Bernard de Ventadour (1125-1200)
Recueil: La chanson courtoise

Lorsque les bois et les chênaies se couvrent de feuilles



Lorsque les bois et les chênaies se couvrent de feuilles
et dans les vergers et les prairies
paraissent la verdure et les fleurs
et les oiseaux qui étaient tristes sont gais
sous les feuillages
alors moi aussi je chante et exulte
je refleuris, reverdis
et me couvre de feuilles selon ma nature.

Je ne me prive ni ne me retire d'un amour
qui me porte bonheur
à la mesure de mon espoir
car je suis tenu pour amant fidèle
là où se trouve mon désir
parce que je ne désire rien de plus sous le ciel
et n'adresse mes prières ailleurs
ni ne me soucie d'aucune autre dame.

Celui qui aime et ne s'améliore point
a certainement un cœur méchant et misérable.
Je me suis amélioré
au point que je ne vois homme plus riche que moi
car je sais que j'aime et sui aimé
par la plus noble que Dieu ait jamais créée
je pense, ou qui soit un jour au monde
aussi longtemps que la terre existe et dure.

La belle ne me montra jamais visage douteux et incertain
ni ne me fit aucun forfait
et je ne fus jamais trompé par elle.
Et je ne crois guère
tant est noble son amour
qu'on puisse l'influencer au point
qu'elle se détourne et me délaisse pour un autre.
Mon cœur ne s'augure rien d'autre.

J'implore ma dame qu'elle n'évite
par crainte des reproches et de la jalousie folle
de me sentir entre ses bras
car je suis sien plus que je ne le dis
et serai sien à jamais, s'il lui plaît
car, par elle, tout ce que je vois devient beau
et je porte au cœur, partout où je vais
sa beauté et son image.

Vous ne vîtes jamais un homme si vieux
qui ayant un amour pur et bon
et étant aimé de sa dame
ne soit gai, servile et hors de sens
enchaîné et captif de la joie
car il sied au fou de faire des folies
et au sage d'agir avec distinction
si bien que son mérite s'en accroît et l'améliore.


 


Bernard de Ventadour

 

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