Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

NÉMÉENNE X



A THÉÉUS D'ARGOS , LUTTEUR

Strophe 1. — Chantez, ô Grâces, la ville de Danaus et de ses cinquante filles aux trônes éclatants; Argos, digne séjour de la déesse Junon. Argos resplendit de mille gloires, prix d'héroïques exploits. Longue est l'histoire de Persée avec la Gorgone Méduse. Nombreuses sont les villes qu'Argos a bâties, en Egypte, par les mains d'Ëpaphus (184). Hypermnestre non plus n'a point failli en retenant seule dans le fourreau un glaive rebelle.

Antistrophe 1. — Jadis, la blonde déesse aux yeux (185) bleus, fit de Diomède, un immortel. Le sol thébain, frappé des traits de Jupiter, s'ouvrit au devin Œclide (186), l'orage des combats. Argos est illustre encore. par ses femmes à la belle chevelure. Et Jupiter a bien justifié ce renom, quand il se rendit vers Alcmène et Danaé; et dans le père d'Adraste (187) et dans Lyncée, il associa une raison mûrie à la droite justice,

Épode 1. — Et par lui grandit la lance d'Amphitryon. Celui-ci eut l'insigne bonheur d'entrer dans sa famille; sous une armure d'airain, il domptait les Téléboens (188), lorsque le roi des immortels empruntant ses traits, entra dans sa demeure, portant la semence de l'intrépide Hercule ; Hercule, époux d'Hébé, qui, dans l'Olympe, près de sa mère (189), protectrice de l'hymen, s'avance la plus belle des déesses.

Str. 2. — J'ai trop peu de voix pour raconter tous les biens qui sont le partage du sol sacré d'Argos. D'ailleurs le dégoût des hommes est dur (190) à encourir. Éveille (191) cependant ta lyre aux cordes sonores , et que les luttes occupent ta pensée. Le combat (192) pour un bouclier d'airain appelle le peuple aux Hécatombes de Junon et au jugement des athlètes; là deux fois vainqueur, le fils d'Hylias, Thééus, a trouvé l'oubli de ses douces fatigues.

Ant. 2. — Et il l'a aussi emporté sur les Grecs réunis dans Pytho. Heureux, il est allé prendre la couronne dans l'Isthme (193) et dans Némée, et il a ouvert aux Muses un vaste champ par trois victoires aux portes de la mer; trois autres sur le sol sacré soumis aux lois d'Adraste (194). Puissant Jupiter ! Sa bouche se tait sur les vœux que forme son cœur ; mais la fin de toutes les actions dépend de toi. Ce n'est point par lâcheté d'âme qu'un vaillant comme lui refuserait la gloire.

Ép. 2. — Elle est connue de Thééus et de tous ceux qui disputent le plus haut prix des plus nobles luttes. Mais c'est Pise  (195) qui possède la sublime institution d'Hercule. Du moins, deux fois dans leurs fêtes, les Athéniens de leurs douces voix ont préludée l'éloge de Thééus; et l'argile durcie au feu, et des vases (196) à peintures variées ont porté le fruit de l'olivier chez le peuple (197) héroïque de Junon.

Str. 3. — Ο Thééus, la gloire des combats heureux accompagne souvent la race illustre de tes aïeux maternels , par la faveur des Grâces et des Tyndarides. Que ne suis-je parent de Thrasybule ou d'Antiasl Certes, je ne baisserais pas les yeux dans Argos. Combien de fois la cité.de (198) Prœtus aux beaux coursiers n'a-t-elle point cueilli la fleur de victoire, et dans les vallées de Corinthe et dans les champs de Cléone (199) quatre fois!

Ant. 3. — De Sicyone, ils (200) sont revenus avec l'argent des coupes vineuses, et de Pellène (201), les épaules couvertes des plus moelleux tissus. Mais il n'est pas possible d'apprécier tout l'airain (car ce calcul réclamerait trop de temps), l'airain que Clitor (202) et Tégée, et les villes élevées d'Achaïe et le Lycée  (203) ont offert dans le stade de Jupiter à l'effort des pieds et des mains pour prix de la victoire.

Ep. 3. — Castor et Pollux étaient venus comme hôtes chez Pamphaè (204); il n'est pas étonnant que les aïeux de Thééus soient naturellement de bons athlètes ; car les Tyndarides, gardiens de Sparte, à la vaste enceinte, dirigent avec Mercure et Hercule la destinée brillante des luttes, pleins de sollicitude surtout pour les hommes droits. Et la race des dieux est fidèle (205).

Str. 4. — Ils passent tour à tour un jour près de Jupiter leur père chéri, un autre jour, sous les cavernes de la terre, dans les tombeaux de Thérapné (206), et partagent le même sort. En effet, Pollux aima mieux cette destinée que d'être entièrement dieu et d'habiter le ciel, après que Castor eut péri dans un combat. Car Idas (207), en courroux pour certains bœufs, le perça d'un coup de sa lance d'airain.

Ant. 4. — Du haut du Taygète, Lyncée (208) avait découvert les Tyndarides assis sur le tronc d'un chêne ; car son œil était le plus perçant de tous les yeux mortels. Bientôt, d'un pas rapide, partent les fils d'Apharée (209), et soudain ils méditent un coup hardi ; mais ils furent cruellement punis par les mains de Jupiter. Sur-le-champ, le fils de Léda courut à leur poursuite; ceux-ci firent tête près du tombeau paternel.

Ep. 4. — Ils arrachèrent une pierre polie, décoration sépulcrale, et la jetèrent à la poitrine de Pollux. Cependant, ils ne purent ni l'écraser ni le repousser. Et s'élançant alors avec un javelot rapide, Pollux poussa l'airain dans les flancs de Lyncée; puis Jupiter précipita sur Idas sa foudre enflammée et fumante. Ainsi abandonnés, ils furent consumés ensemble. S'attaquer à plus fort que soi est pour les hommes une lutte dangereuse.

Str. 6. — Bientôt le Tyndaride revient à son valeureux frère; il n'était pas encore expiré; mais il le trouva haletant d'un râle pénible. Versant alors des larmes brûlantes en gémissant, il dit à haute voix: «Fils de Cronos, ô mon «père, quel sera le terme de mes douleurs? A moi aussi «envoie la mort comme à lui, ô Roi. Plus d'honneur pour «le mortel privé d'amis. Peu d'hommes sont fidèles au «malheur au point d'en partager les peines.»

Ant. 5. — C'est ainsi qu'il parla ; Jupiter vint à lui et dit: «Tu es mon fils; mais celui-ci est le fils d'un héros «qui, plus tard, s'approchant de ta mère, déposa dans «son sein une semence mortelle. Hé bien ! je te laisse pourtant le choix ; si, loin de la mort et d'une vieillesse odieuse, tu désires habiter toi-même l'Olympe avec Minerve et Mars à la lance noire de sang,

Ép. 5. — «Tu es libre de le faire; mais si tu t'armes pour un frère, si tu songes à partager tout également avec lui, tu respireras la moitié du temps sur la terre; l'autre moitié dans les palais d'or du ciel.» Ainsi parla Jupiter, et Pollux n'hésita point entre deux pensées. Alors Jupiter rendit la  lumière et la voix à Castor au baudrier d'airain.

 

(184) Fils de Jupiter et d'Io; père de Libye, mère de Danaus.

(185) Minerve.

(186) Amphiaraüs.

(187)Talaüs

(188) En Étolie.

(189) Junon.

(190) Quand on insiste trop sur certains détails.

(191) Dialogue entre une partie du chœur et Pindare?

(192) Aux jeux Héréens célébrés en l'honneur de Junon à Argos.  

(193) De Corinthe.

(194) Némée.

(195) C'est donc à Pise que Thééus voudrait remporter une victoire

(196) Ces vases d'argile renfermaient les olives, prix de la victoire.

(197) Argos.

(198) Argos.

(199) Cléone, ville de l'Argolide prés de Némée.

(200) Les ancêtres de Thééus.

(201) En Achaïe.

(202) Villes d'Arcadie.

(203) En Arcadie.

(204) Un des ancêtres de Thééus.

(205) Envers les justes.

(206) En Laconie.

(207) Fils d'Apharée.

(208) Autre fils d'Apharée.

(209) Idas et Lyncée.

 


Pindare - Néméennes

 

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