Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Recueil : Rimes familières (1890) - Strophes

Ne soyons pas trop débonnaires



Ne soyons pas trop débonnaires;

Aimer quand même est lâcheté.
Pour les méchants restons sévères,
Gardons aux bons notre bonté.

Pardonnez ! dit-on.-C'est facile,
Et doux même aux coeurs bien placés.
L'âpre vengeance est inutile;
Le mépris venge bien assez.

Mais prodiguer à tous les traîtres
Le trésor de son amitié !
Jeter son or par les fenêtres
À des assassins sans pitié !

Devant eux ôter sa cuirasse !
Presser sur un sein désarmé
Ceux dont on peut suivre la trace
À tout le mal qu'ils ont semé !

Ce n'est pas seulement faiblesse,
C'est une mauvaise action.
De quoi paira-t-on la tendresse,
La fidèle dévotion

De l'ami vrai, si l'hypocrite
Dont le sourire est plein de fiel
Comme celui qui la mérite
Reçoit l'amitié, don du ciel !

Pour le Titan point de clémence !
Il est précipité des cieux.
Le dragon périt sous la lance
De l'Archange victorieux.

Ayons plus de miséricorde;
Mais pas d'attendrissement vain !
Aux méchants le sage n'accorde
Qu'un entier et parfait dédain.

 

 


Camille Saint-Saëns

 

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