Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

NÉMÉENNE III



POUR ARISTOCLIDE D'ÉGINE PANCRATΙASTE

Strophe 1. — Muse auguste, ô notre (27) mère, je t'en Supplie, viens, pendant la fête (28) néméenne, dans une île où les étrangers abondent, dans la dorienne Égine. Car, près des eaux de l'Asopus (29), de jeunes artistes aux accords mélodieux attendent impatiemment (30) ta voix. Une chose a soif d'une autre; mais la victoire dans les jeux aime surtout la poésie , la plus belle compagne des couronnes et des vertus.

Antistrophe 1. — Fais-la donc jaillir de mon âme; commence pour le monarque des cieux et des nuages, toi, sa fille (31), des vers qui lui plaisent; moi je les confierai à leurs voix (32) et à la lyre. Il (33) aura pour agréable un labeur qui relève la contrée où habitèrent les Myrmidons (34) antiques, dont Aristoclide, grâce à toi (35), n'a point flétri l'assemblée depuis longtemps célèbre , puisqu'il n'a point faibli

Épode 1. — Parmi les redoutables pancratiastes. Mais, pour guérir ses plaies douloureuses, il emporte du vallon de Némée le baume salutaire d'une noble victoire. Que si le fils d'Aristophane, joignant à ses charmes des actions dignes de sa beauté, s'est élevé au faite des honneurs, il n'est pas facile (36) désormais de traverser au loin une mer infranchissable par delà les colonnes d'Hercule, colonnes que le héros dieu plaça témoins de la plus lointaine navigation,

Str. 2. — Après avoir dompté les monstres énormes des mers, sondé (37) les courants des lagunes, jusqu'à ce qu'il abordât aux lieux qui prescrivent le retour et fixât les bornes de la terre. Ο mon âme, vers quel promontoire reculé égares-tu mon esquif? Je t'ordonne de conduire la Muse vers Éaque et sa famille. Cet ordre est conforme à la justice, qui éclate surtout dans l'éloge des héros.

Ant.2 — Les récits étrangers (38) ne doivent pas séduire le poète ; suis les traditions nationales, elles t'offrent la matière facile d'un doux chant. Le roi Pelée fut dans la joie de ses antiques vertus, lorsqu'il se fut taillé une lance énorme; lui qui seul, sans armée, s'empara d'Iolcos; lui qui dompta promptement l'Océanide Thétîs. Le redoutable télamon tua Laomédon, en se tenant près d'Iolas (39);

Ép. 2. — Et contre les intrépides Amazones aux arcs d'airain, il le suivit encore; jamais la peur qui abat les humains ne put arrêter l'ardeur de son âme. Qui naquit héros, est vraiment grand ; mais celui qui doit tout à l'art, mortel obscur, emporté de désirs en désirs, ne marche jamais d'un pied ferme, et son cœur impuissant essaie de mille vertus.

Str. 3. — Lorsque le blond Achille habitait dans la demeure de Philyre (40), de grands exploits étaient les jeux de son enfance; souvent ses mains lançaient une courte javeline; prompt comme les vents, il s'attaquait dans des combats à mort aux lions sauvages, exterminait les sangliers , venait déposer leurs corps palpitants aux pieds du centaure, fils de Cronos, et il n'avait que six ans; et, dans tout le temps qui suivit, Diane et l'intrépide Minerve

Ant. 3. — Admiraient qu'il tuât des cerfs, sans chiens et sans toiles perfides. Car il les domptait à la course. Je raconte la tradition primitive. Le sage Chiron nourrit sous son toit de pierre, et Jason et plus tard Esculape, auquel il enseigna l'art d'appliquer les remèdes d'une main légère. Ce fut encore lui qui maria la fille de Nérée (41) aux belles sources, qui nourrit son noble fils (42) dans tous les exercices propres à former sa grande âme;

Ép. 3. - Afin que conduit sur les flots par le souffle des vents jusqu'aux mes de Troie, il soutint, dans la bruyante mêlée des lances, les cris des Lyciens, des Phrygiens, des Dardaniens, et que dans ses luttes avec les Éthiopiens, armés de piques, il résolut d'interdire le retour de la patrie à leur roi, au cousin d'Hélénus (43), !e valeureux Memnon (44).

Str. 4. — De là rayonne au loin la gloire des Éacides; car, Jupiter, tu vois en eux ton sang (45), et ce sont tes jeux que chante cet hymne, où la voix des jeunes gens célèbre un bonheur national. Ce chant convient aussi au vainqueur Aristoclide, qui, par ses nobles travaux, vient d'illustrer cette lie et l'auguste Théarion (46) du Pythien. C'est à l'œuvre que l'on reconnaît le mérite et la supériorité

Ant. 4. — Des enfants parmi les enfants (47), des hommes parmi les hommes; enfin de ceux qui (48) avancent en âge. Car ainsi se partage notre vie mortelle. La durée de notre existence comporte aussi quatre vertus et nous impose la sagesse de l'âge présent. Elles sont connues d'Aristoclide. Adieu, mon ami ! ce miel (49) mêlé avec du lait blanc, breuvage harmonieux couronné d'écume, je te l'envoie, au souffle des flûtes éoliennes (50),

Ép. 4. — Bien que tardivement. Il est prompt entre les oiseaux (51), l'aigle qui soudain, après l'avoir épiée de loin, étreint dans ses serres une proie sanglante, tandis que les geais criards paissent dans les lieux bas. Pour toi, grâce à Clio au trône d'or, grâce aux triomphes remportés par ton courage, tu reçois de Némée, d'Épidaure et de Mégare (52) une auréole de gloire.


(27)  Mère des poètes.

(28) Fête anniversaire.

(29) Petite rivière d'Égine.

(30)  Depuis longtemps Pindare avait promis cette ode.

(31) Les Muses sont filles de Jupiter.

(32) La voix des choristes.

(33) Jupiter qui présidait aux jeux Néméens.

(34) Habitants d'Égine.

(35)  Grâce à Clio; ce mot signifie Gloire, et l'on en retrouve la racine dans le nom Aristoclide.

(36)  D'étre plus heureux.

(37) Texte de Dissen.  

(38) Le poëte doit surtout louer la patrie du héros.

(39) Compagnon d'Hercule.

(40) Mère du centaure Chiron.

(41) Thétis.

(42)  Achille.

(43) Hélénus, fils de Priam.

(44) Fils de Tithon qui était frère de Priam

(45) Éaque était fils de Jupiter et d'Égine.

(46) Édifice consacré à Apollon Pythien; il était habité par un collège de prêtres, par les Théares. chargés de consulter l'oracle Pythien.

(47) On était enfant jusqu'à dix-huit ans.

(48) Ils sont de deux sortes; les hommes entre deux âges, de quarante-cinq à soixante ans, et les vieillards depuis l'âge de soixante ans.

(49) images empruntées au repas solennel de la féte.

(50) Synonyme de Béotiennes ; les Béotiens étaient Éoliens d'origine; d'ailleurs de mode Éolique doux et tempéré convenait ici.

(51) Pindare a tardé longtemps de traiter ce sujet ; mais une fois qu'il a commencé sa tâche poétique, il s'en acquitte avec facilité.

(52) Aristoclide avait remporté la palme dans ces trois villes.

 


Pindare - Néméennes

 

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