Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Méditations poétiques (1820)

La Providence à l’homme



Quoi ! le fils du néant a maudit l’existence !
Quoi ! tu peux m’accuser de mes propres bienfaits !
Tu peux fermer tes yeux à la magnificence
            Des dons que je t’ai faits !
 
Tu n’étais pas encor, créature insensée,
Déjà de ton bonheur j’enfantais le dessein ;
Déjà, comme son fruit, l’éternelle pensée
            Te portait dans son sein.
 
Oui, ton être futur vivait dans ma mémoire ;
Je préparais les temps selon ma volonté.
Enfin ce jour parut ; je dis : Nais pour ma gloire
            Et ta félicité !
 
Tu naquis : ma tendresse, invisible et présente,
Ne livra pas mon œuvre aux chances du hasard ;
J’échauffai de tes sens la sève languissante,
            Des feux de mon regard.
 
D’un lait mystérieux je remplis la mamelle ;
Tu t’enivras sans peine à ces sources d’amour.
J’affermis les ressorts, j’arrondis la prunelle
            Où se peignit le jour.
 
Ton âme, quelque temps par les sens éclipsée,
Comme tes yeux au jour, s’ouvrit à la raison :
Tu pensas ; la parole acheva ta pensée,
            Et j’y gravai mon nom.
 
      En quel éclatant caractère
      Ce grand nom s’offrit à tes yeux !
      Tu vis ma bonté sur la terre,
      Tu lus ma grandeur dans les cieux !
      L’ordre était mon intelligence ;
      La nature, ma providence ;
      L’espace, mon immensité !
      Et, de mon être ombre altérée,
      Le temps te peignit ma durée,
      Et le destin, ma volonté !
 
      Tu m’adoras dans ma puissance,
      Tu me bénis dans ton bonheur,
      Et tu marchas en ma présence
      Dans la simplicité du cœur ;
      Mais aujourd’hui que l’infortune
      A couvert d’une ombre importune
      Ces vives clartés du réveil,
      Ta voix m’interroge et me blâme,
      Le nuage couvre ton âme,
      Et tu ne crois plus au soleil.
 
      « Non, tu n’es plus qu’un grand problème
      Que le sort offre à la raison ;
      Si ce monde était ton emblème,
      Ce monde serait juste et bon. »
      Arrête, orgueilleuse pensée ;
      À la loi que je t’ai tracée
      Tu prétends comparer ma loi ?
      Connais leur différence auguste :
      Tu n’as qu’un jour pour être juste,
      J’ai l’éternité devant moi !
 
      Quand les voiles de ma sagesse
      À tes yeux seront abattus,
      Ces maux, dont gémit ta faiblesse,
      Seront transformés en vertus,
      De ces obscurités cessantes
      Tu verras sortir triomphantes
      Ma justice et ta liberté ;
      C’est la flamme qui purifie
      Le creuset divin où la vie
      Se change en immortalité !
 
Mais ton cœur endurci doute et murmure encore ;
Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés,
Et dans la nuit des sens tu voudrais voir éclore
            De l’éternelle aurore
            Les célestes clartés !
 
Attends ; ce demi-jour, mêlé d’une ombre obscure,
Suffit pour te guider en ce terrestre lieu :
Regarde qui je suis, et marche sans murmure,
            Comme fait la nature
            Sur la foi de son Dieu.
 
La terre ne sait pas la loi qui la féconde ;
L’océan, refoulé sous mon bras tout-puissant,
Sait-il comment au gré du nocturne croissant
            De sa prison profonde
            La mer vomit son onde,
            Et des bords qu’elle inonde
            Recule en mugissant ?
 
Ce soleil éclatant, ombre de ma lumière,
Sait-il où le conduit le signe de ma main ?
S’est-il tracé soi-même un glorieux chemin ?
            Au bout de sa carrière,
            Quand j’éteins sa lumière,
            Promet-il à la terre
            Le soleil de demain ?
 
Cependant tout subsiste et marche en assurance.
Ma voix chaque matin réveille l’univers !
J’appelle le soleil du fond de ses déserts :
            Franchissant la distance,
            Il monte en ma présence,
            Me répond, et s’élance
            Sur le trône des airs !
 
      Et toi, dont mon souffle est la vie ;
      Toi, sur qui mes yeux sont ouverts,
      Peux-tu craindre que je t’oublie,
      Homme, roi de cet univers ?
      Crois-tu que ma vertu sommeille ?
      Non, mon regard immense veille
      Sur tous les mondes à la fois !
      La mer qui fuit à ma parole,
      Ou la poussière qui s’envole,
      Suivent et comprennent mes lois.
 
      Marche au flambeau de l’espérance
      Jusque dans l’ombre du trépas,
      Assuré que ma providence
      Ne tend point de piège à tes pas.
      Chaque aurore la justifie,
      L’univers entier s’y confie,
      Et l’homme seul en a douté !
      Mais ma vengeance paternelle
      Confondra ce doute infidèle
      Dans l’abîme de ma bonté.

 

 


Alphonse de Lamartine

 

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