Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

OLYMPIQUE VI



AU SYRACUSAIN AGÉSIAS, VAINQUEUR A LA COURSE DES CHARS ATTELÉS DE MULES.

Strophe 1. — Élevons des colonnes d'or pour soutenir le vestibule élégant de cette maison (77), comme celui d'un palais magnifique; au début d'une œuvre, il faut placer un brillant frontispice; que en un vainqueur olympique veille (78) dans Pise sur l'autel (79) prophétique de Jupiter, s'il est lié aux fondateurs de  (80) l'illustre Syracuse, est-il un éloge que des concitoyens puissent envier à ce mortel dans leurs aimantes chants?

Antistrophe 1. — Qu'il le sache donc, il a le pied dans cette (81) voie, l'heureux fils de Sostrate (82). Des victoires sans péril ne sont honorables ni sur terre, ni dans les vaisseaux creux. Mais les peuples se souviennent d'une glorieuse lutte. Agésias, il te sied  (83) l'éloge mérité que prononça autrefois la bouche d'Adraste sur le devin Œclide, sur Amphiaraüs, lorsque la terre l'eut dévoré, lui et ses coursiers superbes.

Épode 1. Sept bûchers venaient d'être dressés; Talaïonide  (84) fit entendre ces paroles devant Thèbes : «J'ai perdu l'œil de mon armée, et tout ensemble, un habile devin, une lance redoutable.» Ces mots s'adressent au Syracusain qui  (85) préside la pompe. Moi qui ne suis ni querelleur, ni trop ami des disputes, je m'engagerais même par serment solennel à lui rendre cet éclatant témoignage; les muses à la douce voix ne me désavoueront pas.

Str. 2. — Ça, Phintis (86), attelle sur-le-champ tes vigoureuses mules, afin que sans tarder nous lancions notre char   (87) sur une voie glorieuse, et que je remonte à l'origine de tant de héros (88). Mieux que d'autres, elles savent conduire sur cette route, puisqu'elles ont remporté des couronnes à Olympie (89). Je dois donc leur ouvrir la porte des hymnes (90). C'est à Pitané (91), et sur les bords de l'Eurotas qu'il me faut aujourd'hui arriver à temps.

Ant. 2. — Pitané, unie au Cronien Neptune, mit au monde, dit-on, Évadné aux cheveux hoirs. Mais la vierge avait caché le fruit que son sein portait. Or, dans le mois décisif, envoyant ses femmes, elle leur ordonna de confier sa fille au héros Élatide, qui gouvernait les Arcadiens de Phésana et régnait sur l'Alphée. C'est là qu'elle fut élevée, que dans les bras d'Apollon elle goûta pour la première fois les douceurs d'Aphrodite.

Ép. 2. — Mais Épitus (92) n'ignora pas toujours le mystère de son union avec un dieu. C'est à Pytho que le cœur gros d'un inexprimable courroux il court, tout brûlant, consulter l'oracle sur cet accablant malheur. Pour elle, après avoir déposé sa ceinture de pourpre et son urne d'argent, elle mit au jour, sous des ombrages touffus, l'enfant divin. Le Dieu avait amené pour l'assister la bienfaisante Ilithye et les Parques.

Str. 3. — De son sein, par un heureux enfantement, Jamus passa tout à coup à la lumière. Inquiète, elle le laisse à terre; mais deux serpents, aux yeux verts, par l'ordre des immortels, s'empressèrent de le nourrir avec le suc innocent des abeilles. Le roi, promptement ramené sur son char de la pierreuse Pytho, s'informe dans tout le palais de l'enfant d'Évadné. «Phébus, dit-il, est son

Ant. 3. — Père : au-dessus des autres mortels, il sera pour les hommes un devin fameux; sa race ne s'éteindra jamais» C'est ainsi qu'il parlait. Mais on l'assurait qu'on ne l'avait ni entendu, ni vu, quoiqu'il fût né depuis cinq jours. En effet, il était caché au milieu des joncs et d'un taillis impénétrable. Des violettes jaunes et empourprées inondaient de leurs rayons son corps délicat. De là vint aussi qu'en tout temps sa mère ordonna de l'appeler

Ép. 3. — Par ce nom immortel (93). Quand parut sur ses joues le duvet de l'aimable jeunesse à la couronné d'or, il descendit au milieu de l'AIphée, invoqua Neptune, son très puissant aïeul (94), et le dieu qui porte un arc, le maître de la divine. Délos, les priant de placer sur sa tête une des professions utiles aux peuples; c'était la nuit, sous la voûte des cieux. La véridique voix de son père lui répondit, et s'adressant à lui : «Lève-toi, mon fils, viens dans une contrée où les peuples affilieront : suis ma voix.»

Str. 4. — Ils arrivèrent à la roche escarpée du mont Grontus (95). Là il lui dispensa le double trésor de la divination (96), et d'abord lui donna d'entendre cette voix qui ne connaît pas le (97) mensonge; mais, lorsque vint l'intrépide Hercule, l'illustre rejeton des Alcides, et qu'il eut institué en l'honneur de son père cette fête si fréquentée, ces luttes si solennelles, il voulut que sur le grand autel de Jupiter un nouvel oracle fût établi.

Ant. 4. — Dès lors s'illustra parmi les Hellènes, la famille des (98) Jamides. Puis aussi vint la richesse. Ceux qui honorent la vertu marchent dans une voie glorieuse. À l'œuvre on connaît l'homme. Mais les envieux font planer l'injure sur les mortels qui, après avoir les premiers fourni douze fois la carrière, sont couverts par l'auguste Charis (99) d'une éclatante beauté. Si réellement, ô Agésias, tes ancêtres maternels, qui habitent au pied du mont Cyttène,

Ép. 4. Ont souvent offert avec piété de nombreuses victimes au messager des dieux, à Mercure qui. préside aux luttes, dispense les couronnes et protège la vaillante Arcadie: c'est lui, ô fils de Sostrate, avec son père tonnant , qui assure ta félicité. Je crois sentir sur ma langue une (100) pierre harmonieuse qui aiguise encore ma verve pour qu'elle exhale des flots de mélodie. A Stymphale j'ai pour aïeule maternelle la riante Métope (101), mère de Thèbes qui dompte les coursiers, Thèbes dont

Str. 6. - Je bois l'onde chérie en tressant pour les héros un hymne varié. Excite maintenant tes compagnons, Énée (102), à chanter d'abord Junon Parthénienne (103), puis à montrer s'il est vrai, comme on le dit, que nous ne méritons plus l'ancienne injure: «C'est un pourceau de Béotie.»Car tu es le fidèle messager, l'interprète des muses à la belle chevelure, tu es la coupe qui verse les plus doux accords.

Ant. 6. — Dis-leur aussi de célébrer Syracuse et Ortygie, où Hiéron, qui gouverne avec le sceptre de la justice et de sages pensées, honore Cérès aux pieds vermeils, la fête de sa fille (104) aux blancs coursiers et la puissance de Jupiter Etnéen (105). Les doux accords de la lyre et des chants le connaissent. Que le cours du temps n'ébranle point son bonheur. Qu'il accueille avec une gracieuse affabilité la pompe d'Agésias qui revient d'une patrie dans une (106) autre patrie, en quittant les murs de Stymphale, cette cité-mère de l'Arcadie aux grande troupeaux.

Ép. 5. — Il est bon, dans une nuit orageuse d'avoir deux ancres (107) à jeter du vaisseau rapide. Puisse un dieu ami donner de glorieuses destinées à ces deux peuples (108) ! Souverain des mers, accorde-lui (109) une navigation prompte et sans péril, toi l'époux d'Amphilrite au fuseau d'or, et fais fleurir de plus en plus la gloire de mes chants.

(77) Pindare souvent tire ses images du lieu de la scène ; ces vers doivent être chantés à Stymphale dans une maison particulière.

(78) Agésias avait ce droit cemme membre de la famiHe des Jamides.

(79) L'oracle.

(80) II l'était en effet, Agésias.

(81) Le Grec dit, dans cette chaussure

(82)  Agésias.

(83)  Plusieurs fois il avait aidé Hiéron de son courage.

(84) Adraste, fils de Talaüs.

(85) Agésias.

(86) Conducteur de chiars.

(87) Ce voyage est fictif.

(88)  Des Jamides.

(89) Avec le vainqueur on célébrait les ancêtres : ainsi les moles victorieuses amenaient leur éloge.

(90) Pour qu'elles y entrent et que le poète s'en serve.

(91) Plus tard renfermée dans l'enceinte de Sparte.

(92) Fils d'Élatus, roi de Phésana, et chargé d'élever Évadné.

(93) Le nom de Jamus a pour racine un mot grec qui signifie violette.

(94) Évadné, fille de Neptune et de Pitané, était la mère de Jamus.

(95) Dans la plaine d'Olympie.

(96) D'abord par enthousiasme, puis par le feu et les victimes.

(97) Celle de Phébus.

(98) Par ses talents pour la divination.

(99)  Déesse qui embellit les traits des vainqueurs.

(100) Cette pierre, c'est le souvenir des lieos de parenté qui unissent Thèbes et Stymphale.

(101) Fleuve, ruisseau ou lac prés de Stymphale; comme nymphe, elle était fille du Ladon, rivière d'Arcâdie. Thèbes, nymphe, était fille de Métope et de l'Asopus, fleuve de Béotie.

(102) De Stymphale, parent d'Agésias, il devait lui porter cette ode.

(103) Elle était adorée à Stymphale dans trois temples: comme vierge, comme protectrice des mers, comme veuve séparée de Jupiter.

(104) Proserpine.

(105) Honoré à Etna, ville de Sicile.

(106) De Stymphale à Syracuse.

(107) Deux patries.

(108) Aux Stymphaliens et aux Syracusains.

(109)  Agesias.


 


Pindare - Olympiques

 

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