Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830) - Livre troisième

Le Tombeau d’une mère



Un jour, les yeux lasses de veilles et de larmes,

Comme un lutteur vaincu prêt à jeter ses armes,
Je disais à l'aurore : « En vain tu vas briller;
La nature trahit nos yeux par ses merveilles,
Et le ciel coloré de ses teintes vermeilles
Ne sourit que pour nous railler.

« Rien n'est vrai, rien n'est faux; tout est songe et mensonge,
Illusion du coeur qu'un vain espoir prolonge.
Nos seules vérités, hommes, sont nos douleurs.
Cet éclair dans nos yeux que nous nommons la vie
Brille à peine un moment à notre âme éblouie,
Qu'il s'éteint et s'allume ailleurs.

« Plus nous ouvrons les yeux, plus la nuit est profonde;
Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde,
Un plus obscur abîme où l'esprit s'est lancé;
Et tout flotte et tout tombe, ainsi que la poussière
Que fait en tourbillons dans l'aride carrière
Lever le pied d'un insensé. »

 


Alphonse de Lamartine

 

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