Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830) - Pièces Ajoutées

Le Moulin de Milly



Le chaume et la mousse

Verdissent le toit;
La colombe y glousse,
L'hirondelle y boit;
Le bras d'un platane
Et le lierre épais
Couvrent la cabane
D'une ombre de paix.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

Une verte pente
Trace les sentiers
Du flot qui serpente
Sous les noisetiers;
L'écluse champêtre
L'arrête au niveau,
Et de la fenêtre
La main touche l'eau.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

Le soir, qui s'épanche
D'en haut sur les prés,
Du coteau qui penche
Descend par degrés;
Sur le vert plus sombre,
Chaque arbre à son tour
Couche sa grande ombre
A la fin du jour.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

De sa sombre base,
Le blanc peuplier
Elève son vase
Au ciel sans plier;
De sa flèche il plonge
Dans l'éther bruni,
Comme un divin songe
Monte à l'Infini.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

La rosée en pluie
Brille à tout rameau;
Le rayon essuie
La poussière d'eau;
Le vent, qui secoue
Les vergers flottants,
Fait sur notre joue
Neiger le printemps.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

Sous la feuille morte
Le brun rossignol
Niche vers la porte,
Au niveau du sol;
L'enfant qui se penche
Voit dans le jasmin
Ses oeufs sur la branche,
Et retient sa main.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

L'onde qui s'élance,
Égale et sans fin,
Fait battre en cadence
Le pont du moulin;
A chaque mesure
On croit écouter
Sous cette nature
Un coeur palpiter.

Ma soeur, que de charmes !...
Et devant cela
Tu n'as que des larmes ?
- Ah ! s'il était là !...

 

Monceau, Ier juin 1845

 

 


Alphonse de Lamartine

 

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