Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Poésies érotiques (1778)

Souvenir



Déjà la nuit s’avance, et, du sombre orient,
Ses voiles par degrés dans les airs se déploient.
Sommeil, doux abandon, image du néant,
Des maux de l’existence heureux délassement,
Tranquille oubli des soins où les hommes se noient ;
Et vous, qui nous rendez à nos plaisirs passés,
Touchante Illusion, déesse des mensonges,
Venez dans mon asile, et sur mes yeux lassés
Secouez les pavots et les aimables songes.
Voici l’heure où, trompant les surveillants jaloux,
Je pressais dans mes bras ma maîtresse timide ;
Voici l’alcôve sombre, où d’une aile rapide
L’essaim des Voluptés volait au rendez-vous ;
Voici le lit commode, où l’heureuse licence
Remplaçait par degrés la mourante pudeur.
Importune vertu, fable de notre enfance,
Et toi, vain préjugé, fantôme de l’honneur,
Combien peu votre voix se fait entendre au cœur !
La nature aisément vous réduit au silence ;
Et vous vous dissipez au flambeau de l’Amour,
Comme un léger brouillard aux premiers feux du jour.
Moments délicieux, où nos baisers de flamme,
Mollement égarés, se cherchent pour s’unir ;
Où de douces fureurs, s’emparant de notre âme,
Laissent un libre cours au bizarre désir ;
Moments plus enchanteurs, mais prompts à disparaître,
Où l’esprit échauffé, les sens, et tout notre être,
Semblent se concentrer pour hâter le plaisir ;
Vous portez avec vous trop de fougue et d’ivresse ;
Vous fatiguez mon cœur qui ne peut vous saisir,
Et vous fuyez surtout avec trop de vitesse.
Hélas ! on vous regrette avant de vous sentir.
Mais non ; l’instant qui suit est bien plus doux encore.
Un long calme succède au tumulte des sens ;
Le feu qui nous brûlait par degrés s’évapore ;
La volupté survit aux pénibles élans ;
L’âme sur son bonheur se repose en silence ;
Et la réflexion, fixant la jouissance,
S’amuse à lui prêter un charme plus flatteur.
Amour, à ces plaisirs l’effort de ta puissance
Ne saurait ajouter qu’un peu plus de lenteur.


 


Evariste de Parny

 

03evaristedeparny