Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

NÉMÉENNE VII



A SOGENE D'ÉGINE , JEUNE LUTTEUR AU PENTATHLE

Strophe 1. — Ilithie (123), compagne des Parques prudentes, fille de la très puissante Junon, écoute-moi, patronne des enfants. Sans toi, privés de voir et la lumière et la nuit sombre, nous ne connaîtrions jamais ta sœur Hébé (124) au beau corps. Nous n'aspirons pas tous (125) aux mêmes choses; et chacun de nous est diversement attaché au joug du destin. Grâce à toi, le fils de Théarion aussi, Sogène, distingué par son mérite, est chanté pour ses exploits au pentathle.

Antistrophe 1. — Car il habite la ville (126) musicale des belliqueux Éacides, et là les coeurs sont passionnés pour les épreuves des luttes. Si un athlète est heureux, il jette une douce offrande aux flots des Muses. Privées de chansons, les grandes vertus sont couvertes d'épaisses ténèbres. Pour refléter les belles actions, il n'est qu'un miroir, c'est celui que la faveur de Mnémosyne (127) fait trouver, en retour du travail, dans les nobles cantiques (128).

Épode 1. — Or les habiles connaissent le vent qui soufflera dans trois jours, et n'échouent point par avarice. Riches et pauvres marchent ensemble à la mort Pour moi, je crois que la renommée d'Ulysse est plus grande que ses malheurs (129) grâce au mélodieux Homère.

Str. 2. — Car ses fictions et son art sublime ont je ne sais quoi de grandiose; chez lui le talent nous égare par des fables séduisantes. Mais le grand nombre des hommes a le cœur aveugle. S'ils pouvaient connaître la vérité, le vaillant Ajax, furieux d'être privé de l'armure (130), n'eût point percé sa poitrine d'un fer brillant; Ajax, après Achille, le plus intrépide guerrier que, pour ramener l'épouse du blond Ménélas, d'agiles vaisseaux conduisirent au souffle d'un zéphir favorable,

Anti 2. — Jusqu'à la ville d'Illus (131). Vers tous marche le flot (132) de l'Orcus, et il tombe sur les noms obscurs comme sur les noms illustres. Mais elle vit la renommée (133) des héros expirés, dont un dieu publie le noble éloge. Car ils avaient visité le centre (134) fameux de la terre au vaste sein ; et, dans les champs (135) pythiques, gît Néoptolème, après avoir dévasté la cité de Priam où les Grecs souffrirent aussi. Au retour, son navire manqua Scyros (136); et après avoir erré, on arriva dans l'Éphyre (137).

Ép. 2. — Il fut peu de temps roi de la Molossie (138); mais sa race conserva toujours cette dignité. Pour lui, étant allé vers le dieu (139), il lui porta la fleur des dépouilles de Troie, et là, dans une querelle pour les chaire des victimes, un homme le frappa d'un couteau.

Str. 3. — Les Delphiens hospitaliers furent virement affligés, mais il accomplit le destin; car il convenait que, dans l'antique bois sacré, un des rois Éacides habitât désormais près de la demeure du dieu entourée de belles murailles, et que là il surveillât les pompes héroïques aux nombreuses victimes pour faire régner l'heureuse justice. Trois mots suffiront : témoin incorruptible, il préside, Égine, aux exploits de tes fils et des fils de Jupiter. Mon audace pourrait encore .

Ant. 3. — Raconter les vertus éclatantes de ton peuple. Mais, en tout, s'arrêter à propos, a des charmes; on se dégoûte même du miel, même des charmantes fleurs d'Aphrodite. Nous différons tous de caractère, après avoir reçu avec la vie, ceux-ci telle chose, ceux-là telle autre. Toutefois, qu'un seul homme obtienne en partage une entière félicité, c'est impossible; je ne puis citer un mortel à qui la Parque en ait donné la constante jouissance. Ο Théarion, elle t'accorde une mesure convenable de bonheur;

Ép. 3. — Et en toi, l'audace des belles actions n'altère point la prudence de l'esprit. Je suis ton hôte, ennemi du blâme ténébreux; je te louerai en répandant comme à flots une gloire véritable sur le mortel que j'aime. Cette récompense sied aux gens de cœur.

Str. 4. — S'il était près de moi, un Achéen (140) des bords de la mer (141) ionienne, ne me désapprouverait pas. J'ai foi aussi dans l'hospitalité publique (142); et, parmi mes frères, je lève des yeux sereins, sans orgueil, repoussant loin de moi toute violence. Puisse ainsi le reste de ma vie s'écouler irréprochable! qui me connaît peut dire si j'enfreins la loi des vers pour répandre un discours calomnieux. Descendant des Euxénides, ô Sogène, je jure que ma langue, dans ses mouvements rapides, n'a point, dépassant le but, fait comme le javelot au front d'airain (143),

Ant. 4. — Qui renvoie les athlètes avant que la sueur ait couvert leurs cous vigoureux, avant que le soleil ait dardé sur leurs membres ses rayons brûlants. Si la fatigue (144) à été grande, elle est suivie d'une joie plus vive. Laisse-moi (145). Pour célébrer un vainqueur, si j'ai élevé la voix, ce n'est pas qu'il m'en coûte d'acquitter ma promesse. Il est doux de tresser des guirlandes. Attends. Ma muse assemble pour toi l'or, l'ivoire blanc et le lis (146) fleuri enlevé à la rosée des mers.

Ep. 4. — Némée me rappelle Jupiter (147); fais vibrer paisiblement les accords de tes nobles hymnes. Il convient dans cette contrée de chanter d'une voix douce le roi des dieux; car il déposa, dit-on, la semence au sein de la femme (148) qui mit au monde Éaque,

Str. 5. — Souverain de ta glorieuse patrie, ton hôte (149) affable, ô Hercule et ton frère. Si l'homme est attiré vers l'homme, l'amitié d'un voisin plein de sollicitude est pour son voisin un bonheur qui vaut des trésors. Que si un dieu pouvait avoir une telle affection, sous ta garde, ô toi (150) qui domptas les géants, Sogène dont le cœur est plein de tendresse pour son père, serait heureux d'habiter la belle, la divine cité de ses aïeux.

Ant. 5. — Car, de même que le joug est placé entre les roues des quadriges, il possède une habitation entre deux de tes temples à droite et à gauche. Immortel Hercule, dispose en sa faveur et Junon et la Vierge aux yeux bleus. C'est toi qui donnes aux mortels la vigueur qui franchit de périlleux obstacles. Puisses-tu leur assurer une vie pleine de force, tisser des jours heureux à leur jeunesse et à leur vieillesse brillante de santé que les enfants de leurs enfants jouissent toujours

Ép. 5. — D'une gloire pareille et qui croisse toujours ! Pour moi, mon cœur ne dira jamais que j'ai déchiré Néoptolème par des paroles injurieuses ; répéter trois à quatre fois la même chose, c'est être pauvre comme le babillard qui répète à des enfants : «Corinthus, fils de Jupiter (151).»


(123) Présidait aux accouchements.

(124) La jeunesse.

(125) Il n'est pas donné à tous de s'illustrer,

(126) Égine.

(127) La déesse Mémoire, mére des Muses.

(128) Allusion aux vainqueurs généreux qui ne craignent point de donner de l'or pour que leurs succès soient chantés par les poètes.

(129) II y a dans ces paroles un blâme implicite des actions d'Ulysse.

(130) L'armure d'Achille.

(131) Troie.

(132) La mort.

(133) Elle les fait revivre.

(134) Delphes.

(135) Delphes.

(136) ïle de la mer Egée; il y avait été élevé.

(137) En Épire.

(138) Partie de l'Épire.

(139) Apollon Pythien.

(140) Pindare en appelle au témoignage de la Grèce entière et cite les Grecs les plus éloignés de Thébes.

(141) Comme seraient les habitants de Dymes.

(142) On croit que les Amphyctions avaient donné à Pindare comme à Polygnotte le droit d'hospitalité dans toute la Grèce.

(143) Image empruntée à l'exercice du javelot : lorsqu'un athlète avait du premier coup dépassé le but, il arrivait que ses adversaires renonçaient quelquefois à lui disputer la palme.

(144) Allusion évidente aux fatigues subies au pentathle par Sogène : il en avait supporté victorieusement toutes les épreuves.

(145) Comme Sogène, le poëte, veut achever sa tâche pleine et entière.

(146) Le corail, rouge comme certaine espèce de lis.

(147) Qui présidait aux jeux néméens.

(148) Égine.

(149) Hercule avait été accueilli par les Éacides lorsqulil cherchait des compagnons pour le suivre à Troie.

(150) Hercule.

(151) Mégare, colonie de Corinthe, s'était soustraite au joug de la métropole : pendant longtemps on lui envoya des députés qui répétaient sans cesse que si elle ne rentrait pas dans l'obéissance , elle serait punie par Corinthus, fils de Jupiter. Cette locution devint proverbiale pour désigner un bavardage stérile.

 


Pindare - Néméennes

 

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