoir nos ennemis mettront-ils dans les humaines défenses, si le Christ est parmi leurs adversaires ?

Reporte ton esprit à la téméraire audace de Xerxès qui, pour fouler aux pieds nos rivages, osa outrager la mer en la couvrant de ponts d’une nouvelle espèce, et tu verras toutes les femmes de la Perse, revêtues de noir à cause de la mort de leurs maris, et la mer de Salamine toute teinte en rouge. Or la victoire ne te promet pas seulement une semblable défaite du peuple infidèle d’Orient, mais une extermination comme celle de Marathon, comme celle des mortels défilés que défendit Léonidas avec si peu de gens, et comme mille autres dont tu as entendu parler ou que tu as lues. C’est pourquoi, il convient d’incliner profondément les genoux et l’esprit devant Dieu qui a choisi ton siècle pour tant de bienfaits.

Ô ma chanson, tu verras l’Italie et sa rive glorieuse que défend et cache à nos yeux, non point la mer, non point une montagne ou un fleuve, mais l’Amour seul qui me charme d’autant plus qu’il m’embrase davantage. La nature ne peut résister à l’habitude. Or va, ne te sépare point de tes autres compagnons ; l’Amour, par qui l’on vit et l’on pleure, ne marche pas toujours un bandeau sur les yeux.


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Canzone V-02

À Colas di Rienzo, pour le prier de rendre à Rome son antique liberté.


Spirto gentil che quelle membra reggi
Dentro a le qua’ peregrinando alberga
Un signor valoroso, accorto e saggio;
Poi che se’ giunto a l’onorata verga
Con la qual Roma e suoi erranti correggi,
E la richiami al suo antico viaggio,
Io parlo a te, però ch’altrove un raggio,
Non veggio di vertù, ch’al mondo è spenta,
Nè trovo chi di mal far si vergogni.
Che s’aspetti non so nè che s’agogni
Italia, che suoi guai non par che senta,
Vecchia, ozïosa e lenta.
Dormirà sempre, e non fia chi la svegli ?
Le man l’avess’io avvolte entro capegli !

Non spero che già mai dal pigro sonno
Mova la testa, per chiamar ch’uom faccia;
Sì gravemente è oppressa e di tal soma.
Ma non senza destino a le tue braccia,
Che scuoter forte e sollevarla ponno,
È or commesso il nostro capo Roma.
Pon man in quella venerabil chioma
Securamente e ne le trecce sparte,
Sì che la neghittosa esca del fango.
I’, che dì e notte del suo strazio piango,
Di mia speranza ho in te la maggior parte:
Che se ’l popol di Marte
Devesse al proprio onor alzar mai gli occhi,
Parmi pur ch’a’ tuoi dì la grazia tocchi.

L’antiche mura, ch’ancor teme ed ama
E trema ’l mondo quando si rimembra
Del tempo andato e ’ndietro si rivolve;
E i sassi dove fur chiuse le membra
Di ta’ che non saranno senza fama
Se l’universo pria non si dissolve;
E tutto quel ch’una ruina involve,
Per te spera saldar ogni suo vizio.
O grandi Scipïoni, o fedel Bruto,
Quanto v’aggrada, se gli è ancor venuto
Romor là giù del ben locato offizio !
Come cre’ che Fabrizio
Si faccia lieto udendo la novella !
E dice: Roma mia sarà ancor bella.

E se cosa di qua nel ciel si cura,
L’anime che là su son cittadine
Ed ànno i corpi abbandonati in terra,
Del lungo odio civil ti pregar fine,
Per cui la gente ben non s’assecura,
Onde ’l cammino a’ lor tetti si serra,
Che far già sì devoti, ed ora in guerra
Quasi spelunca di ladron son fatti;
Tal ch’a’ buon solamente uscio si chiude;
E tra gli altari e tra le statue ignude
Ogn’impresa crudel par che si tratti.
Deh quanto diversi atti !
Nè senza squille s’incomincia assalto,
Che per Dio ringraziar fur poste in alto.

Le donne lagrimose, e ’l vulgo inerme
De la tenera etate, e i vecchi stanchi,
Ch’ànno sè in odio e la soverchia vita,
E i neri fraticelli e i bigi e i bianchi,
Con l’altre schiere travagliate e ’nferme,
Gridan: o signor nostro, aita, aita;
E la povera gente sbigottita
Ti scopre le sue piaghe a mille a mille,
Ch’Annibale, non ch’altri, farian pio.
E se ben guardi a la magion di Dio,
Ch’arde oggi tutta, assai poche faville
Spegnendo, fien tranquille
Le voglie che si mostran sì ’nfiammate;
Onde tien l’opre tue nel ciel laudate.

Orsi, lupi, leoni, aquile e serpi
Ad una gran marmorea colonna
Fanno noia sovente, ed a sè danno.
Di costor piagne quella gentil donna,
Che t’à chiamato, acciò che di lei sterpi
Le male piante, che fiorir non sanno.
Passato è già più che ’l millesimo anno
Che ’n lei mancar quell’anime leggiadre
Che locata l’avean là dov’ell’era.
Ahi nova gente oltra misura altera,
Irreverente a tanta ed a tal madre !
Tu marito, tu padre;
Ogni soccorso di tua man s’attende;
Chè ’l maggior padre ad altra opera intende.

Rade volte addivien ch’a l’alte imprese
Fortuna ingiurïosa non contrasti,
Ch’agli animosi fatti mal s’accorda.
Ora sgombrando il passo onde tu intrasti,
Fammisi perdonar molte altre offese;
Ch’almen qui da sè stessa si discorda:
Però che, quanto ’l mondo si ricorda,
Ad uom mortal non fu aperta la via
Per farsi, come a te, di fama eterno;
Che puoi drizzar, s’i’ non falso discerno,
In stato la più nobil monarchia.
Quanta gloria ti fia
Dir: gli altri l’aitâr giovine e forte;
Questi in vecchiezza la scampò da morte !

Sopra ’l monte Tarpeo, Canzon, vedrai
Un cavalier ch’Italia tutta onora,
Pensoso più d’altrui che di sè stesso.
Digli: un che non ti vide ancor da presso,
Se non come per fama uom s’innamora,
Dice che Roma ogni ora,
Con gli occhi di dolor bagnati e molli,
Ti chier mercè da tutti sette i colli.


Noble esprit, qui gouverne ces membres où est renfermé un seigneur valeureux, bienveillant et sage, puisque tu es parvenu à posséder la verge honorée avec laquelle tu corriges Rome et ses citoyens aveuglés par l’erreur, et tu les rappelles à son antique chemin, je m’adresse à toi, parce que je ne vois pas ailleurs un seul rayon de vertu, car elle est disparue du monde, et parce que je ne trouve ailleurs personne qui ait vergogne de mal faire. Je ne sais ce qu’attend ou ce que désire l’Italie, car il semble qu’elle ne sente pas ses maux ; elle est vieille, paresseuse et indifférente. Dormira-t-elle toujours, et ne viendra-t il personne qui la réveille ? Ah ! si j’avais les mains roulés dans ses cheveux !

Je n’espère pas qu’elle relève jamais la tête dans son sommeil nonchalant, tellement elle est affaissée sous une lourde charge. Mais ce n’est pas sans un but du destin que Rome, notre tête, est maintenant confiée à ton bras qui peut la secouer fortement et la relever. Porte sans crainte la main sur sa vénérable chevelure et dans ses tresses éparses, de façon à tirer cette indolente de sa fange. Moi, qui jour et nuit pleure sur son état misérable, j’ai placé en toi la plus grande partie de mon espoir ; car si jamais le peuple de Mars devait lever les yeux sur son propre honneur, il me semble que la gloire ne pourrait en échoir qu’à ton temps.

Les antiques murs que le monde craint et aime encore, et au souvenir desquels il tremble quand il se rappelle le temps passé et se rejette en arrière ; les tombeaux où furent enfermés les ossements de tant de gens qui ne seront point sans renommée tant que l’univers ne tombera point en dissolution, et tout ce qui est enveloppé dans une même ruine, espère guérir par toi de tous ses vices. Ô grands Scipions, ô fidèle Brutus, combien elle a dû vous plaire, si elle vous est arrivée là-bas, la rumeur de cette mission si bien placée ! Comme je crois que Fabricius a dû être joyeux en apprenant la nouvelle, et comme il a dû dire : Ma Rome sera belle encore.

Et si on a souci dans le ciel de quelque chose d’ici-bas, les âmes qui habitent là haut et ont laissé leur corps à la terre, te prient de mettre fin aux longues discordes civiles qui enlèvent toute sécurité aux citoyens, et qui font que leurs sépultures, jadis si honorées, sont aujourd’hui, par suite de la guerre, abandonnées comme des sépultures de voleurs, tellement que les bons en sont seuls exclus, et que, parmi les autels et parmi les statues dépouillées, on se livre aux plus cruelles entreprises. Oh ! que d’actes coupables ! On ne commence aucun assaut sans sonner les cloches, lesquelles furent élevées pour rendre grâce à Dieu.

Les femmes larmoyantes et la multitude sans défense des enfants, les vieillards fatigués qui ont en horreur eux-mêmes et leur trop longue existence ; les moines noirs, gris et blancs, ainsi que les autres classes de citoyens malades et infirmes, crient : « Notre seigneur, aide, aide ! » et la malheureuse population épouvantée, te découvre par milliers ses plaies qui apitoieraient Annibal lui-même. Et si tu regardes attentivement la maison de Dieu, qui aujourd’hui est tout en flammes, tu verras qu’en éteignant seulement quelques étincelles, les esprits qui se montrent si enflammés de haine, redeviendront tranquilles. Pourquoi, ton œuvre serait louée dans le ciel.

Les ours, les loups, les aigles et les serpents nuisent souvent à une grande colonne de marbre, tout en se nuisant à eux-mêmes. C’est d’eux que se plaint la noble dame qui t’a appelé, afin que tu arraches de son sein les mauvaises plantes qui ne peuvent fleurir. Voilà plus de mille ans que lui font défaut ces belles âmes qui l’avaient placée là où elle était. Ah ! nouvelles générations, démesurément hautaines, indignes d’une si grande et d’une telle mère ! Tu es son époux, tu es son père ; elle attend tout secours de ta main, car son souverain père a l’esprit occupé à d’autres œuvres.

Rarement il arrive que la fortune injurieuse ne s’oppose pas aux hautes entreprises, car elle s’accorde mal aux grandes actions. Or, débarrassant le passage par lequel tu es entré, fais que je lui pardonne ses autres nombreux méfaits ; qu’au moins, en cela, elle se montre diverse d’elle même. De mémoire d’homme, aucun mortel n’eut, comme toi, la voie ouverte pour s’acquérir une éternelle renommée ; car, si je ne me trompe point, tu peux relever la plus noble monarchie. Quelle gloire ce sera pour toi, d’entendre dire : les autres l’ont aidée quand elle était jeune et forte, lui, l’a sauvée de la mort, dans sa vieillesse !

Chanson, tu verras sur le mont tarpéien un chevalier que l’Italie tout entière honore, plus soucieux des autres que de soi-même. Dis lui : quelqu’un qui ne t’a pas encore vu de près, mais qui s’est épris de toi, sur ton renom, dit que Rome, les yeux baignés et humides de douleur, te crie à toute heure merci de toutes les sept collines.


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Canzone V-03

Il s’est épris de la Gloire, parce qu’elle lui montrera le chemin de la vertu.


Una donna più bella assai che ’l Sole
E più lucente, e d’altrettanta etade,
Con famosa beltade,
Acerbo ancor, mi trasse a la sua schiera.
Questa in pensieri, in opre ed in parole
(Però ch’è de le cose al mondo rade),
Questa per mille strade
Sempre innanzi mi fu leggiadra, altera:
Solo per lei tornai da quel ch’i’ era,
Poi ch’i’ soffersi gli occhi suoi da presso:
Per suo amor m’er’io messo
A faticosa impresa assai per tempo,
Tal che s’i’ arrivo al desiato porto,
Spero per lei gran tempo
Viver, quand’altri mi terrà per morto.

Questa mia donna mi menò molti anni
Pien di vaghezza giovenile ardendo,
Sì com’ora io comprendo,
Sol per aver di me più certa prova,
Mostrandomi pur l’ombra o ’l velo o’ panni
Talor di sè, ma ’l viso nascondendo;
Ed io, lasso, credendo
Vederne assai, tutta l’età mia nova
Passai contento, e ’l rimembrar mi giova.
Poi ch’alquanto di lei veggi’ or più innanzi,
I’ dico che pur dianzi,
Qual io non l’avea vista infino allora,
Mi si scoverse; onde mi nacque un ghiaccio
Nel core, ed evvi ancora,
E sarà sempre fin ch’i’ le sia in braccio.

Ma non mel tolse la paura o ’l gelo;
Chè pur tanta baldanza al mio cor diedi,
Ch’i’ le mi strinsi a’ piedi
Per più dolcezza trar degli occhi suoi:
Ed ella, che rimosso avea già il velo
Dinanzi a’ miei, mi disse: amico, or vedi
Com’io son bella; e chiedi
Quanto par si convenga agli anni tuoi.
Madonna, dissi, già gran tempo in voi
Posi ’l mio amor, ch’io sento or sì infiammato;
Ond’a me, in questo stato,
Altro volere o disvoler m’è tolto.
Con voce allor di sì mirabil tempre,
Rispose, e con un volto,
Che temer e sperar mi farà sempre:

Rado fu al mondo, fra così gran turba,
Ch’udendo ragionar del mio valore,
Non si sentisse al core,
Per breve tempo almen, qualche favilla:
Ma l’avversaria mia, che ’l ben perturba,
Tosto la spegne; ond’ogni vertù more,
E regna altro signore,
Che promette una vita più tranquilla.
De la tua mente Amor, che prima aprilla,
Mi dice cose veramente ond’io
Veggio che ’l gran desio
Pur d’onorato fin ti farà degno:
E come già se’ de’ miei rari amici,
Donna vedrai per segno,
Che farà gli occhi tuoi via più felici.

I’ volea dir: quest’è impossibil cosa;
Quand’ella: or mira, e leva gli occhi un poco,
In più riposto loco
Donna ch’a pochi si mostrò già mai.
Ratto inchinai la fronte vergognosa,
Sentendo novo dentro maggior foco.
Ed ella il prese in gioco,
Dicendo: i’ veggio ben dove tu stai.
Sì come ’l Sol co’ suoi possenti rai
Fa subito sparir ogni altra stella,
Così par or men bella
La vista mia, cui maggior luce preme.
Ma io però da’ miei non ti diparto;
Chè questa e me d’un seme,
Lei davanti e me poi, produsse un parto.

Ruppesi intanto di vergogna il nodo
Ch’a la mia lingua era distretto intorno
Su nel primiero scorno,
Allor quand’io del suo accorger m’accorsi;
E ’ncominciai: s’egli è ver quel ch’i’odo,
Beato il padre e benedetto il giorno
Ch’à di voi ’l mondo adorno,
E tutto ’l tempo ch’a vedervi io corsi !
E se mai da la via dritta mi torsi,
Duolmene forte, assai più ch’i’ non mostro.
Ma se de l’esser vostro
Fossi degno udir più, del desir ardo.
Pensosa mi rispose, e così fiso
Tenne ’l suo dolce sguardo,
Ch’al cor mandò con le parole il viso:

Siccome piacque al nostro eterno padre,
Ciascuna di noi due nacque immortale.
Miseri! a voi che vale ?
Me’ v’era che da noi fosse ’l difetto.
Amate, belle, gioveni e leggiadre
Fummo alcun tempo; ed or siam giunte a tale,
Che costei batte l’ale
Per tornar a l’antico suo ricetto:
I’ per me sono un’ombra: ed or t’ò detto,
Quanto per te sì breve intender puossi.
Poi che i piè suoi fur mossi;
Dicendo: non temer ch’i’ m’allontani,
Di verde lauro una ghirlanda colse,
La qual con le sue mani
Intorno intorno a le mie tempie avvolse.

Canzon, chi tua ragion chiamasse oscura,
Dì: non ò cura, perchè tosto spero
Ch’altro messaggio il vero
Farà in più chiara voce manifesto.
Io venni sol per isvegliare altrui;
Se chi m’impose questo,
Non m’ingannò quand’io partii da lui.


Une dame, bien plus belle, bien plus resplendissante que le Soleil, tout aussi antique que lui, et d’une beauté fameuse, m’a entraîné dans sa compagnie, quand j’étais encore tout jeune. Bien qu’elle soit au nombre des choses rares en ce monde, elle m’a conduit par mille chemins, toujours belle et hautaine en pensées, en paroles et en actions. C’est pour elle seule que j’ai changé de ce que j’étais, du jour où j’affrontai ses regards de près. Par amour pour elle, je m’étais lancé, fort jeune, dans une entreprise si pénible que, si j’arrive au port désiré, j’espère par elle vivre longtemps, quand on me tiendra pour mort.

Cette mienne dame me guida pendant de nombreuses années, brûlant d’une juvénile ardeur, uniquement, comme je le comprends aujourd’hui, pour m’éprouver plus sûrement, me montrant tantôt son ombre, tantôt son voile ou ses vêtements, mais me cachant son visage. Et moi, hélas ! croyant en voir assez, je passai dans la joie toute ma jeunesse, et le souvenir m’en réjouit encore. Puisque maintenant je vois un peu plus d’elle que par le passé, je dis qu’il y a peu de temps elle se découvrit à moi comme je ne l’avais pas vue jusque-là ; ce qui me produisit dans le cœur un froid glacial qui y est encore, et qui y restera jusqu’au jour où je serai dans ses bras.

Mais la peur et le trouble ne me ravirent pas tellement à moi-même que je ne donnai à mon cœur assez de hardiesse pour les fouler aux pieds, afin de tirer plus de douceur de ses yeux. Et elle, qui avait déjà remis le voile devant les miens, me dit : « — Ami, vois comme je suis belle ; et demande tout autant qu’il te semble convenir à ton âge. —  »

« — Madame, dis-je, il y a déjà longtemps que j’ai mis en vous mon amour que je sens maintenant si ardent ; ce qui fait, qu’en cet état, toute autre volonté m’est enlevée. — » Alors, avec une voix admirablement douce, et avec un air qui me fera trembler et espérer toujours, elle répondit :

« — Rarement en ce monde, parmi une si grande foule, un homme a entendu parler de mon mérite sans ressentir au cœur, au moins pour quelque temps, quelque étincelle d’amour. Mais mon ennemie, que toute chose bonne irrite, l’éteint bientôt ; de là meurt toute vertu, et domine un autre maître qui promet une vie plus tranquille. Amour, qui l’ouvrit tout d’abord, m’a dit sur ton esprit des choses d’où je vois vraiment que le grand désir te fera digne d’une fin honorée. Et comme tu es déjà de mes rares amis, tu verras en cette qualité une dame dont la vue te réjouira plus que la mienne. — »

Je voulais dire : c’est chose impossible, quand elle : « — Or, lève un peu les yeux et vois, dans un lieu plus calme, une dame qui s’est toujours montrée à peu de gens. — » J’inclinai vivement mon front couvert de rougeur, sentant en moi un feu plus grand. Et elle s’en fit un jeu, disant : — « Je vois bien à quoi tu penses. De même que le Soleil, par ses rayons puissants, fait soudain disparaître toutes les autres étoiles, ainsi maintenant ma vue te semble moins belle, vaincue qu’elle est par une lumière plus éclatante. Mais pourtant je ne permets pas que tu me quittes, car cette dame et moi, nous sommes nées d’une même semence, et nous avons été enfantées d’une même couche, elle d’abord et moi ensuite. — »

La vergogne rompit alors le lien qui m’avait été noué autour de la langue, lors de cette première confusion que j’éprouvai quand je m’aperçus qu’elle s’apercevait de mon trouble ; et je commençai : « — Si ce que j’entends est vrai, bienheureux le père, et bienheureux le jour qui vous ont produite au monde pour l’embellir ; et bienheureux tout le temps que j’ai employé à vous suivre ! Et si jamais je me détournai de la droite voie, je m’en repens fort, et plus que je ne le montre. Mais si j’étais digne d’en entendre davantage sur votre condition, j’en brûle de désir. — » Pensive, elle me répondit, son doux regard tellement fixé sur le mien qu’elle le faisait pénétrer au fond de mon cœur avec ses paroles :

« — Ainsi qu’il plut à notre père éternel, chacune de nous deux naquit immortelle. Malheureux, à quoi cela vous sert-il ? Il eût mieux valu pour vous que nous fussions moins parfaites. Pendant un temps, nous fûmes aimées, belles, jeunes et agréables ; et maintenant nous en sommes venues à un tel point, que ma sœur bat des ailes pour retourner à son antique patrie. Pour moi, je suis une ombre ; et maintenant je t’en ai dit tout autant que tu pouvais en entendre si rapidement. — » Puis, elle fit quelques pas en disant : « — Ne crains pas que je m’éloigne. — » Et elle cueillit une couronne de vert laurier, qu’elle posa de ses mains tout autour de mon front.

Chanson, à qui dira que ton sens est obscur, réponds : je n’en ai cure, car j’espère que bientôt un autre écrit fera éclater la vérité dans un langage plus clair. Je viens seulement pour réveiller les esprits, si toutefois celui qui m’a imposé ce rôle ne m’a pas trompée quand je me suis séparée de lui.


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Canzone V-04

Aux grands de l’Italie, pour les engager à la délivrer de son dur esclavage.


Italia mia, ben che ’l parlar sia indarno
A le piaghe mortali
Che nel bel corpo tuo sì spesse veggio,
Piacemi almen ch’e’ miei sospir sien quali
Spera ’l Tevero e l’Arno,
E ’l Po, dove doglioso e grave or seggio.
Rettor del cielo, i’ cheggio
Che la pietà che ti condusse in terra,
Ti volga al tuo diletto almo paese:
Vedi, Signor cortese,
Di che lievi cagion che crudel guerra;
E i cor, che ’ndura e serra
Marte superbo e fero,
Apri tu, Padre, e ’ntenerisci e snoda;
Ivi fa che ’l tuo vero
(Qual io mi sia) per la mia lingua s’oda.

Voi, cui Fortuna à posto in mano il freno
De le belle contrade,
Di che nulla pietà par che vi stringa,
Che fan qui tante pellegrine spade ?
Perchè ’l verde terreno
Del barbarico sangue si dipinga ?
Vano error vi lusinga;
Poco vedete, e parvi veder molto;
Chè ’n cor venale amor cercate o fede.
Qual più gente possede,
Colui è più da’ suoi nemici avvolto.
O diluvio raccolto
Di che deserti strani
Per inondar i nostri dolci campi !
Se da le proprie mani
Questo n’avvène, or chi fia che ne scampi ?

Ben provvide Natura al nostro stato
Quando de l’Alpi schermo
Pose fra noi e la tedesca rabbia;
Ma ’l desir cieco e ’ncontra ’l suo ben fermo
S’è poi tanto ingegnato,
Ch’al corpo sano à procurato scabbia.
Or dentro ad una gabbia
Fere selvagge e mansuete gregge
S’annidan sì che sempre il miglior geme;
Ed è questo del seme,
Per più dolor, del popol senza legge,
Al qual, come si legge,
Mario aperse sì ’l fianco,
Che memoria de l’opra anco non langue,
Quando, assetato e stanco,
Non più bevve del fiume acqua, che sangue.

Cesare taccio, che per ogni piaggia
Fece l’erbe sanguigne
Di lor vene, ove ’l nostro ferro mise.
Or par, non so per che stelle maligne,
Che ’l Cielo in odio n’aggia
Vostra mercè, cui tanto si commise:
Vostre voglie divise
Guastan del mondo la più bella parte.
Qual colpa, qual giudicio o qual destino,
Fastidire il vicino
Povero; e le fortune afflitte e sparte
Perseguire; e ’n disparte
Cercar gente, e gradire
Che sparga ’l sangue e venda l’alma a prezzo ?
Io parlo per ver dire,
Non per odio d’altrui nè per disprezzo.

Nè v’accorgete ancor, per tante prove,
Del bavarico inganno,
Che, alzando il dito, con la morte scherza ?
Peggio è lo strazio, al mio parer, che ’l danno.
Ma ’l vostro sangue piove
Più largamente; ch’altra ira vi sferza.
Da la mattina a terza
Di voi pensate, e vederete come
Tien caro altrui chi tien sè così vile.
Latin sangue gentile,
Sgombra da te queste dannose some:
Non fare idolo un nome
Vano, senza suggetto
Chè ’l furor di là su, gente ritrosa,
Vincerne d’intelletto,
Peccato è nostro e non natural cosa.

Non è questo il terren ch’i’ toccai pria ?
Non è questo ’l mio nido,
Ove nudrito fui sì dolcemente ?
Non è questa la patria in ch’io mi fido,
Madre benigna e pia,
Che copre l’uno e l’altro mio parente ?
Per Dio, questo la mente
Talor vi mova; e con pietà guardate
Le lagrime del popol doloroso,
Che sol da voi riposo,
Dopo Dio, spera: e, pur che voi mostriate
Segno alcun di pietate,
Virtù contro furore
Prenderà l’arme; e fia ’l combatter corto;
Chè l’antico valore
Negl’italici cor non è ancor morto.

Signor, mirate come ’l tempo vola,
E sì come la vita
Fugge, e la morte n’è sovra le spalle.
Voi siete or qui: pensate a la partita;
Chè l’alma ignuda e sola
Convèn ch’arrive a quel dubbioso calle.
Al passar questa valle,
Piacciavi porre giù l’odio e lo sdegno,
Venti contrari a la vita serena;
E quel che ’n altrui pena
Tempo si spende, in qualche atto più degno
O di mano o d’ingegno,
In qualche bella lode,
In qualche onesto studio si converta:
Così qua giù si gode,
E la strada del ciel si trova aperta.

Canzone, io t’ammonisco
Che tua ragion cortesemente dica:
Perchè fra gente altera ir ti conviene,
E le voglie son piene
Già de l’usanza pessima ed antica
Del ver sempre nemica.
Proverai tua ventura
Fra magnanimi pochi, a chi ’l ben piace:
Di’ lor: chi m’assicura ?
I’ vo gridando: pace, pace, pace.


Mon Italie, bien qu’il soit vain de parler devant les plaies mortelles que je vois répandues si nombreuses sur ton beau corps, il me plaît au moins que mes soupirs soient tels que les attendent le Tibre et l’Arno et le Pô où, dolent et grave, je m’assieds maintenant. Recteur du ciel, je demande que la pitié qui t’amena sur la terre, te fasse tourner vers ton doux pays aimé. Vois, Seigneur courtois, quelle guerre cruelle pour de si légers motifs ! Et les cœurs, qu’endurcit et ferme Mars superbe et féroce, ouvre-les, toi, notre père, attendris-les et les dénoue. Fais que ta vérité, quelque indigne que je sois, s’entende par ma bouche.

Vous, aux mains de qui la Fortune a mis les rênes des belles contrées pour lesquelles il semble qu’aucune pitié ne vous étreigne, que font ici tant d’épées étrangères ? Pourquoi cette verte terre se teindrait-elle du sang barbare ? Une erreur vaine vous leurre ; vous voyez peu et il vous semble voir beaucoup, car dans un cœur vénal vous cherchez amour ou fidélité. Celui qui possède le plus de gens d’armes, est celui qui a le plus d’ennemis autour de lui. Ô déluge venu de quels déserts étranges pour inonder nos douces campagnes ! Si c’est de nos propres mains que cela nous arrive, qui donc nous en délivrera ?

La Nature a bien pourvu à notre tranquillité, quand elle a placé le rempart des Alpes entre nous et la rage tudesque ; mais le désir aveugle et qui va contre son propre intérêt, s’est depuis tellement ingénié, qu’à un corps sain il a donné la gale. Maintenant, en une même cage, sont enfermées les bêtes sauvages et les douces brebis, de sorte que c’est toujours le meilleur qui en souffre. Et, pour plus de honte, cela nous vient des descendants du peuple sans loi à qui, comme on le lit dans l’histoire, Marius ouvrit si bien le flanc, que le souvenir de ce haut fait n’est pas encore effacé, alors que, las et assoiffé, il ne trouva plus à boire dans le fleuve que du sang au lieu d’eau.

Je passe sous silence César, qui teignit l’herbe du sang de leurs veines, par toutes les plaies qu’il leur fit avec notre fer. Maintenant il semble, par je ne sais quelles malignes étoiles, que le ciel nous ait en haine, grâce à vous à qui une si grande mission a été confiée. Vos volontés divisées ruinent la plus belle partie du monde. Quelle faute, quel jugement ou quelle destinée vous font molester le voisin appauvri, poursuivre les malheureux affligés et en fuite, chercher au dehors des gens d’armes, et avoir pour agréable qu’ils répandent leur sang et vendent leur âme pour un vil prix ? Je parle pour dire la vérité, non par haine d’autrui, ni par mépris.

Ne vous apercevez-vous pas non plus, après tant de preuves, de la fourberie bavaroise, qui, levant le doigt, plaisante avec la mort ? Ce jeu est pire, à mon avis, que le dommage qu’il nous cause. Mais votre sang pleut plus largement, car une autre colère vous excite. De mâtine à tierce, pensez à nous, et vous verrez combien peu on estime autrui quand on se tient soi-même pour si vil. Noble sang latin, secoue loin de toi ces dangereux fardeaux ; ne te fais pas, sans sujet, une idole d’un vain titre, car si la fureur d’une nation sauvage nous surpasse en intelligence, c’est notre faute et non chose naturelle.

N’est-ce pas là la terre que j’ai foulée la première ? N’est-ce pas là le nid où je fus élevé si doucement ? N’est-ce pas là la patrie en qui je me confie, mère bénigne et pieuse, qui recouvre mes ancêtres ? Pour Dieu, que cela émeuve parfois votre esprit ; considérez avec pitié les larmes du peuple douloureux qui de vous seul, après Dieu, attend le repos ; et pour peu que vous donniez quelque signe de pitié, la vertu s’armera contre la fureur, et le combat sera court, car l’antique valeur n’est pas encore morte dans les cœurs italiens.

Seigneurs, voyez comme le temps vole, comme fuit la vie, et comme la mort est sur nos épaules. Aujourd’hui, vous êtes ici ; pensez au départ, car il faut que l’âme, nue et seule, arrive à ce douteux sentier. Pour traverser cette vallée, qu’il vous plaise de déposer la haine et l’envie, vents contraires à la vie sereine ; et que celui qui passe son temps à nuire à autrui, emploie à quelque action plus digne son bras ou son intelligence, à prononcer quelque belle louange, et se convertisse à quelque honnête entreprise. C’est ainsi qu’on est heureux ici bas et que l’on s’ouvre le chemin du ciel.

Chanson, je t’avertis de dire doucement tes raisons, car il te faut aller parmi des gens altiers, dont les esprits sont déjà remplis de la coutume ancienne, mauvaise et toujours ennemie du vrai. Tu tenteras la fortune parmi peu de magnanimes, à qui le bien plaise. Dis-leur : « Qui me rassurera ? Je vais criant : la paix, la paix, la paix ! »

 


Pétrarque

 

02 petrarque